dimanche 20 décembre 2009

Le père de mes enfants


Pour son deuxième long métrage, Mia Hansen-Love s'est inspiré de la vie du producteur de cinéma indépendant Humbert Balsan, où les difficultés de plus en plus insurmontables d'un homme passionné par son métier qui va se retrouver écrasé par les problèmes financiers. Cet homme a pourtant tout pour être heureux : une femme et des enfants qu'il aime. Mais ne supportant pas que sa société puisse être mise en liquidation judiciaire, il se suicide sans explication.

Ce n'est pas un crime de lèse-majesté que de révéler cette mort soudaine car elle intervient au milieu du film qui contient deux parties distinctes, l'avant et l'après. La réalisatrice filme avec une grande acuité les rouages d'une profession mal représentée, échappant ainsi aux stéréotypes ou aux fantasmes bien éloignés de la réalité. Une réalité recréée le plus fidèlement possible, sans perdre le spectateur en cours de route. Que l'on connaisse ou non le métier de producteur, on s'intéresse rapidement à ces problèmes et la brutale disparation de cet homme n'en n'est que plus douloureuse.

Louis-Do et Alice de Lencquesaing

Mia Hansen-Love a eu le talent de choisir un interprète peu connu du public, Louis-Do de Lencquesaing, qui apporte à son personnage tout le charisme et l'allure nécessaires. La direction d'acteurs n'est pas en reste et tous les comédiens, notamment les enfants, sont confondants de charme et de spontanéité. Des séquences apaisées entre parents et enfants, un couple uni dans l'adversité, on est bien aux antipodes des psychodrames familiaux chers à nos cinéastes.

Dans la deuxième partie, l'allant que la réalisatrice avait jusqu'ici su maintenir s'étiole un peu, faute d'intrigues secondaires maladroites et prévisibles. Mais elle évite tout pathos et sait avoir la juste distance entre la douleur immense de l'absence et l'envie de terminer ce qui a été entrepris. Le film se termine d'ailleurs sur un départ, serein et ensoleillé. La vie continue malgré tout.

Antoine Jullien

samedi 19 décembre 2009

Avatar


ENFIN ! Il aura fallu attendre toutes ces années pour que James Cameron vienne à bout de son projet dantesque. Film le plus cher de l'histoire du cinéma (on ne rentrera pas ici dans les querelles de budget), ambition folle, moyens illimités, tout ce qui constitue un véritable évènement cinématographique était réuni. Le cinéaste ne pouvait pas décevoir après avoir déserté la fiction pendant plus de dix ans, depuis le naufrage d'un célèbre paquebot qui l'avait intronisé "roi du monde" à jamais. Ce n'était qu'une étape dans un parcours glorieux et spectaculaire où la démesure a souvent été le maître mot. Avatar en constitue l'aboutissement. Et ça valait la peine d'attendre.

Nous sommes sur la lointaine planète Pandora. Pour endiguer une crise énergétique sur la Terre, les hommes veulent à tout prix extraire un minerai protégé par une civilisation indigène, les Na'vis. Pour tenter de les convaincre, ils engagent Jake Sully, un ancien marine, qui va entrer en contact avec ce peuple via un Avatar, une créature hybride contrôlée à distance. Il va se faire accepter d'eux mais sa mission va progressivement se retourner contre ses commanditaires... 

James Cameron a beaucoup songé aux westerns en écrivant Avatar. Un peuple opprimé envahi par une puissance étrangère renvoie bien sûr au massacre des Indiens par les Américains et plus généralement à toutes les tentatives de coloniser un peuple par la force. Cameron en profite au passage pour glisser sobrement un message écologique fort alors que le sommet de Copenhague vient d'accoucher d'une souris.

Malgré un traitement intéressant qui montre un militaire paralysé ne pouvant assouvir son âme de combattant que par l'intermédiaire d'une créature, on pourra trouver le scénario un brin convenu car il renvoie aux clichés du genre, une opposition binaire entre les bons et les méchants.  Mais ces réserves sont bien minces lorsque l'on réalise ce que le cinéaste nous propose à l'écran.

Zoe Saldana et Sam Worthington

Une date, incontestablement. Avec la 3D numérique, Cameron disait : Le relief est l'avenir du cinéma. C'est une révolution semblable à celle du parlant". Et comment lui donner tort ? Pendant 2h45, c'est un véritable éblouissement visuel auquel on assiste, une expérience inédite qui fait dorénavant rentrer le cinéma à grand spectacle dans une ère nouvelle. Pour la première fois, un réalisateur à "pensé" son film en trois dimensions, de la première à la dernière image. Oublions les temps où le relief n'était qu'un gadget pour combler le spectateur de sensations plus dignes du grand huit que du septième art.

Plus de mille personnes se sont escrimées à rendre la planète Pandora aussi réaliste, envoûtante et merveilleuse. On a le devoir de saluer ces personnes qui ont fait un travail véritablement extraordinaire. Jamais la profondeur de champ n'avait été utilisée avant tant de précision, jamais le premier plan d'une image n'avait été aussi palpable. Il fallait un grand chef d'orchestre pour arriver à un tel résultat. James Cameron, prouvant une fois encore ses qualités hors pair de conteur, est de ceux-là, et les dollars à foison, si le talent et l'invention ne sont pas de mise, n'y changent rien. Lors d'une des scènes les plus mémorables, l'Arbre si cher aux Na'vis s'effondre dans un fracas assourdissant. La sensation qu'éprouve alors le spectateur n'est comparable à nulle autre pareille.

Un émerveillement de chaque instant, un frisson continu, une immersion absolue : James Cameron a réinventé le cinéma comme spectacle total. Les spectateurs qui ont pour la première fois découvert un film sonore ou le premier tourné en Cinémascope ont du avoir cette même impression : avoir vécu un moment unique. En ces temps de piratage effréné, nous avons la chance de vivre cela à notre tour. Merci Monsieur Cameron.

Antoine Jullien

mardi 15 décembre 2009

Louise Bourgeois : l'araignée, la maîtresse et la mandarine


Il est toujours périlleux de réaliser un portrait d'un artiste, qui plus est de la grandeur de Louise Bourgeois. C'est pourtant ce pari un peu fou qui a été mené par deux réalisatrices, Amei Wallach et Marion Cajori (décédée depuis). En 1993, elles se sont immergées dans l'atelier de l'artiste, alors âgée de 82 ans, recueillant ses propos et ses interrogations sur l'art, la famille, le surréalisme, la mort, et la filmant en train de sculpter ou de peaufiner ses dernières installations.

Amei Wallach et Marion Cajori ont réussi le plus difficile : se hisser à la hauteur de cette femme immense en ne tombant pas dans le piège de l'hagiographie pompière. Louise Bourgeois a quitté la France juste avant la guerre pour aller s'installer aux USA. Elle rencontre alors des figures essentielles du surréalisme (André Breton et Marcel Duchamp) avant de se faire enfin connaître dans les années 70 jusqu'à son exposition au Musée d'art moderne de New York en 1982 qui la place comme l'une des artistes majeures du XXème siècle.


En exergue, Louis Bourgeois nous dit que l'art est une bonne manière de se connaître soi-même et de faire travailler son inconscient. Tout au long de ce parcours, on découvre on redécouvre ses œuvres majeures filmées avec une élégance et une pudeur remarquables dont les fameuses araignées ainsi que ces cellules qui dégagent tant d'étrangeté et de malaise. Elles sont la preuve éclatante du questionnement permanent de l'artiste sur son passé et sur sa famille.

Cette femme a un tempérament hors du commun et le transmet magnifiquement. Son autorité, son refus absolu des conventions, sa dureté en font une personne qui cache des abîmes de souffrance et de tristesse. Soudain, elle se met à raconter une anecdote sur son père qui la comparaissait petite à des épluchures de clémentine et l'on voit la détermination disparaitre sous de douloureux sanglots. On mesure alors les raisons qui l'ont poussée à aller aussi loin dans l'exorcisation de sa propre enfance.

Même si l'oeuvre de Louise Bourgeois vous est inconnue, n'hésitez pas à franchir la porte de son univers si singulier grâce à ce documentaire éclairant et passionnant.

Antoine Jullien 

Fehner, Chéreau and co.

QU'UN SEUL TIENNE ET LES AUTRES SUIVRONT / PERSECUTION / LA SAINTE VICTOIRE

Les fêtes approchent et les sorties sont de plus en plus nombreuses. En attendant Avatar, plusieurs films français sont à l'affiche et même si aucun d'entre eux ne déclenchent un grand enthousiasme, ils méritent que l'on s'y arrête.



Qu'un seul tienne et les autres suivront est le premier long métrage de Léa Fehner. L'histoire est complexe et il serait dommage de trop en révéler tant les différentes intrigues s'imbriquent avec aisance. Une femme qui veut venger la mort de son fils, un jeune homme qui doit accepter un deal risqué et une jeune femme qui tente de sauver son amour pour un révolté qui vient d'être incarcéré sont les trois mamelles d'un récit brut et empreint d'un romanesque peu fréquent dans le cinéma français.

Les acteurs, que la réalisatrice dit "ne pas avoir assez souvent à l'écran", sont tous remarquables à commencer par Réda Kateb, vu récemment en compagnon de cellule de Tahar Rahim dans Un prophète. D'ailleurs, ce film pourrait être une sorte de prolongement au film de Jacques Audiard, le parloir d'une prison étant le décor qui  réunira tous ces personnages. Mais Léa Fehner ne tombe pas dans les pièges du film choral où toutes les astuces scénaristiques sont déployées pour que tous les protagonistes se retrouvent par "hasard. Elle préfère les réunir dans un même endroit dans lequel chacun résoudra, seul, son drame personnel. On pourra toutefois reprocher à la réalisatrice une mise en scène d'une sobriété presque excessive, des longueurs (le film aurait mérité plus de concision) et un penchant un peu trop appuyé pour le dolorisme.


Les personnages de Patrice Chéreau ont toujours été dans la souffrance. Cette fois, dans Persécution, c'est un couple qu'il filme pour la première fois à l'écran : Romain Duris et Charlotte Gainsbourg. Lui, Daniel, est un curieux bonhomme qui vit de chantiers plus ou moins douteux. Il ne sait pas comment aimer Sonia qui maintient leur relation à une distance raisonnable. Un troisième personnage (Jean-Hugues Anglade) vient bousculer le quotidien de Daniel. Il s'introduit chez lui, l'épie, et le suit partout parce qu'il est fou amoureux de lui.

Patrice Chéreau s'est inspiré de son histoire personnelle pour disséquer ces relations très compliquées. Si compliquées qu'au bout d'un moment, ce couple nous fatigue à force de se dire "je t'aime, moi non plus". Le réalisateur nous donne sa vision du rapport amoureux, se construisant et se vivant dans la souffrance de l'autre et de soi-même. Une vision qu'on peut ne pas partager et qui n'aboutit sur rien. Il y a heureusement dans ce chaos quelques moments de tendresse, notamment lors d'une belle séquence au téléphone entre les deux amants. 

Face à des dialogues presque injouables, il fallait à Chéreau de grands comédiens. Et Romain Duris est de ceux là. L'acteur, totalement investi, est sans cesse sur le fil, souvent insupportable mais n'étant finalement pas le plus névrosé des deux. Charlotte Gainsbourg confirme une présence magnétique et évanescente. Quant à Jean-Hugues Anglade qui retrouve son metteur en scène de L'homme blessé, il fait preuve de plus d'humanité que tous les gens "normaux" autour de lui. Dans ces périodes de grand froid, il n''est pas évident que ce film vous réchauffe le cœur. Bien au contraire.



La Sainte Victoire est un thriller politique français, fait assez rare pour être signalé. Xavier Alvarez, un petit architecte qui s'est construit tout seul, veut par tous les moyens grimper dans l'échelle sociale. Il propose ses services à Vincent Cluzel, un député qui brigue la mairie d'Aix-en-Provence. Xavier va dépenser sans compter pour obtenir l'élection de son "ami". Chose faite, il espère alors un retour d'ascenseur. Et les ennuis commencent... 

François Favrat, après un premier film réussi (Le Rôle de sa vie), s'attaque au milieu de la politique sans tomber dans un manichéisme facile. Même si son point de vue n'est pas nouveau, il décortique avec efficacité les rapports compliqués entre deux hommes qui ne sont ni bons ni méchants. Le maire, interprété par un innatendu et plutôt convaincant Christian Clavier, est un être intègre qui va, par faiblesse plus que par lâcheté, se compromettre. Grâce à une belle direction d'acteurs d'où se dégage le charisme de Clovis Cornillac et le charme d'une nouvelle venue, Vimala Pons, il réussit, en mode mineur, un film divertissant qui ne mérite ni les éloges qu'il n'a pas eu ni l'indifférence dont il a été victime.

Antoine Jullien 

mardi 8 décembre 2009

En attendant les Oscars...

Deux films américains candidats plus ou moins déclarés aux prochains Oscars sortiront tous les deux en début d'année prochaine et leurs bandes annonces sont depuis quelques temps visibles sur la toile. Je veux attirer l'attention sur ces deux évènements car ils recèlent beaucoup d'attentes légitimes.

Nine de Rob Marshall est l'adaptation d'un musical de Broadway lui-même inspiré du 8 1/2 de Federico Fellini. Le maestro est partout en cette fin d'année à travers expos, DVD, livres, ressorties, etc. Le réalisateur de Chicago reprend les personnages du film d'origine, à commencer par Guido incarné à l'époque par Mastroianni et ici joué par Daniel Day-Lewis. L'acteur irlandais est entouré du plus beau casting féminin de l'année : Marion Cotillard, Penelope Cruz, Nicole Kidman, Judi Dench et la grande Sophia Loren. Le trailer laisse présager un film tourbillonnant et baroque. En salles le 10 février 2010.


Les frères Coen font toujours l'évènement et cette fois encore ils risquent de surprendre. A Serious Man, leur quatorzième long métrage, est le premier depuis Fargo à avoir été tourné avec un budget minuscule et sans star. Impossible de vous en dire davantage mais la bande annonce complètement frapadingue donne de très bons signes sur la santé mentale des frangins. L'attente risque d'être un supplice. En salles le 20 janvier 2010.

Bande annonce A serious man : http://www.youtube.com/watch?v=tcUTv3LH3ss

Canine


Un réalisateur ayant comme principale source d'inspiration Haneke, Bunuel et Pasolini suscite forcément l'intérêt. C'est ce cocktail explosif que nous concocte pour son deuxième long métrage le réalisateur grec Yorgos Lanthimos qui a été distingué au dernier festival de Cannes par le prix Un certain Regard.

Une maison isolée. Une famille en apparence tranquille. Mais on soupçonne quelque chose. Et on ne sera pas déçu. Le père, avec la complicité de sa femme, a fait croire à ses enfants depuis leur plus jeune âge que le monde se résume à leur maison et qu'ils ne pourront en sortir que lorsqu'ils auront perdu leur canine. Ces enfants domestiqués et un peu dérangés les croient sur parole. Seule une jeune femme a l'autorisation de pénétrer cette cellule familiale. Et c'est le grain de sable qui va faire dérailler la machine.

Un film inclassable réalisé avec une étonnante maitrise. Ce père monstrueux, un vrai dictateur, et ses enfants livrés à eux-mêmes, forment un tableau malsain et glauque. Et le cinéaste y va franchement : inceste, mutilations, tout y passe. Une provocation parfois gratuite mais souvent dérangeante. Lanthimos ausculte le poids de l'éducation et ses répercussions. Une vraie curiosité dont on ne ressort pas indemmne venant d'un pays peu propice ces dernières années aux grandes révélations cinématographiques. Incontestablement, un talent est né. Affaire à suivre.

Antoine Jullien




lundi 7 décembre 2009

Vincere


Une femme, les traits ravagés par la fatigue et le chagrin, enfermée dans un hospice parce ce qu'elle a osé dire qu'elle était le femme de Mussolini, regarde le Kid de Chaplin parmi les pensionnaires et les nones de l'établissement. Elle voit sur l'écran un enfant séparé de son père, une scène qui la renvoie à sa terrible situation. Son fils qu'elle a eu avec Mussolini au temps où il n'était pas encore le Duce lui a été retiré de force à cause de son obstination. Et revoir son fils sous les traits du Kid la bouleverse. Elle pleure devant cet instant déchirant mais au lieu de sombrer dans la tristesse, elle applaudit de joie à la fin de film lorsque le Kid retrouve Charlot.

C'est un moment magique qui montre bien le pouvoir fascinant du cinéma et aussi le talent d'un metteur en scène qui déjoue ce que pourrait attendre le spectateur en filmant cette femme croyant encore qu'elle reverra un jour son fils. Malheureusement, la réalité sera tout autre et Ida Asler mourra dans l'indifférence générale, enterrée dans une fosse commune.

Filippo Timi et Giovanna Mezzogiorno 

C'est une histoire oubliée des italiens dans laquelle Marco Bellocchio s'est plongée avec passion. Ida Asler est une femme de bonne famille.  En 1913, à  Trente, elle rencontre le jeune Benito Mussolini. Ils deviennent des amants et vivent une flamboyante liaison. La jeune femme lui cède tout son patrimoine pour qu'il créée son journal Le Poppolo d'Italia. Elle tombe enceinte et Mussolini reconnait l'enfant. A son retour de la guerre, alors qu'il s'est entretemps marié avec une autre femme, il renie Ida et son fils. Elle n'aura alors de cesse de revendiquer sa qualité d'épouse légitime et de mère du fils aîné de Mussolini...

On peut comparer cette histoire aux plus grandes tragédies grecques dans lesquelles l'héroïne est prête à tout pour sauver sa dignité et faire valoir ce qu'il lui appartient. L'actrice Giovanna Mezzogiorno a cette rage et cette inconsciente qui font les grandes tragédiennes. L'intensité de son regard et l'obstination dont elle fait preuve secouent le spectateur. L'une des forces de Bellocchio est ne pas avoir rendu son personnage sympathique, avec des aspects parfois déplaisants. Elle aime Mussolini, l'homme mais aussi ses idées. Elle se lance dans un combat dont elle ne mesure pas forcément les conséquences en prenant des risques pour la vie de son fils.


Au moment où Mussolini devient le Duce, l'acteur Filippo Timi disparait pour laisser place aux images d'archives. C'est la grande idée de Bellochio, d'avoir ainsi placé son héroïne face à l'image publique de son ancien amant et non plus face à l'homme qu'elle a connu. Une distanciation magistralement orchestrée qui fonctionne grâce à  une mise en scène opératique dans laquelle la musique joue un rôle essentiel. Bellocchio n'a pas hésité à demander à son compositeur Carlo Crivelli d'écrire une partition lyrique en décalage absolu avec le modernisme actuel. L'autre grandiose audace est d'avoir fait joué le fils de Mussolini par le même acteur qui l'incarnait jeune. Et dans une scène stupéfiante où des camarades du fils lui demandent d'imiter son père, Bellocchio filme la détresse d'un jeune homme parodiant le Duce avec un étonnant mimétisme, un père qui n'aura exister à ses yeux qu'à travers des images impersonnelles et lointaines.

Bellocchio n'a pas voulu réaliser un film politique qui dissèque les années noires du fascime. Un peu à la manière d'Ettore Scola qui, dans Une Journée Particulière, disait tout du régime en utilisant juste le son d'une parade militaire, le réalisateur de Biorgonno Notte nous rappelle qu'à travers cette histoire personnelle, c'est toute une nation qui a préféré fermer les yeux et suivre aveuglémement un homme mener ses terribles desseins. Et le dernier regard qu'adresse Ida à la caméra, comme une provocation faite au spectateur, n'en n'est que plus troublant.

Antoine Jullien




Les limites de Jim Jarmusch


Avant de découvrir son nouveau film, Jim Jarmusch nous met en garde : "Vous ne devez pas avoir de grandes attentes" et ajoute que "l'effet recherché, c'est un peu celui qu'on peut avoir en consommant des champignons hallucinogènes". Et le film commence. Un mystérieux personnage (Isaach de Bankolé) doit remplir un contrat. Qui est-il ? Un tueur à gages ? Nous n'en saurons rien. Toujours est-il qu'il aime s'assoir à la terrasse des cafés où il commande systématiquement deux expressos, se balader dans les rues, visiter un musée où il s'arrête regarder pendant un long moment un seul tableau, différent à chaque fois. Et puis il rentre chez lui. Et rencontre des complices qui lui font passer des messages codés dans des boîtes d'allumettes, messages lus puis avalés illico...

Jarmusch surprend dès le départ. Cette arrivée à Madrid, filmée comme une sarabande visuelle avec cette succession de plans syncopés avec la musique, est une entrée en matière envoûtante. La suite, à savoir les déambulations du "tueur" dans la capitale ibérique, imprègnent la rétine grâce à un savant travail sur les cadrages, en plongée et en contre plongée, dans lesquels il n'hésite pas à bousculer la perspective. Le spectateur a alors une étrange sensation d'instabilité renforcée par un montage d'une extraordinaire précision et qui donne toute sa place aux silences imposants de ce "tueur" mutique. Ces silences sont interrompus par l'apparition  des complices, parmi lesquelles Tilda Swinton en improbable femme fatale coiffée d'une perruque argentée. Elle lui parle de cinéma et d'autres choses... et elle repart comme elle est venue. A cet instant, on est encore conquis par cet esthétisme sans pour autant être convaincu que Jarmusch puisse tenir la corde pendant deux heures.

Isaach de Bankolé

Rapidement, le principe de répétition devient son idée fixe. Il répète, dans d'autres villes d'Espagne, ces déambulations et ces échanges à l'infini, avec des acteurs amis de passage (Gael Garcia Bernal, John Hurt, Bill Murray...). Il n'a écrit qu'un scénario de vingt cinq pages, agrémenté au fur et à mesure du tournage de dialogues écrit parfois le jour même. En réaction probable à son film précédent Broken Flowers qui avait eu le "malheur" de rencontrer le succès et de placer enfin Jarmusch dans le système, le cinéaste nous en délivre l'antithèse et un rêve de cinéma européen qui le fascine depuis toujours. Il le dit lui-même : "Qu'est-ce que ça donnerait si Jacques Rivette tournait un remake du chef d'œuvre de John Boorman Le Point de non-retour (Point Blank) ? 

Bien qu'il ait rendu hommage au réalisateur de Délivrance en baptisant sa société de production PointBlankFilms, il semble n'avoir retenu que Rivette, avec Antonioni en ligne de mire. Ses personnages, à commencer par Isaach de Bankolée, sont des images fixes et désincarnées et non des êtres de chair et de sang. Cette tentation de la pose, qui a parfois été le péché mignon du cinéaste, était auparavant contrebalancée par une ironie et un humour décalés. Elle trouve ici ses cruelles limites. On pourrait même trouver franchement irritante cette posture qui consiste à faire dire à ses acteurs, avec un sérieux d'évêque, LA phrase clef pour bien nous faire comprendre l'importance philosophique du propos. 

Gael Garcia Bernal, Isaach de Bankolé et Jim Jarmusch 

On préfèrera plutôt ne pas porter plus d'intérêt qu'il n'en faut à une "oeuvre" dans laquelle le cinéaste s'est manifestement perdu, se fourvoyant dans un cinéma qui n'est finalement pas le sien. Jarmusch est resté dans l'illusion du super-auteur qui va, au gré de son inspiration, repousser les limites de son art. Mais c'est un art boiteux sur lequel on peut dire tout et son contraire. "Hypnotique", "sensoriel", "labyrinthique", voilà probablement les mots qui reviendront dans la bouche des fans fantasmant sur un film qu'ils auraient voulu voir. Et je vois déjà les interprétations sur le tableau blanc que regarde fixement le "tueur" : une allégorie de notre civilisation ? Le néant comme refuge ultime ? Ou rien de tout cela ?...

Les réalisateurs ont raison de désarçonner leur public, de repartir de zéro, de se laisser surprendre et de s'interroger sur le sens qu'ils veulent donner. La démarche de Jim Jarmsuch est sincère, assurément, et peut-être que l'on est passé à côté d'un film majeur. Mais comme toute critique est subjective, c'est le ressenti qui compte. Et il est bien tiède. Qu'est-ce qu'on a vu au fait ? Un brillant court métrage ? Un interminable long (long) métrage ? A vous de trancher.

Antoine Jullien

mardi 1 décembre 2009

Michael le vilain


Michael Moore en a marre. Marre d'être le porte-drapeau des laissés-pour-compte de l'Amérique. Marre de faire de la provoque pour que les choses changent enfin. C'est ce qu'il nous dit dans les dernières images de son nouveau pamphlet alors qu'il vient juste d'encercler Wall Street comme une scène de crime. Les financiers sans scrupule de Big Apple, voilà le diable selon Michael Moore, les responsables d'une tragédie qui a conduit les USA à la banqueroute et le capitalisme au bord de la schizophrénie. Vous le saviez déjà ? Le réalisateur de Bowling For Colombine nous le rappelle à sa manière, tonitruante et sans nuance.

Il commence par faire une attaque en règle du capitalisme d'aujourd'hui en prenant plusieurs exemples isolés qui, mis bout à bout, font mouche. Le plus spectaculaire est celui où l'on voit des entreprises contracter des assurances vie, des contrats surnommés "Dead Peasants" (les paysans morts) sur le dos de leurs employés, où quand le salarié devient plus rentable mort que vivant. Le cynisme poussé à son paroxysme. Michael Moore, peu avare en facilités et raccourcis, boit du petit lait et on ne bronche pas, accablé devant tant d'immoralité mais un peu agacé par le sentiment d'être manipulé sans jamais avoir eu le moyen de se faire sa propre opinion.

Michael Moore

Il n'y a aucune forme de journalisme là-dedans, Michael Moore ne se prétend pas grand reporter. Il nous livre un tract souvent efficace et parfois très drôle notamment quand il fait parler une jeune femme, agent immobilier, comme un parrain mafieux. Il a aussi une manière pertinente de nous expliquer le principe des subprimes : une maison , c'est comme une banque sur laquelle il faut investir même si les taux d'intérêt sont vertigineux. "La banque de vous", slogan éloquent, simplificateur mais très parlant.

Et puis dans la deuxième partie, il tire à boulets rouges sur les "criminels" de Wall Street , à savoir les financiers soutenus par l'administration Bush dans le délire de la dérégulation. Chacun en prend pour son grade, à commencer par Henry Paulson, Secrétaire au Trésor et ancien président de Golman Sachs.

Que Michael Moore prône, au pays du roi dollar, un changement de système, une lutte des classes dans laquelle il oppose riches et pauvres, c'est une prise de position démagogique mais courageuse. Sauf qu'il n'est pas un homme politique et que contrairement à ce qu'il prétend, le nouveau président américain n'est pas le sauveur qui va tout changer. La réalité est toujours plus complexe.



Albert Dupontel nous revient avec Le Vilain, son quatrième long métrage. Pour échapper à ses anciens complices, un braqueur de banques trouve refuge chez sa mère qu'il n'a pas revu depuis vingt ans. La brave femme voudrait mourir tranquillement mais le ciel semble se refuser à elle. Jusqu'à ce qu'elle découvre que son fils est un horrible rejeton malfaisant et qu'elle est bien décidée à le remettre sur le droit chemin.

Pour la première fois, Dupontel se met en scène face avec une comédienne de poids, Catherine Frot, qui s'est vieillie de vingt ans pour l'occasion. Dès leur première rencontre, le duo fait des étincelles et le talent comique de l'actrice fonctionne à plein régime. Les situations burlesques s'enchaînent et Dupontel fait une nouvelle fois preuve de son talent d'iconoclaste inclassable. Il a surtout l'art de faire exister ses personnages, principaux comme secondaires, et à ce titre, Nicolas Marié, en médecin fou qui doit soigner des blessures par balles à répétition, et Bouli Lanners, en promoteur véreux, sont particulièrement jouissifs.

Catherine Frot et Albert Dupontel 

Dupontel s'en tient à un quasi huis-clos qu'il parsème de gags acides dans lesquels une tortue joue un grand rôle. Même si le cinéaste se répète en utilisant le point de vue subjectif de l'animal (il l'avait déjà fait pour le chat du Créateur), le réalisateur s'amuse et joue avec délectation de la méchanceté de son "héros". L'acteur trouve alors une liberté de jeu qu'on ne trouve pas chez les autres cinéastes avec lesquels il tourne. Le revers de la médaille, c'est qu'il finit pas laisser Catherine Frot au bord de la route, de plus en plus livrée à elle-même.

Un film plus tendre, moins politiquement incorrect que les précédents même si Dupontel ne peut s'empêcher de terminer par une dernière pirouette de sale gosse. Il s'est assagi mais ne s'est pas rangé pour autant. Sa petite musique fait toujours du bien dans un paysage cinématographique français bien timoré. Esperons seulement qu'après ce probable succès, il remette toute son énergie dans un film plus dévastateur que cet aimable vilain.

Antoine Jullien 

lundi 30 novembre 2009

In the loop


Un ministre un peu hagard sort d'une réunion dans laquelle il vient de faire de la figuration. Vexé d'avoir ainsi été traité, il décide de parler aux journalistes, librement. Il leur dit alors : " Pour l'avion dans le brouillard, la montagne est imprévisible mais soudain bien réelle et imprévisible". Imprévisible, voilà le mot qui a déclenché toute l'affaire et qui provoque la panique au plus haut sommet de l'état britannique. Imprévisible, c'est la guerre qui se prépare contre un pays du Moyen Orient. Et toutes les moyens sont bons pour partir au combat même si les arguments anti-guerre ont plus de poids que ceux de dirigeants bellicistes. Bien entendu, toute similitude avec un conflit passé n'est pas fortuite.

Le mot Irak n'est d'ailleurs jamais prononcé et pourtant on y pense à chaque seconde. Armando Iannucci, le réalisateur de cette incroyable farce politique, adapte avec succès la série dont il était l'un des auteurs, The Thick of it. Soit les tribulations de Malcom Tucker, conseiller en communication du premier Ministre anglais,  chargé de vendre à tout prix la guerre au monde entier, utilisant pour cela un ministre falot et un peu crétin flanqué de son conseiller fraîchement arrivé. Le tandem s'envole pour Washington rencontrer les dirigeants américains parmi lesquels le secrétaire d'état à la Défense et son équipe de choc.

C'est une comédie, hilarante, dont les dialogues seront à décortiquer tant ils sont brillants, caustiques et parfaitement "british". Un scénario éblouissant, écrit à quatre mains, extrêmement bavard où les personnages se jaugent, s'insultent, se tournent autour pour finalement se bouffer les uns les autres. Tous ceux qui envient les politiques risquent fortement d'être désappointés par le tableau brossé par le cinéaste. Un monde de fous, à proprement parler, peuplé de créatures cyniques et sans foi ni loi mais surtout totalement déconnectés d'un monde qu'ils n'ont plus l'air de comprendre, acteurs malgré eux d'un théâtre de guignols. Lorsqu' un général de l'armée américaine discute avec une secrétaire d'état au sujet du nombre de soldats envoyés au front, au milieu d'une chambre d'enfants et avec un jouet comme machine à calcul, l'asile semble proche. Et pourtant, des sénateurs américains auraient déclaré à la sortie de la projection que "c'est comme cela que ça s'est passé".


Un directeur de la communication qui manipule son monde et qui est finalement le vrai dirigeant, est-ce proche de la réalité ? Le personnage de Malcom Tucker, génialement interprété par Peter Capaldi, qui jure et insulte plus que tous les personnages de Scorsese et Tarantino réunis, serait inspiré d'Alastair Campbell, le dir' com de Tony Blair de 1997 à 2003. Celui-ci a trouvé que le film donnait un visage grossier et vénal de la politique. Il donne surtout le tournis grâce à un humour ravageur et d'une rare férocité.

A la fin, on sort harassé et presque gêné d'avoir tant ri car tout ceci fait terriblement froid dans le dos. Malcom Tucker a cette phrase sans appel : "Celui qui n'a qu'un renseignement est le roi". Et il gagne. Un mensonge éhonté parvient à triompher de ceux qui osent croire encore en la politique, au sens noble du terme. Mais la noblesse est bien la dernière préoccupation d'hommes et de femmes qui n'ont qu'un seul et unique objectif : le pouvoir. Armando Ianucci nous propose d'en rire. Il serait inconvenant de refuser l'invitation.

Antoine Jullien




lundi 23 novembre 2009

L'enfer et Rapt


Henri-Georges Clouzot est un grand cinéaste, nous le savions. Le Salaire de la Peur, Le Corbeau, Les Diaboliques en témoignent. On ne savait pas en revanche qu'il voulait être un cinéaste expérimental. C'est l'une des nombreuses choses que l'on apprend en regardant le documentaire que Serge Bromberg consacre au film inachevé de Clouzot, justement intitulé l'Enfer, l'histoire d'une jalousie maladive et obsessionnelle de Marcel Prieur pour sa femme.

En 1964, Clouzot est au faîte de sa gloire et rien ne peut lui être refusé. Pour cet "Enfer", il engage Serge Reggiani et Romy Schneider et leur fait passer des essais filmés pendant de longs mois. Des essais que nous pouvons voir pour la première fois et qui dégagent une étrange fascination : revoir Romy Schneider comme on ne la connaissait pas, assister aux expérimentations hypnotiques de Clouzot qui était passionné par l'art cinétique et les"coïts visuels". Une entreprise avant-gardiste, hors norme pour l'époque (et encore aujourd'hui) qui avait tellement plu à la Colombia que le studio décida d'accorder à Clouzot un budget illimité.

Et c'est le début des ennuis. Un tournage qui n'en finit pas, un Clouzot colérique et tortionnaire, un Serge Reggiani à bout, des techniciens qui ne comprennent plus ce qu'ils font là... jusqu'au départ de Reggiani et la crise de cardiaque de Clouzot qui enterreront définitivement le projet.

Des témoins racontent cette odysée parmi lesquels Costa-Gavras, à l'époque assistant du cinéaste, et William Lubtchansky, jeune opérateur. Les avis divergent parfois mais tous admettent que le film ne pouvait que mal se finir. Outre les essais, on a le privilège de voir certaines scènes tournées parmi les 185 bobines retrouvées par Bromberg. A la vue des ces images, on se dit qu'on a probablement raté un chef d'œuvre, en tous les cas un film qui aurait fait date. Mais c'est un vrai plaisir de cinéphile que de se replonger dans le monde d'un cinéaste démiurge et caractériel allant jusqu'au bout de sa création et qui finira par se brûler les ailes.



Lucas Belvaux, lui-aussi, exhume du passé une douloureuse affaire, à savoir l'enlèvement du baron Empain en 1978. Le cinéaste transpose l'intrigue de nos jours. Stanislas Graff est un capitaine d'industrie enlevé un matin alors qu'il partait de chez lui. Les ravisseurs réclament cinquante millions d'euros. Durant sa détention, on va découvrir la double vie du grand patron et les difficiles tractations entre la police et la famille pour obtenir la rançon.

Un sujet fort malheureusement desservi par une mise en scène incroyablement poussive. Lucas Belvaux avait pourtant de nombreux atouts en main qu'il gâche à chaque occasion. Absence de suspense et de tension à cause d'un va-et-vient permanent entre l'otage et la police, une direction d'acteurs catastrophique (rendre Anne Consigny aussi terne, ça tient du prodige), un manque évident de crédibilité par rapport à l'enquête et surtout une absence totale de point de vue et l'on finit par se demander ce qui a bien pu motiver Belvaux dans cette histoire.

Il faut attendre la dernière demi-heure pour que l'on s'intéresse enfin à l'affaire. Revenu chez lui comme un coupable plus que comme une victime, Graff va devoir affronter sa libération comme un purgatoire et non comme une délivrance. Et Yvan Attal, le seul à sauver le film, amène suffisamment de fierté et d'ambiguité à son personnage pour qu'on y croie. Mais que c'était long !

Antoine Jullien 

L'imaginarium du Docteur Gilliam


Le docteur Parnassus (Christopher Plummer) a mille ans. Il tient une sorte de théâtre ambulant dans lequel les spectateurs ont la possibilité de traverser le miroir et vivre leur propre imaginaire. Mais le Docteur a pactisé avec le diable et doit gagner son pari s'il veut sauver Valentina (Lily Cole), sa fille de seize ans. D'autant plus qu'un mystérieux personnage, Tony (Heath Ledger), va chambouler le cœur de la belle.

Signé Terry Gilliam, comme une évidence. Le réalisateur de Brazil et des Aventures du Baron de Munchaausen a toujours aimé les mondes étranges dans lesquels ses personnages s'évadent. Mais Gilliam a sans doute, comme il l'avoue lui-même, réalisé son film le plus personnel. Parnassus est bien le double du réalisateur, un personnage un peu désabusé mais croyant encore au pouvoir de l'imagination. Le cinéma de Gilliam et la réalité chaotique de ses récentes entreprises (cf. le fiasco Don Quichotte) se sont tellement confondues qu'on en oublierait presque le film lui-même. Et à nouveau, le cinéaste a fait parler de lui mais pas pour les raisons espérées : son acteur principal, le regretté Heath Ledger, est mort en plein tournage. Le projet paraissait abandonné lorsque Gilliam eut l'idée de génie de confier le rôle à trois comédiens et pas des moindres : Jude Law, Colin Farrel et son fidèle compagnon Johnny Depp. Le désastre annoncé s'est transformé en miracle, ou quand le tragique finit par devenir magique.

Heath Ledger et Andrew Garfield

Car tout l'intérêt de cet Imaginarium est d'avoir fait endosser aux trois comédiens le même personnage mais sous des aspects différents. En effet, dès qu' Heath Ledger traverse le miroir, il réapparait sous les traits d'un autre. Et Gilliam en profite pour composer différents mondes intérieurs en fonction des états du personnage. Au fur et à mesure des aventures dans l'imaginarium, le personnage de Tony se dessine progressivement, espiègle et charmeur au début, beaucoup plus sombre à la fin. C'est toute l'originalité d'un film parfois inégal mais constamment rattrapé par ses prouesses visuelles. Le talent de styliste de Gilliam explose alors et il compose d'ahurissantes séquences où, pour une fois, le numérique fait des merveilles. Des images merveilleuses comme la danse entre le diable (inattendu Tom Waits) et Valentina au milieu de morceaux de miroirs qui virevoltent autour d'eux. Ou encore un décor qui se décompose comme un puzzle. Face à cet univers débridé s'oppose un Londres quotidien et réaliste très convaincant.

Au gré d'un récit complexe et parfois obscur (un revisionnage s'impose), l'imaginaire finira par triompher tout comme Gilliam qui est venu à bout de son oeuvre. Une belle mise en abyme qui prouve qu'on peut encore réaliser des films en misant sur la capacité d'émerveillement du public tout en restant intègre et accessible. Cela a toujours été l'ambition du cinéaste. A coup sûr, il y est parvenu et signe son meilleur film depuis l'Armée des 12 singes.

Antoine Jullien

Les Herbes Folles


Une petite fille demande à sa maman : "Quand je serai un chat, est-ce que je pourrai manger des croquettes ? " Et puis le générique de fin arrive. Et on ne sait plus très bien ce qui nous arrive à nous, spectateur. Encore un tour de ce vieux magicien d'Alain Resnais, se dit-on...

N'importe quel cinéaste qui oserait terminer son film ainsi se ferait rabrouer par son producteur au prétexte qu'il n'est pas convenable de laisser le spectateur dans l'expectative, qu'il n'est tout simplement pas convenable de finir là-dessus. Mais Alain Resnais, lui, peut tout se permettre. Avoir quatre vingt six printemps apporte tout de même quelques avantages... Mais il n'est jamais dans la coquetterie ou la suffisance d'un cinéaste qui veut à tout prix épater la galerie. Il est libre de tout tenter...

Le pitch est des plus simples : Marguerite Muir se fait voler son sac alors qu'elle vient de s'acheter une paire de chaussures pour des pieds qui ne sont "pas ordinaires". Par hasard, Georges Palet retrouve le portefeuille de la dame dans un parking. Il le donne à la police. Quelques temps plus tard, la dame décide de remercier le monsieur qui en attendait plus. Le désir de désir n'est pas prêt de s'estomper...

André Dussollier et Sabine Azema 

Alain Resnais adapte un récit de Christian Gailly auquel il s'est juré une totale fidélité. S'il inscrit à chacun de ses films l'appellation : "réalisation : Alain Resnais", c'est qu'il se considère avant tout comme un homme qui met en images les mots de autres. Et les mots de Gailly ne sont pas évidents à mettre en scène. Resnais utilise pour cela la voix off du narrateur, Edouard Baer, et celle des personnages, André Dussollier et Sabine Azéma. Des voix qui s'interrompent, se reprennent, bafouillent, se contredisent parfois. Ce sont bien là les herbes folles qui poussent à travers les trottoirs sans explication rationnelle. Les êtres chez Resnais sont contradiction et imprévisibilité, en permanence. Et l'homme a, osons le dire, un certain génie pour faire passer au spectateur cette étrange impression d'instabilité.

Comme le scientifique de Mon Oncle d'Amérique, Resnais se sert  de ses personnages presque comme des cobayes à qui il fait faire de folles expériences, par la grâce d'une mise en scène proprement aérienne (le personnage d'Azéma est une aviatrice), d'une élégance (la séquence du vol du sac, filmée comme un ballet), d'une invention (l'utilisation des voix off) et d'une virtuosité (il procède plusieurs fois à des changements temporels dans une même séquence) souvent impressionnantes. Eric Gautier, son chef opérateur depuis deux films, dit du cinéaste qu'il filme sans filet, sans se couvrir, en sachant exactement ce qu'il veut au montage. C'est un risque pour tout réalisateur, même lui, de faire totalement confiance à son imaginaire. C'est grâce au travail sur les couleurs et les décors qui donnent au film une esthétique proche du surréalisme que l'on accepte cet univers, si l'on est prêt un tant soit peu à s'aventurer vers l'inconnu.

Alain Resnais

L'inquiétude et la drôlerie se mêlent, s'emmêlent même, et Resnais déjoue à chaque scène ce qu'on pouvait espérer ou redouter de la précédente. Pourquoi Georges Pallet veut-il cette femme ? Pourquoi sa femme a t'-elle l'air de vouloir que son mari la trompe ? Et pourquoi Marguerite Muir finit-elle par vouloir revoir un homme qu'elle ne connait pas et qui somme toute, a un comportement plutôt bizarre ? Parce que les êtres sont insaisissables et que Resnais va jusqu'au bout de cette logique. Dussollier, par exemple, est un drôle de type au passé trouble qu'on ne connaitra jamais.

Pourtant, au bout d'une heure et demie, les herbes commencent à sécher, se font moins viviviantes, plus statiques et on se dit que finalement, tout cela est un peu vain. Mais une dernière séquence dans les airs nous ramène à ce qui nous a tant scotché : le refus des conventions, l'absurde tragique, le "nonsens" absolu. Les personnages de Resnais sont peut-être des cobayes et même si on ne peut pas avoir d'empathie pour eux, force est de constater qu'ils continueront longtemps à voler au dessus de nos têtes.

Antoine Jullien

vendredi 6 novembre 2009

Il était une fois Sergio Leone


"La révolution, ce n'est ni un dîner mondain, ni un événement littéraire, un dessin ou une broderie. Elle ne peut-être conduite avec élégance, avec délicatesse, avec grâce et courtoisie. La révolution est un acte de violence."  

Cette maxime, signée Mao Tse-Tung, placée en ouverture du film, a provoqué en 1971 l'ire des américains qui y ont vu une apologie de la révolte et du communisme. Elle fut donc supprimée, comme plus de vingt minutes du montage initial. Les européens ont eu la chance, eux, de voir le film dans sa version intégrale qui ressort aujourd'hui.

Il était une fois la révolution est le moins connu des films de Sergio Leone, tourné entre Il était une fois dans l'ouest et Il était une fois en Amérique. Il mérite pourtant largement un revisionnage tant la grandeur stylistique de cinéaste explose à chaque instant.

Mexique, 1913. Juan, un mexicain pilleur de diligence et John, ancien membre de l'IRA spécialiste en explosifs, décident de dévaliser la banque centrale de Mesa Verde mais ils vont vite se retrouver plonger au cœur de la tourmente de la révolution mexicaine...

La démythification de l'Amérique, de ses valeurs et de ses héros est une constante dans l'œuvre de Leone. La révolution est forcément sale, sanglante, dénuée d'héroïsme et de glorification. Il pousse même l'ironie jusqu'à faire endosser à un bandit les habits de leader d'une révolte qui le dépasse.

Sergio Leone

Deux comédiens, deux gueules inoubliables, Rod Steiger et James Coburn, lointains cousins de Clint Eastwood et Eli Walach, emportés dans un tourbillon d'images, de sons, de fureur et de cinémascope. Sergio Leone a pendant longtemps été considéré comme un habile faiseur, pasticheur de western et avide de gros plans. Sa courte filmographie prouve au contraire la maturité du bonhomme, son regard sans concession sur l'espèce humaine et son inventivité permanente en reprenant à son compte un genre qu'il subvertit génialement, aidé bien sûr par la musique d' Ennio Morricone qui signe ici sa partition la plus surprenante.

Un très grand cinéaste pour un grand film amer et ambigu. Leone attendra douze ans avant de réaliser son ultime opus, Il était une fois en Amérique, soit l'un des plus beaux films du monde. Mais c'est déjà une autre histoire...

Antoine Jullien

jeudi 5 novembre 2009

Micmacs au village



Micmacs à tire-larigot. Jean-Pierre Jeunet aimé décidément les titres à rallonge tout comme les expressions d'un autre temps qu'il s'amuse à réemployer dans la bouche de ses comédiens, ici Omar Sy dans le rôle de Remington, l'un des chiffonniers ami et complice de Bazil (Dany Boon) qui, suite à une balle perdue reçue dans le crâne, est bien décidé à se venger de deux canailles marchands d'armes (André Dussollier et Nicolas Marié).

L'histoire n'est donc pas d'une grande originalité mais on était curieux de voir de quelle manière Jeunet aller aborder ce monde obscur et redoutable des "marchands de la mort". Et bien il le fait très "gentiment". Le réalisateur a sans cesse le cul entre deux chaises et tente de concocter une mixture entre Amélie Poulain pour sa fantaisie débridée et Délicatessen pour ses trognes et son inquiétante étrangeté. Le pari est perdu des deux côtés et pour faire référence au personnage de Yolande Moreau, la "tambouille" ne prend pas et manque cruellement de saveur.

Dany Boon et Jean-Pierre Marielle

Le cinéaste semble cette fois étranger à ce qu'il raconte, recyclant ses idées et s'autocitant plus que de raison (plusieurs affiches de Micmacs à tire-larigot apparaissent tout au long du film). Chacun fait bien son travail dans son coin mais sans jamais dégager l'osmose qui faisait tout le charme de ses précédents films. De la bonne ouvrage dont on voit les mécanismes et les rustines et dont on finit même par se lasser. La faute aussi à un scénario étonnamment faible, sans enjeu véritable, sans personnage réellement consistant.

Jeunet a fait ce film presque par accident, après avoir travaillé pendant des années sur l'adaptation de L'histoire de Pi pour le compte d'un studio hollywoodien. Le projet, trop lourd à financer, a été abandonné. Regrettable décision car le cinéaste se serait emparé d'un matériau tout à fait nouveau et aurait peut-être atteint une autre dimension. Là, il faut se contenter d'un plat réchauffé. Heureusement, ses qualités hors pair de conteur ne se sont pas envolées et au détour d'un plan, on retrouve le style Jeunet.

Il est donc inutile de taper, comme le font certains critiques aigres et vengeurs, sur un homme qui a bouleversé le paysage cinématographique français par ses trouvailles, son sens visuel imparable, ses gueules inoubliables, son imagerie rétro... Un coup de pompe peut arriver aux meilleurs mais si l'on doit attendre cinq ans entre chacun de ses films, la remise en forme s'avèrera indispensable !



Plus inattendu et beaucoup plus audacieux, voici Panique au Village de Vincent Patar et Stéphane Aubier. A l'origine, c'était une série télévisée de vingt épisodes diffusée sur Canal + en 2003. Les auteurs ont décidé d'en faire un long métrage, court (1h15), avec les voix d'origine (dont celle de Benoît Poelvoorde). 

L'histoire importe peu, c'est le procédé qui surprend :  une animation image par image de figurines pour enfants représentant, entre autre, un cheval, un cowboy et un indien...  A l'inverse du formidable Mary et Max dont la forme était accessible mais le fond beaucoup plus adulte, Panique au village reste très enfantin mais peut désarçonner par son animation pas très fluide et des voix parfois à peine audibles.


Mais curieusement, ces défauts se transforment en qualités et une vivifiante énergie créatrice se dégage de cet ovni, et surtout un humour typiquement belge des plus réjouissants. On se laisse vite embarquer par cet improbable trio dont les aventures deviennent de plus en plus délirantes, au risque d'un j'm foutisme sympathique mais un peu "too much".

Même si l'ensemble s'essoufle un peu, force est de constater que nos amis belges ne sont pas seulement les maîtres de la bande dessinée. Ils marquent un grand coup en nous offrant un moment drôle et absurde, pour petits et grands.

Antoine Jullien

vendredi 30 octobre 2009

Sin Nombre


Une jeune femme originaire du Honduras fuit son pays en montant clandestinement dans un train en direction des Etats-Unis. Pendant ce temps, au Mexique, un jeune homme faisant partie du redoutable gang la Mara tue l'un d'entre eux et se réfugie dans le même train. Deux âmes en quête d'exil vont se rencontrer...

Le réalisateur de ce premier long métrage prometteur, Cary Joji Fukanaga, est d'origines multiples, suédois par sa mère, japonais par son père, américain de naissance. Il a réussi à capter, avec beaucoup de vérité, la réalité de ces milliers de migrants d'Amérique centrale qui fuient leur pays en quête d'un eldorado inaccessible avec à chaque seconde la crainte d'être traqué, arrêté et reconduit à la frontière. Mais c'est dans la description du terrifiant gang La Mara que le réalisateur fait mouche en filmant ces tous jeunes gens révolver à la main comme si on leur en avait offert un dès la naissance. Il renvoie au mémorable La cité de Dieu de Fernando Meireilles où l'on voyait des gosses déchaînés commettre les pires atrocités. C'est cette même violence crue, parfois insoutenable, qui secoue d'emblée.

Paulina Gaitan et Edgar Flores

Le film déroule par la suite un récit plus balisé qui donne une légère impression de déjà vu. Quelques facilités scénaristiques comme l'inévitable histoire d'amour entre les deux migrants atténue la portée d'un film peut-être moins radical qu'il l'aurait voulu.

Mais pour un premier film, la maîtrise dont fait preuve le jeune cinéaste est remarquable et sa direction d'acteurs l'est tout autant, en particulier envers le personnage du jeune rebelle campé avec beaucoup de conviction par Edgar Florès.

Un cinéaste à suivre, donc. En espérant seulement que dans son prochain film, il s'affranchisse davantage d'un genre pour aller vers des audaces plus personnelles et plus intimes.

Antoine Jullien




jeudi 29 octobre 2009

Le Ruban blanc


Des parents nouent dans les cheveux de leur progéniture un ruban blanc, le symbole à leurs yeux de la pureté et de l'innocence. Le blanc est la couleur presque envahissante d'un film paradoxalement extrêmement noir. Mais dès lors qu'il s'agit de Michael Haneke derrière la caméra, on se doute bien que le manichéisme ne sera pas de mise.

Un petit village de l'Allemagne en 1913. Une série d'évènements étranges se succèdent sans qu'on en connaisse les raisons ni le ou les auteurs : une grange qui brûle, un mystérieux accident de cheval, des enfants torturés... les racines du mal chères au cinéaste protestant sont bien là. 

Pourtant, Haneke, l'homme de la "glaciation émotionnelle" (terme un peu théorique il est vrai) n'utilise plus tout à fait la même méthode. Dès les premières minutes, on est surpris par l'emploi d'une voix off, en l'occurrence celle du narrateur qui est le professeur du village. Jamais jusqu'à présent le cinéaste n'avait employé ce procédé, préférant faire parler l'image, sans autre forme de discours. Mais progressivement, cette voix off va s'effacer et se distancier elle-aussi peu à peu des évènements montrés.


La puissance du cinéma d'Haneke réside dans sa volonté constante de porter un regard sans complaisance ni concession sur la violence en obligeant le spectateur à faire lui-même son propre travail de décryptage. Il déteste toute forme de manipulation, d'où son désir de choisir des plans fixes qu'il dilate au maximum même s'il le reconnaît lui-même "le cinéma est l'art de la manipulation. Il ne faut jamais l'oublier quand on réalise des films ou quand on les regarde. Mais j'ai toujours voulu que les miens suggèrent un doute sur la réalité qu'ils montrent et que le spectateur s'infiltre dans ce doute".

Le doute s'insinue bien, avec à la clef cette question : qui sont les coupables ? Dans le dernier plan de Caché (un de ses meilleurs films), le réalisateur nous donnait un élément de réponse sans que le spectateur n'ai aucune certitude. Cette fois encore, le doute se poursuivra après la projection mais la réponse importe peu car nous connaissons les coupables. Haneke dénonce le rigorisme poussé dans ses pires travers et le terrorisme religieux qui engendrent frustration et rancœur. Les parents, bourreaux dans l'humiliation assumée et banalisée (un enfant qui a les mains liées durant son sommeil pour ne pas éveiller de pensées impures) et les enfants, victimes consentantes. Le choix de situer l'action du film à la veille de la première guerre mondiale n'est pas un choix étranger mais il serait réducteur de cibler cette "éducation" comme seule responsable du national socialisme qui sévira vingt ans plus tard. Ce sont toutes les civilisations modernes que le cinéaste évoque et qui portent toutes en elles la tentation de faire le mal en étant persuadé de faire le bien.


La mort est l'autre grand sujet qu' Haneke aborde avec une retenue toute bressonnienne mais néanmoins terrifiante. Les morts qui parsèment le film ont soit le visage caché ou sont soit montrés à distance. Car la grande faucheuse est taboue, et c'est un petit garçon qui nous le rappelle en demandant à sa sœur : " Tout le monde doit mourir ?"

On croyait Bergman maître dans la cruauté verbale, Haneke lui damne le pion dans une saisissante séquence règlement de compte entre deux amants. La violence des mots entre adultes et celle physique infligée aux enfants sont les rouages d'un engrenage fatal. Une scène magistrale le montre bien lorsque le petit garçon,n'arrivant pas à trouver le sommeil, cherche sa sœur désespérément et va découvrir l'indicible sans le comprendre.

Tourné dans un noir en blanc somptueux avec des accents quasi fantastiques (les plans de paysages enneigés resteront longtemps en mémoire), Le Ruban Blanc, malgré son évidente austérité, est peut-être le film le plus accessible de son auteur. Sans vedette, mais avec un art du casting remarquable, en particulier chez les enfants (six mois de recherche et sept mille enfants auditionnés), Haneke nous propose une nouvelle étape tout en creusant le même sillon. Il serait regrettable de passer à côté d'autant qu'il s'agit pour une fois d'une Palme d'or méritée !

Antoine Jullien


jeudi 15 octobre 2009

Mary, Max et Milos


Des noms se retiennent plus facilement que d'autres, et dans le domaine de l'animation, c'est devenu une gageure que de sortir du lot. On pensait le trio de tête indétrônable : Pixar pour la 3D, Aardman pour la pâte à modeler (Wallace et Gromit) et Gibli pour l'animation traditionnelle (dont tous les films de Miazaki). Et bien, il faudra désormais rajouter un nom à cette prestigieuse liste : Adam Elliot. C'est le réalisateur australien de la plus belle merveille cinématographique de l'année. Et oui !

Certes, le réalisateur ne joue pas tout à fait dans la même catégorie et s'adresse, avec ce premier long métrage, à un public plus adulte. Mais tout de même ! Marier avec autant d'aisance, de facilité et de talent la vie et la mort, le drôle et le morbide, l'insolite et l'inquiétant, cela révèle du miracle ! Tout cela à travers deux personnages en pâte à modeler : Mary, une petite fille de huit ans, australienne mal aimée et morose, qui va entretenir une correspondance sur vingt ans avec Max, un juif new-yorkais bedonnant et solitaire. Ces deux êtres sont liés par le même manque affectif et par la même passion pour le chocolat. Ces deux caractéristiques résument parfaitement l'originalité du film : être sans cesse sur le fil de l'émotion et de la gravité mais rattrapé au vol par le rire et le dérision. La vie est une labeur, surtout pour ces deux êtres qui la subissent au quotidien. Mais comme ils le disent eux mêmes en forme d'encouragement mutuel, on ne choisit pas sa famille mais on choisit ses amis.


Tous les paris, les plus osés, sont franchis par ce surdoué australien. Et premier lieu tenir tout un film sur une conversation à distance entre deux êtres qui ne se connaissent pas. Une absence totale de dialogue compensée par un enchaînement étonnamment fluide entre les voix du narrateur et des deux personnages.

Et des idées en pagaille. On sort de la salle presque frustré de ne pas avoir pu retenir les innombrables trouvailles qui parsèment tout le film.

Plastiquement splendide (il n'y a donc pas qu'Aardman dans ce domaine), Mary et Max nous offre une nouvelle proposition de cinéma dans un genre qu'on pensait ultra codé. A voir et surtout à revoir de toute urgence !



Avant d'être le réalisateur consacré de Vol au dessus d'un nid de coucou et Amadeus, Milos Forman avait tourné en ex-Tchécoslovaquie ses trois premiers longs métrages, de 1963 à 1967, précédant les évènements de Prague.

Dans les deux premiers L'As de Pique (1963) et Les Amours d'une blonde (1965), il brosse le portrait d'une jeunesse insouciante et naïve, en bute à l'autorité parentale mais le fait avec un ton léger et désinvolte quoique un peu daté.

Au feu les pompiers (1968) 

En revanche, dans Au feu les pompiers (1967), le propos se fait beaucoup plus dénonciateur et met sérieusement à mal un régime ridiculisé à travers un bal de pompiers qui tourne à la farce tragique. Le film est bref, en couleur contrairement aux deux précédents, et nourri d'un humour à froid particulièrement efficace. Le film a valu d'ailleurs à l'époque des ennuis à Forman où il fut censuré et banni par le régime communiste. Il quitta alors la Tchécoslovaquie et émigra ensuite à Hollywood avec la carrière que l'on sait.

Milos Forman, un grand cinéaste exilé qui n'en n'a pas moins gardé un réel amour pour un pays martyrisé dont il a su dans sa jeunesse contourné la censure avec un humour salvateur et ces trois films que l'ont peut voir au Champo à Paris (et aussi en DVD) en sont les preuves irréfutables !

Antoine Jullien

mercredi 7 octobre 2009

Thirst et The Informant !


Deux cinéastes talentueux nous reviennent cette semaine. Tout d'abord le coréen Park Chan Wook qui a obtenu au printemps dernier le prix du Jury au Festival de Cannes pour Thirst, ceci est mon sang. Après sa trilogie sur la vengeance (Sympathy for Mr. Vengeance, Old Boy et Lady Vengeance), il s'agit cette fois d'un prêtre qui, suite à l'inoculation d'un virus, se transforme en vampire. Puis en vampire défroqué car l'ecclésiastique va tomber fou amoureux d'une jeune femme mariée à un homme qu'elle n'aime pas et sous le joug d'une belle mère qui l'a élevée mais qui la méprise.

Park Chan Wook ose alors le rapprochement avec Thérèse Raquin d'Emile Zola. C'est dire l'étonnante liberté dont jouit le cinéaste. Il reprend à son compte le film de vampire qui connait ces derniers temps une vraie renaissance (voir Twilight) en l'inscrivant dans un contexte à la fois très quotidien et très intimiste tant y apportant sa folie, douce parfois, fulgurante souvent. Il y a dans presque tous les films de Park Chan Wook plusieurs idées par plan et ce film ne déroge pas à la règle. Le cinéma coréen a sans doute trouvé en lui son plus beau représentant, prouvant une fois encore l'extrême créativité de cette jeune nation cinématographique. Déjà au mois de mars, le thriller The Chaser renouvelait un genre ultra codifié. Park Chan Wook en fait de même et parvient surtout, comme Coppola et son Dracula, a filmer l'essence même du mythe vampirique, le sang, substance de désir et de mort. C'est un amour fou qu'il nous raconte, incroyablement charnel, dévorant et souvent éclaboussé. Même si on peut lui reprocher une trop grande gourmandise (le film devrait être raccourci d'une demi heure), il réalise encore un film inclassable, émouvant et très (trop ?) sanguin.






On ne peut pas en dire autant de Steven Soderbergh qui depuis une dizaine d'années alterne projets expérimentaux à petits budgets (Bubble), réadaptations osées (Solaris) ou grosses productions classieuses (la trilogie Ocean's eleven). Mais depuis sa palme d'or précoce pour Sexe, Mensonge et Vidéo, Soderbergh a surtout excellé dans le divertissement d'auteur efficace et brillant dont le doublé Erin Brockovich / Traffic reste son plus beau fait d'arme.

Là, il nous raconte le destin de Mark Whitacre, un ingénieur d'une firme agroalimentaire, officiant comme taupe du FBI pour dénoncer les pratiques louches de ses patrons. Mais plus le temps passe et plus l'homme apparaît comme un affabulateur hors pair.

Soderbergh ne veut jamais faire comme tout le monde et ne voulait surtout pas refaire Erin Brockovich. Il opte donc pour la comédie mais de manière tellement ostensible, avec usage excessif de musique "seventies" et de couleurs chaudes, qu'il finit par rapidement lasser. Ce traitement "léger" est surtout un moyen facile pour ne pas s'attaquer à ce personnage tout à fait passionnant sur le papier mais indéchiffrable à l'écran. Tout comme l'intrigue, obscure et confuse, qui, à force de retournements tarabiscotés, irrite.

Nul point d'engagement ou de point de vue sur cette histoire vraie qui serait l'incarnation de l'arrogance du système américain et de sa faillite. Non, le cinéaste ne s'intéresse manifestement à rien de tout cela et encore moins à son personnage (pourtant joué à merveille par Matt Damon, qui a pris plus de dix kilos pour le rôle). L'escalade du mensonge, la paranonoia, voila bien des thèmes faits pour lui. Mais non, le monsieur filme, et de moins en moins bien. Quant Soderbergh ne se prend pas pour Antonioni (ne pas voir l'insupportable Girlfriend Experience), il tourne à vide. Comme quoi, avoir une palme d'Or a vingt six ans peut faire de vous un cinéaste (déjà) blasé. Triste époque.

Antoine Jullien

samedi 3 octobre 2009

Je suis heureux que ma mère soit vivante


"Je suis heureux que ma mère soit vivante". C'est la dernière phrase du film prononcée par Thomas qui aura espéré tout au long de sa jeune vie que sa mère soit "enfin" vivante. Un titre à multiples sens qui est le plus bel exemple de la richesse de premier film co-réalisé par Claude Miller et son fils Nathan.  Le père, auteur de l'Effrontée et La Classe de Neige, a déjà raconté les tourments de l'enfance. Mais avec l'apport précieux de son fils, il n'était probablement jamais aller aussi loin dans les blessures encore béantes de cet âge et la recherche d'une identité si difficile à trouver.

Thomas a été abandonné par sa mère à l'âge de cinq ans. Recueilli par une famille d'accueil avec son jeune frère, il va tenter une première fois de revoir sa "vraie" mère. Puis devenu adulte, il décide de reprendre le contact et retrouver une mère qui l'avait déjà presque oubliée.

De prime abord, le résumé de l'intrigue peut effrayer le spectateur. Certes, il ne s'agit pas du feel good movie ou l'on passe "un bon moment ", ce qui, si l'on se réfère aux chiffres de la fréquentation, semble être devenu le seul critère d'un public de moins en moins curieux. Et pourtant, chacun, à des degrés divers, peut se reconnaître dans cette histoire.

Les liens du sang, la famille qu'on n'a pas choisi, sont bien des thèmes universels que les Miller arrivent de manière étonnante à rendre terriblement émouvants sans avoir recours à aucun effet superflu. La narration, éclatée en flash backs, nourrit un récit abrupt et déconcertant, riche de séquences brèves et tendues. Le rapport de Thomas avec ses deux mères est mis sans cesse en parallèle et elles auront chacune une place capitale dans la vie du jeune homme même si les réalisateurs nous disent en filigrane que finalement, tout nous ramène à nos origines.

Les cinéastes ne sont jamais dans la psychologie des êtres, ils filment "simplement" une mère qui n'avait pas toutes les qualités entendues pour le devenir et qui va entraîner son fils vers des zones dangereuses. Le film suit progressivement des sentiers de plus en plus troubles où l'on devine que sous cette relation étrange, dans laquelle chacun a l'air de jouer un rôle, peut naître l'irréparable.

Claude Miller et son fils Nathan

Puis un coup de tonnerre survient, brutal. Le film prend alors toute sa dimension et devient réellement bouleversant. Dans la douleur, une femme prend alors conscience de tout ce qu'elle a pu manquer. Et dans un magnifique flash back où on la revoit avec ses enfants, elle leur dit "un jour, j'irai vous chercher". C'est donc maintenant que tout recommence.

Filmer l'enfance avec cette justesse et cette économie n'est pas donné à tout le monde. Grâce aux Miller, père et fils, plein d'images resteront longtemps gravées dans la mémoire : le jeune Thomas qui essaye de calmer son petit frère, le regard perdu d'une mère qui va abandonner ses enfants, le visage apaisé de l'adulte réconcilié avec lui-même. Magnifique.

Antoine Jullien

Ressortie : Victime


Il arrive parfois qu'à la sortie de la salle, on soit soudain saisi d'effroi par ce que l'on vient de voir. C'est un peu cette sensation qui accompagne le générique de fin de Victime, réalisé en 1961 par Basil Dearden et dans lequel, pour la première fois à l'écran, était prononcé le mot "homosexuel".

Un jeune homme est arrêté pour un détournement de fond. Victime en réalité d'un chantage dû à son homosexualité, il se suicide. Un brillant avocat et par la même son ancien amant, va tenter de démasquer les maîtres chanteurs, au risque de mettre en péril son mariage et sa carrière.

Sylvia Syms et Dirk Bogarde

Le film est construit comme un véritable suspense, haletant. Le réalisateur nous dépeint une sorte de société secrète dont les membres ont le malheur de pas être considérés comme "normaux". Par crainte de la dénonciation et de la condamnation, les rapports homosexuels étant punis par la loi, ces hommes se murent dans le silence et abdiquent. Heureusement, le personnage de l'avocat, magnifiquement interprété par Dirk Bogarde, va faire preuve d'un réel courage en décidant de lutter contre une loi qu'il juge injuste. Le film bascule alors dans la dénonciation efficace et enlève du même coup une ambiguïté latente tout au long de l'intrigue où les personnages acceptaient leur sort dans la résignation et la crainte.

Basil Dearden filme là l'innaceptable, à savoir l'intolérance et l'humiliation, et nous offre une œuvre sans didactisme ni facilité qui est avant tout un témoignage important d'une époque pas totalement révolue.

Antoine Jullien