lundi 7 décembre 2009

Les limites de Jim Jarmusch


Avant de découvrir son nouveau film, Jim Jarmusch nous met en garde : "Vous ne devez pas avoir de grandes attentes" et ajoute que "l'effet recherché, c'est un peu celui qu'on peut avoir en consommant des champignons hallucinogènes". Et le film commence. Un mystérieux personnage (Isaach de Bankolé) doit remplir un contrat. Qui est-il ? Un tueur à gages ? Nous n'en saurons rien. Toujours est-il qu'il aime s'assoir à la terrasse des cafés où il commande systématiquement deux expressos, se balader dans les rues, visiter un musée où il s'arrête regarder pendant un long moment un seul tableau, différent à chaque fois. Et puis il rentre chez lui. Et rencontre des complices qui lui font passer des messages codés dans des boîtes d'allumettes, messages lus puis avalés illico...

Jarmusch surprend dès le départ. Cette arrivée à Madrid, filmée comme une sarabande visuelle avec cette succession de plans syncopés avec la musique, est une entrée en matière envoûtante. La suite, à savoir les déambulations du "tueur" dans la capitale ibérique, imprègnent la rétine grâce à un savant travail sur les cadrages, en plongée et en contre plongée, dans lesquels il n'hésite pas à bousculer la perspective. Le spectateur a alors une étrange sensation d'instabilité renforcée par un montage d'une extraordinaire précision et qui donne toute sa place aux silences imposants de ce "tueur" mutique. Ces silences sont interrompus par l'apparition  des complices, parmi lesquelles Tilda Swinton en improbable femme fatale coiffée d'une perruque argentée. Elle lui parle de cinéma et d'autres choses... et elle repart comme elle est venue. A cet instant, on est encore conquis par cet esthétisme sans pour autant être convaincu que Jarmusch puisse tenir la corde pendant deux heures.

Isaach de Bankolé

Rapidement, le principe de répétition devient son idée fixe. Il répète, dans d'autres villes d'Espagne, ces déambulations et ces échanges à l'infini, avec des acteurs amis de passage (Gael Garcia Bernal, John Hurt, Bill Murray...). Il n'a écrit qu'un scénario de vingt cinq pages, agrémenté au fur et à mesure du tournage de dialogues écrit parfois le jour même. En réaction probable à son film précédent Broken Flowers qui avait eu le "malheur" de rencontrer le succès et de placer enfin Jarmusch dans le système, le cinéaste nous en délivre l'antithèse et un rêve de cinéma européen qui le fascine depuis toujours. Il le dit lui-même : "Qu'est-ce que ça donnerait si Jacques Rivette tournait un remake du chef d'œuvre de John Boorman Le Point de non-retour (Point Blank) ? 

Bien qu'il ait rendu hommage au réalisateur de Délivrance en baptisant sa société de production PointBlankFilms, il semble n'avoir retenu que Rivette, avec Antonioni en ligne de mire. Ses personnages, à commencer par Isaach de Bankolée, sont des images fixes et désincarnées et non des êtres de chair et de sang. Cette tentation de la pose, qui a parfois été le péché mignon du cinéaste, était auparavant contrebalancée par une ironie et un humour décalés. Elle trouve ici ses cruelles limites. On pourrait même trouver franchement irritante cette posture qui consiste à faire dire à ses acteurs, avec un sérieux d'évêque, LA phrase clef pour bien nous faire comprendre l'importance philosophique du propos. 

Gael Garcia Bernal, Isaach de Bankolé et Jim Jarmusch 

On préfèrera plutôt ne pas porter plus d'intérêt qu'il n'en faut à une "oeuvre" dans laquelle le cinéaste s'est manifestement perdu, se fourvoyant dans un cinéma qui n'est finalement pas le sien. Jarmusch est resté dans l'illusion du super-auteur qui va, au gré de son inspiration, repousser les limites de son art. Mais c'est un art boiteux sur lequel on peut dire tout et son contraire. "Hypnotique", "sensoriel", "labyrinthique", voilà probablement les mots qui reviendront dans la bouche des fans fantasmant sur un film qu'ils auraient voulu voir. Et je vois déjà les interprétations sur le tableau blanc que regarde fixement le "tueur" : une allégorie de notre civilisation ? Le néant comme refuge ultime ? Ou rien de tout cela ?...

Les réalisateurs ont raison de désarçonner leur public, de repartir de zéro, de se laisser surprendre et de s'interroger sur le sens qu'ils veulent donner. La démarche de Jim Jarmsuch est sincère, assurément, et peut-être que l'on est passé à côté d'un film majeur. Mais comme toute critique est subjective, c'est le ressenti qui compte. Et il est bien tiède. Qu'est-ce qu'on a vu au fait ? Un brillant court métrage ? Un interminable long (long) métrage ? A vous de trancher.

Antoine Jullien

1 commentaire:

  1. très bon point de vue. je rajoute à cela que dès le départ à l'aéroport, on sent tout de même le film mal barré. A propos des acteurs, il y a peu de choses à dire car leur jeu semble déjà aux premières images, handicapé par une fin de film sans histoire. Au résultat, un film boiteux, mécanique par ses effets répétitifs et réchauffés en permanence et une linéarité d'ambiance qui finit par vous endormir. A proscrire.

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