dimanche 20 décembre 2009

Le père de mes enfants


Pour son deuxième long métrage, Mia Hansen-Love s'est inspiré de la vie du producteur de cinéma indépendant Humbert Balsan, où les difficultés de plus en plus insurmontables d'un homme passionné par son métier qui va se retrouver écrasé par les problèmes financiers. Cet homme a pourtant tout pour être heureux : une femme et des enfants qu'il aime. Mais ne supportant pas que sa société puisse être mise en liquidation judiciaire, il se suicide sans explication.

Ce n'est pas un crime de lèse-majesté que de révéler cette mort soudaine car elle intervient au milieu du film qui contient deux parties distinctes, l'avant et l'après. La réalisatrice filme avec une grande acuité les rouages d'une profession mal représentée, échappant ainsi aux stéréotypes ou aux fantasmes bien éloignés de la réalité. Une réalité recréée le plus fidèlement possible, sans perdre le spectateur en cours de route. Que l'on connaisse ou non le métier de producteur, on s'intéresse rapidement à ces problèmes et la brutale disparation de cet homme n'en n'est que plus douloureuse.

Louis-Do et Alice de Lencquesaing

Mia Hansen-Love a eu le talent de choisir un interprète peu connu du public, Louis-Do de Lencquesaing, qui apporte à son personnage tout le charisme et l'allure nécessaires. La direction d'acteurs n'est pas en reste et tous les comédiens, notamment les enfants, sont confondants de charme et de spontanéité. Des séquences apaisées entre parents et enfants, un couple uni dans l'adversité, on est bien aux antipodes des psychodrames familiaux chers à nos cinéastes.

Dans la deuxième partie, l'allant que la réalisatrice avait jusqu'ici su maintenir s'étiole un peu, faute d'intrigues secondaires maladroites et prévisibles. Mais elle évite tout pathos et sait avoir la juste distance entre la douleur immense de l'absence et l'envie de terminer ce qui a été entrepris. Le film se termine d'ailleurs sur un départ, serein et ensoleillé. La vie continue malgré tout.

Antoine Jullien

samedi 19 décembre 2009

Avatar


ENFIN ! Il aura fallu attendre toutes ces années pour que James Cameron vienne à bout de son projet dantesque. Film le plus cher de l'histoire du cinéma (on ne rentrera pas ici dans les querelles de budget), ambition folle, moyens illimités, tout ce qui constitue un véritable évènement cinématographique était réuni. Le cinéaste ne pouvait pas décevoir après avoir déserté la fiction pendant plus de dix ans, depuis le naufrage d'un célèbre paquebot qui l'avait intronisé "roi du monde" à jamais. Ce n'était qu'une étape dans un parcours glorieux et spectaculaire où la démesure a souvent été le maître mot. Avatar en constitue l'aboutissement. Et ça valait la peine d'attendre.

Nous sommes sur la lointaine planète Pandora. Pour endiguer une crise énergétique sur la Terre, les hommes veulent à tout prix extraire un minerai protégé par une civilisation indigène, les Na'vis. Pour tenter de les convaincre, ils engagent Jake Sully, un ancien marine, qui va entrer en contact avec ce peuple via un Avatar, une créature hybride contrôlée à distance. Il va se faire accepter d'eux mais sa mission va progressivement se retourner contre ses commanditaires... 

James Cameron a beaucoup songé aux westerns en écrivant Avatar. Un peuple opprimé envahi par une puissance étrangère renvoie bien sûr au massacre des Indiens par les Américains et plus généralement à toutes les tentatives de coloniser un peuple par la force. Cameron en profite au passage pour glisser sobrement un message écologique fort alors que le sommet de Copenhague vient d'accoucher d'une souris.

Malgré un traitement intéressant qui montre un militaire paralysé ne pouvant assouvir son âme de combattant que par l'intermédiaire d'une créature, on pourra trouver le scénario un brin convenu car il renvoie aux clichés du genre, une opposition binaire entre les bons et les méchants.  Mais ces réserves sont bien minces lorsque l'on réalise ce que le cinéaste nous propose à l'écran.

Zoe Saldana et Sam Worthington

Une date, incontestablement. Avec la 3D numérique, Cameron disait : Le relief est l'avenir du cinéma. C'est une révolution semblable à celle du parlant". Et comment lui donner tort ? Pendant 2h45, c'est un véritable éblouissement visuel auquel on assiste, une expérience inédite qui fait dorénavant rentrer le cinéma à grand spectacle dans une ère nouvelle. Pour la première fois, un réalisateur à "pensé" son film en trois dimensions, de la première à la dernière image. Oublions les temps où le relief n'était qu'un gadget pour combler le spectateur de sensations plus dignes du grand huit que du septième art.

Plus de mille personnes se sont escrimées à rendre la planète Pandora aussi réaliste, envoûtante et merveilleuse. On a le devoir de saluer ces personnes qui ont fait un travail véritablement extraordinaire. Jamais la profondeur de champ n'avait été utilisée avant tant de précision, jamais le premier plan d'une image n'avait été aussi palpable. Il fallait un grand chef d'orchestre pour arriver à un tel résultat. James Cameron, prouvant une fois encore ses qualités hors pair de conteur, est de ceux-là, et les dollars à foison, si le talent et l'invention ne sont pas de mise, n'y changent rien. Lors d'une des scènes les plus mémorables, l'Arbre si cher aux Na'vis s'effondre dans un fracas assourdissant. La sensation qu'éprouve alors le spectateur n'est comparable à nulle autre pareille.

Un émerveillement de chaque instant, un frisson continu, une immersion absolue : James Cameron a réinventé le cinéma comme spectacle total. Les spectateurs qui ont pour la première fois découvert un film sonore ou le premier tourné en Cinémascope ont du avoir cette même impression : avoir vécu un moment unique. En ces temps de piratage effréné, nous avons la chance de vivre cela à notre tour. Merci Monsieur Cameron.

Antoine Jullien

mardi 15 décembre 2009

Louise Bourgeois : l'araignée, la maîtresse et la mandarine


Il est toujours périlleux de réaliser un portrait d'un artiste, qui plus est de la grandeur de Louise Bourgeois. C'est pourtant ce pari un peu fou qui a été mené par deux réalisatrices, Amei Wallach et Marion Cajori (décédée depuis). En 1993, elles se sont immergées dans l'atelier de l'artiste, alors âgée de 82 ans, recueillant ses propos et ses interrogations sur l'art, la famille, le surréalisme, la mort, et la filmant en train de sculpter ou de peaufiner ses dernières installations.

Amei Wallach et Marion Cajori ont réussi le plus difficile : se hisser à la hauteur de cette femme immense en ne tombant pas dans le piège de l'hagiographie pompière. Louise Bourgeois a quitté la France juste avant la guerre pour aller s'installer aux USA. Elle rencontre alors des figures essentielles du surréalisme (André Breton et Marcel Duchamp) avant de se faire enfin connaître dans les années 70 jusqu'à son exposition au Musée d'art moderne de New York en 1982 qui la place comme l'une des artistes majeures du XXème siècle.


En exergue, Louis Bourgeois nous dit que l'art est une bonne manière de se connaître soi-même et de faire travailler son inconscient. Tout au long de ce parcours, on découvre on redécouvre ses œuvres majeures filmées avec une élégance et une pudeur remarquables dont les fameuses araignées ainsi que ces cellules qui dégagent tant d'étrangeté et de malaise. Elles sont la preuve éclatante du questionnement permanent de l'artiste sur son passé et sur sa famille.

Cette femme a un tempérament hors du commun et le transmet magnifiquement. Son autorité, son refus absolu des conventions, sa dureté en font une personne qui cache des abîmes de souffrance et de tristesse. Soudain, elle se met à raconter une anecdote sur son père qui la comparaissait petite à des épluchures de clémentine et l'on voit la détermination disparaitre sous de douloureux sanglots. On mesure alors les raisons qui l'ont poussée à aller aussi loin dans l'exorcisation de sa propre enfance.

Même si l'oeuvre de Louise Bourgeois vous est inconnue, n'hésitez pas à franchir la porte de son univers si singulier grâce à ce documentaire éclairant et passionnant.

Antoine Jullien 

Fehner, Chéreau and co.

QU'UN SEUL TIENNE ET LES AUTRES SUIVRONT / PERSECUTION / LA SAINTE VICTOIRE

Les fêtes approchent et les sorties sont de plus en plus nombreuses. En attendant Avatar, plusieurs films français sont à l'affiche et même si aucun d'entre eux ne déclenchent un grand enthousiasme, ils méritent que l'on s'y arrête.



Qu'un seul tienne et les autres suivront est le premier long métrage de Léa Fehner. L'histoire est complexe et il serait dommage de trop en révéler tant les différentes intrigues s'imbriquent avec aisance. Une femme qui veut venger la mort de son fils, un jeune homme qui doit accepter un deal risqué et une jeune femme qui tente de sauver son amour pour un révolté qui vient d'être incarcéré sont les trois mamelles d'un récit brut et empreint d'un romanesque peu fréquent dans le cinéma français.

Les acteurs, que la réalisatrice dit "ne pas avoir assez souvent à l'écran", sont tous remarquables à commencer par Réda Kateb, vu récemment en compagnon de cellule de Tahar Rahim dans Un prophète. D'ailleurs, ce film pourrait être une sorte de prolongement au film de Jacques Audiard, le parloir d'une prison étant le décor qui  réunira tous ces personnages. Mais Léa Fehner ne tombe pas dans les pièges du film choral où toutes les astuces scénaristiques sont déployées pour que tous les protagonistes se retrouvent par "hasard. Elle préfère les réunir dans un même endroit dans lequel chacun résoudra, seul, son drame personnel. On pourra toutefois reprocher à la réalisatrice une mise en scène d'une sobriété presque excessive, des longueurs (le film aurait mérité plus de concision) et un penchant un peu trop appuyé pour le dolorisme.


Les personnages de Patrice Chéreau ont toujours été dans la souffrance. Cette fois, dans Persécution, c'est un couple qu'il filme pour la première fois à l'écran : Romain Duris et Charlotte Gainsbourg. Lui, Daniel, est un curieux bonhomme qui vit de chantiers plus ou moins douteux. Il ne sait pas comment aimer Sonia qui maintient leur relation à une distance raisonnable. Un troisième personnage (Jean-Hugues Anglade) vient bousculer le quotidien de Daniel. Il s'introduit chez lui, l'épie, et le suit partout parce qu'il est fou amoureux de lui.

Patrice Chéreau s'est inspiré de son histoire personnelle pour disséquer ces relations très compliquées. Si compliquées qu'au bout d'un moment, ce couple nous fatigue à force de se dire "je t'aime, moi non plus". Le réalisateur nous donne sa vision du rapport amoureux, se construisant et se vivant dans la souffrance de l'autre et de soi-même. Une vision qu'on peut ne pas partager et qui n'aboutit sur rien. Il y a heureusement dans ce chaos quelques moments de tendresse, notamment lors d'une belle séquence au téléphone entre les deux amants. 

Face à des dialogues presque injouables, il fallait à Chéreau de grands comédiens. Et Romain Duris est de ceux là. L'acteur, totalement investi, est sans cesse sur le fil, souvent insupportable mais n'étant finalement pas le plus névrosé des deux. Charlotte Gainsbourg confirme une présence magnétique et évanescente. Quant à Jean-Hugues Anglade qui retrouve son metteur en scène de L'homme blessé, il fait preuve de plus d'humanité que tous les gens "normaux" autour de lui. Dans ces périodes de grand froid, il n''est pas évident que ce film vous réchauffe le cœur. Bien au contraire.



La Sainte Victoire est un thriller politique français, fait assez rare pour être signalé. Xavier Alvarez, un petit architecte qui s'est construit tout seul, veut par tous les moyens grimper dans l'échelle sociale. Il propose ses services à Vincent Cluzel, un député qui brigue la mairie d'Aix-en-Provence. Xavier va dépenser sans compter pour obtenir l'élection de son "ami". Chose faite, il espère alors un retour d'ascenseur. Et les ennuis commencent... 

François Favrat, après un premier film réussi (Le Rôle de sa vie), s'attaque au milieu de la politique sans tomber dans un manichéisme facile. Même si son point de vue n'est pas nouveau, il décortique avec efficacité les rapports compliqués entre deux hommes qui ne sont ni bons ni méchants. Le maire, interprété par un innatendu et plutôt convaincant Christian Clavier, est un être intègre qui va, par faiblesse plus que par lâcheté, se compromettre. Grâce à une belle direction d'acteurs d'où se dégage le charisme de Clovis Cornillac et le charme d'une nouvelle venue, Vimala Pons, il réussit, en mode mineur, un film divertissant qui ne mérite ni les éloges qu'il n'a pas eu ni l'indifférence dont il a été victime.

Antoine Jullien 

mardi 8 décembre 2009

En attendant les Oscars...

Deux films américains candidats plus ou moins déclarés aux prochains Oscars sortiront tous les deux en début d'année prochaine et leurs bandes annonces sont depuis quelques temps visibles sur la toile. Je veux attirer l'attention sur ces deux évènements car ils recèlent beaucoup d'attentes légitimes.

Nine de Rob Marshall est l'adaptation d'un musical de Broadway lui-même inspiré du 8 1/2 de Federico Fellini. Le maestro est partout en cette fin d'année à travers expos, DVD, livres, ressorties, etc. Le réalisateur de Chicago reprend les personnages du film d'origine, à commencer par Guido incarné à l'époque par Mastroianni et ici joué par Daniel Day-Lewis. L'acteur irlandais est entouré du plus beau casting féminin de l'année : Marion Cotillard, Penelope Cruz, Nicole Kidman, Judi Dench et la grande Sophia Loren. Le trailer laisse présager un film tourbillonnant et baroque. En salles le 10 février 2010.


Les frères Coen font toujours l'évènement et cette fois encore ils risquent de surprendre. A Serious Man, leur quatorzième long métrage, est le premier depuis Fargo à avoir été tourné avec un budget minuscule et sans star. Impossible de vous en dire davantage mais la bande annonce complètement frapadingue donne de très bons signes sur la santé mentale des frangins. L'attente risque d'être un supplice. En salles le 20 janvier 2010.

Bande annonce A serious man : http://www.youtube.com/watch?v=tcUTv3LH3ss

Canine


Un réalisateur ayant comme principale source d'inspiration Haneke, Bunuel et Pasolini suscite forcément l'intérêt. C'est ce cocktail explosif que nous concocte pour son deuxième long métrage le réalisateur grec Yorgos Lanthimos qui a été distingué au dernier festival de Cannes par le prix Un certain Regard.

Une maison isolée. Une famille en apparence tranquille. Mais on soupçonne quelque chose. Et on ne sera pas déçu. Le père, avec la complicité de sa femme, a fait croire à ses enfants depuis leur plus jeune âge que le monde se résume à leur maison et qu'ils ne pourront en sortir que lorsqu'ils auront perdu leur canine. Ces enfants domestiqués et un peu dérangés les croient sur parole. Seule une jeune femme a l'autorisation de pénétrer cette cellule familiale. Et c'est le grain de sable qui va faire dérailler la machine.

Un film inclassable réalisé avec une étonnante maitrise. Ce père monstrueux, un vrai dictateur, et ses enfants livrés à eux-mêmes, forment un tableau malsain et glauque. Et le cinéaste y va franchement : inceste, mutilations, tout y passe. Une provocation parfois gratuite mais souvent dérangeante. Lanthimos ausculte le poids de l'éducation et ses répercussions. Une vraie curiosité dont on ne ressort pas indemmne venant d'un pays peu propice ces dernières années aux grandes révélations cinématographiques. Incontestablement, un talent est né. Affaire à suivre.

Antoine Jullien




lundi 7 décembre 2009

Vincere


Une femme, les traits ravagés par la fatigue et le chagrin, enfermée dans un hospice parce ce qu'elle a osé dire qu'elle était le femme de Mussolini, regarde le Kid de Chaplin parmi les pensionnaires et les nones de l'établissement. Elle voit sur l'écran un enfant séparé de son père, une scène qui la renvoie à sa terrible situation. Son fils qu'elle a eu avec Mussolini au temps où il n'était pas encore le Duce lui a été retiré de force à cause de son obstination. Et revoir son fils sous les traits du Kid la bouleverse. Elle pleure devant cet instant déchirant mais au lieu de sombrer dans la tristesse, elle applaudit de joie à la fin de film lorsque le Kid retrouve Charlot.

C'est un moment magique qui montre bien le pouvoir fascinant du cinéma et aussi le talent d'un metteur en scène qui déjoue ce que pourrait attendre le spectateur en filmant cette femme croyant encore qu'elle reverra un jour son fils. Malheureusement, la réalité sera tout autre et Ida Asler mourra dans l'indifférence générale, enterrée dans une fosse commune.

Filippo Timi et Giovanna Mezzogiorno 

C'est une histoire oubliée des italiens dans laquelle Marco Bellocchio s'est plongée avec passion. Ida Asler est une femme de bonne famille.  En 1913, à  Trente, elle rencontre le jeune Benito Mussolini. Ils deviennent des amants et vivent une flamboyante liaison. La jeune femme lui cède tout son patrimoine pour qu'il créée son journal Le Poppolo d'Italia. Elle tombe enceinte et Mussolini reconnait l'enfant. A son retour de la guerre, alors qu'il s'est entretemps marié avec une autre femme, il renie Ida et son fils. Elle n'aura alors de cesse de revendiquer sa qualité d'épouse légitime et de mère du fils aîné de Mussolini...

On peut comparer cette histoire aux plus grandes tragédies grecques dans lesquelles l'héroïne est prête à tout pour sauver sa dignité et faire valoir ce qu'il lui appartient. L'actrice Giovanna Mezzogiorno a cette rage et cette inconsciente qui font les grandes tragédiennes. L'intensité de son regard et l'obstination dont elle fait preuve secouent le spectateur. L'une des forces de Bellocchio est ne pas avoir rendu son personnage sympathique, avec des aspects parfois déplaisants. Elle aime Mussolini, l'homme mais aussi ses idées. Elle se lance dans un combat dont elle ne mesure pas forcément les conséquences en prenant des risques pour la vie de son fils.


Au moment où Mussolini devient le Duce, l'acteur Filippo Timi disparait pour laisser place aux images d'archives. C'est la grande idée de Bellochio, d'avoir ainsi placé son héroïne face à l'image publique de son ancien amant et non plus face à l'homme qu'elle a connu. Une distanciation magistralement orchestrée qui fonctionne grâce à  une mise en scène opératique dans laquelle la musique joue un rôle essentiel. Bellocchio n'a pas hésité à demander à son compositeur Carlo Crivelli d'écrire une partition lyrique en décalage absolu avec le modernisme actuel. L'autre grandiose audace est d'avoir fait joué le fils de Mussolini par le même acteur qui l'incarnait jeune. Et dans une scène stupéfiante où des camarades du fils lui demandent d'imiter son père, Bellocchio filme la détresse d'un jeune homme parodiant le Duce avec un étonnant mimétisme, un père qui n'aura exister à ses yeux qu'à travers des images impersonnelles et lointaines.

Bellocchio n'a pas voulu réaliser un film politique qui dissèque les années noires du fascime. Un peu à la manière d'Ettore Scola qui, dans Une Journée Particulière, disait tout du régime en utilisant juste le son d'une parade militaire, le réalisateur de Biorgonno Notte nous rappelle qu'à travers cette histoire personnelle, c'est toute une nation qui a préféré fermer les yeux et suivre aveuglémement un homme mener ses terribles desseins. Et le dernier regard qu'adresse Ida à la caméra, comme une provocation faite au spectateur, n'en n'est que plus troublant.

Antoine Jullien




Les limites de Jim Jarmusch


Avant de découvrir son nouveau film, Jim Jarmusch nous met en garde : "Vous ne devez pas avoir de grandes attentes" et ajoute que "l'effet recherché, c'est un peu celui qu'on peut avoir en consommant des champignons hallucinogènes". Et le film commence. Un mystérieux personnage (Isaach de Bankolé) doit remplir un contrat. Qui est-il ? Un tueur à gages ? Nous n'en saurons rien. Toujours est-il qu'il aime s'assoir à la terrasse des cafés où il commande systématiquement deux expressos, se balader dans les rues, visiter un musée où il s'arrête regarder pendant un long moment un seul tableau, différent à chaque fois. Et puis il rentre chez lui. Et rencontre des complices qui lui font passer des messages codés dans des boîtes d'allumettes, messages lus puis avalés illico...

Jarmusch surprend dès le départ. Cette arrivée à Madrid, filmée comme une sarabande visuelle avec cette succession de plans syncopés avec la musique, est une entrée en matière envoûtante. La suite, à savoir les déambulations du "tueur" dans la capitale ibérique, imprègnent la rétine grâce à un savant travail sur les cadrages, en plongée et en contre plongée, dans lesquels il n'hésite pas à bousculer la perspective. Le spectateur a alors une étrange sensation d'instabilité renforcée par un montage d'une extraordinaire précision et qui donne toute sa place aux silences imposants de ce "tueur" mutique. Ces silences sont interrompus par l'apparition  des complices, parmi lesquelles Tilda Swinton en improbable femme fatale coiffée d'une perruque argentée. Elle lui parle de cinéma et d'autres choses... et elle repart comme elle est venue. A cet instant, on est encore conquis par cet esthétisme sans pour autant être convaincu que Jarmusch puisse tenir la corde pendant deux heures.

Isaach de Bankolé

Rapidement, le principe de répétition devient son idée fixe. Il répète, dans d'autres villes d'Espagne, ces déambulations et ces échanges à l'infini, avec des acteurs amis de passage (Gael Garcia Bernal, John Hurt, Bill Murray...). Il n'a écrit qu'un scénario de vingt cinq pages, agrémenté au fur et à mesure du tournage de dialogues écrit parfois le jour même. En réaction probable à son film précédent Broken Flowers qui avait eu le "malheur" de rencontrer le succès et de placer enfin Jarmusch dans le système, le cinéaste nous en délivre l'antithèse et un rêve de cinéma européen qui le fascine depuis toujours. Il le dit lui-même : "Qu'est-ce que ça donnerait si Jacques Rivette tournait un remake du chef d'œuvre de John Boorman Le Point de non-retour (Point Blank) ? 

Bien qu'il ait rendu hommage au réalisateur de Délivrance en baptisant sa société de production PointBlankFilms, il semble n'avoir retenu que Rivette, avec Antonioni en ligne de mire. Ses personnages, à commencer par Isaach de Bankolée, sont des images fixes et désincarnées et non des êtres de chair et de sang. Cette tentation de la pose, qui a parfois été le péché mignon du cinéaste, était auparavant contrebalancée par une ironie et un humour décalés. Elle trouve ici ses cruelles limites. On pourrait même trouver franchement irritante cette posture qui consiste à faire dire à ses acteurs, avec un sérieux d'évêque, LA phrase clef pour bien nous faire comprendre l'importance philosophique du propos. 

Gael Garcia Bernal, Isaach de Bankolé et Jim Jarmusch 

On préfèrera plutôt ne pas porter plus d'intérêt qu'il n'en faut à une "oeuvre" dans laquelle le cinéaste s'est manifestement perdu, se fourvoyant dans un cinéma qui n'est finalement pas le sien. Jarmusch est resté dans l'illusion du super-auteur qui va, au gré de son inspiration, repousser les limites de son art. Mais c'est un art boiteux sur lequel on peut dire tout et son contraire. "Hypnotique", "sensoriel", "labyrinthique", voilà probablement les mots qui reviendront dans la bouche des fans fantasmant sur un film qu'ils auraient voulu voir. Et je vois déjà les interprétations sur le tableau blanc que regarde fixement le "tueur" : une allégorie de notre civilisation ? Le néant comme refuge ultime ? Ou rien de tout cela ?...

Les réalisateurs ont raison de désarçonner leur public, de repartir de zéro, de se laisser surprendre et de s'interroger sur le sens qu'ils veulent donner. La démarche de Jim Jarmsuch est sincère, assurément, et peut-être que l'on est passé à côté d'un film majeur. Mais comme toute critique est subjective, c'est le ressenti qui compte. Et il est bien tiède. Qu'est-ce qu'on a vu au fait ? Un brillant court métrage ? Un interminable long (long) métrage ? A vous de trancher.

Antoine Jullien

mardi 1 décembre 2009

Michael le vilain


Michael Moore en a marre. Marre d'être le porte-drapeau des laissés-pour-compte de l'Amérique. Marre de faire de la provoque pour que les choses changent enfin. C'est ce qu'il nous dit dans les dernières images de son nouveau pamphlet alors qu'il vient juste d'encercler Wall Street comme une scène de crime. Les financiers sans scrupule de Big Apple, voilà le diable selon Michael Moore, les responsables d'une tragédie qui a conduit les USA à la banqueroute et le capitalisme au bord de la schizophrénie. Vous le saviez déjà ? Le réalisateur de Bowling For Colombine nous le rappelle à sa manière, tonitruante et sans nuance.

Il commence par faire une attaque en règle du capitalisme d'aujourd'hui en prenant plusieurs exemples isolés qui, mis bout à bout, font mouche. Le plus spectaculaire est celui où l'on voit des entreprises contracter des assurances vie, des contrats surnommés "Dead Peasants" (les paysans morts) sur le dos de leurs employés, où quand le salarié devient plus rentable mort que vivant. Le cynisme poussé à son paroxysme. Michael Moore, peu avare en facilités et raccourcis, boit du petit lait et on ne bronche pas, accablé devant tant d'immoralité mais un peu agacé par le sentiment d'être manipulé sans jamais avoir eu le moyen de se faire sa propre opinion.

Michael Moore

Il n'y a aucune forme de journalisme là-dedans, Michael Moore ne se prétend pas grand reporter. Il nous livre un tract souvent efficace et parfois très drôle notamment quand il fait parler une jeune femme, agent immobilier, comme un parrain mafieux. Il a aussi une manière pertinente de nous expliquer le principe des subprimes : une maison , c'est comme une banque sur laquelle il faut investir même si les taux d'intérêt sont vertigineux. "La banque de vous", slogan éloquent, simplificateur mais très parlant.

Et puis dans la deuxième partie, il tire à boulets rouges sur les "criminels" de Wall Street , à savoir les financiers soutenus par l'administration Bush dans le délire de la dérégulation. Chacun en prend pour son grade, à commencer par Henry Paulson, Secrétaire au Trésor et ancien président de Golman Sachs.

Que Michael Moore prône, au pays du roi dollar, un changement de système, une lutte des classes dans laquelle il oppose riches et pauvres, c'est une prise de position démagogique mais courageuse. Sauf qu'il n'est pas un homme politique et que contrairement à ce qu'il prétend, le nouveau président américain n'est pas le sauveur qui va tout changer. La réalité est toujours plus complexe.



Albert Dupontel nous revient avec Le Vilain, son quatrième long métrage. Pour échapper à ses anciens complices, un braqueur de banques trouve refuge chez sa mère qu'il n'a pas revu depuis vingt ans. La brave femme voudrait mourir tranquillement mais le ciel semble se refuser à elle. Jusqu'à ce qu'elle découvre que son fils est un horrible rejeton malfaisant et qu'elle est bien décidée à le remettre sur le droit chemin.

Pour la première fois, Dupontel se met en scène face avec une comédienne de poids, Catherine Frot, qui s'est vieillie de vingt ans pour l'occasion. Dès leur première rencontre, le duo fait des étincelles et le talent comique de l'actrice fonctionne à plein régime. Les situations burlesques s'enchaînent et Dupontel fait une nouvelle fois preuve de son talent d'iconoclaste inclassable. Il a surtout l'art de faire exister ses personnages, principaux comme secondaires, et à ce titre, Nicolas Marié, en médecin fou qui doit soigner des blessures par balles à répétition, et Bouli Lanners, en promoteur véreux, sont particulièrement jouissifs.

Catherine Frot et Albert Dupontel 

Dupontel s'en tient à un quasi huis-clos qu'il parsème de gags acides dans lesquels une tortue joue un grand rôle. Même si le cinéaste se répète en utilisant le point de vue subjectif de l'animal (il l'avait déjà fait pour le chat du Créateur), le réalisateur s'amuse et joue avec délectation de la méchanceté de son "héros". L'acteur trouve alors une liberté de jeu qu'on ne trouve pas chez les autres cinéastes avec lesquels il tourne. Le revers de la médaille, c'est qu'il finit pas laisser Catherine Frot au bord de la route, de plus en plus livrée à elle-même.

Un film plus tendre, moins politiquement incorrect que les précédents même si Dupontel ne peut s'empêcher de terminer par une dernière pirouette de sale gosse. Il s'est assagi mais ne s'est pas rangé pour autant. Sa petite musique fait toujours du bien dans un paysage cinématographique français bien timoré. Esperons seulement qu'après ce probable succès, il remette toute son énergie dans un film plus dévastateur que cet aimable vilain.

Antoine Jullien