lundi 15 février 2010

Une exécution ordinaire


Les écrivains qui passent derrière la caméra ne font pas toujours de bons cinéastes, même quand ils se lancent dans l'adaptation de leur propre livre. Marc Dugain, auteur de La Chambre des officiers et La malédiction d'Edgar, a tenté le pari. Coup d'essai, coup de maître.

Moscou 1952. Anna, une médecin urologue qui a des dons de magnétiseuse, est appelée au chevet de Staline. Le dictateur vit ses derniers mois de terreur et a besoin de l'aide de la jeune femme, la seule personne pouvant calmer ses douleurs. Mais Staline impose ses conditions : elle n'en parlera à personne et devra quitter son mari dont elle cherche desespérement à tomber enceinte.

Edouard Baer et Marina Hands

L'une des audaces de ce pari risqué était de restituer une histoire russe en français, de surcroît avec des comédiens francophones. Cet anachronisme disparaît au bout de cinq minutes car Dugain installe une  torpeur dès les premiers instants. Couloirs interminables, appartements exigus, cabinets ternes, le décor impose d'emblée une atmosphère lourde, étouffée. Staline n'apparaît qu'au bout de vingt minutes mais son ombre plane constamment au-dessus de ce couple heureux et aimant qu'il va briser manu militari. 

La représentation des tyrans au cinéma a rarement convaincue, les réalisateurs ayant souvent du mal à se défaire de l'image d'Epinal. Dugain propose un point de vue atypique, raconter Staline à travers un film de chambre, la petite histoire éclairant la Grande. Il réussit à saisir l'un des traits majeurs du dictateur, son côté incroyablement pervers et paranoïaque qui révèle son peu de considération pour la vie humaine. Il a d'ailleurs cette phrase glaçante et définitive : "Les hommes doivent accepter qu'à tout moment, sans raison précise, on puisse les ramener à cette forme absolue de modestie qu'est la mort". 

André Dussollier et Marina Hands 

C'est un monde souterrain que dépeint Marc Dugain, un univers opaque et grisé où tout le monde dénonce tout le monde. Quand Anna pénètre dans l'immense bureau de Staline, le temps semble soudainement arrêté et un curieux parfum de familiarité nous gagne, comme si l'on connaissait déjà ces personnages. La mise en scène discrète, caméra à l'épaule, donne aux comédiens une place de choix. Méconnaissable, André Dussollier est admirable, autoritaire sans lever le petit doigt, simplement exprimé par la force de son regard. Grimé, il ne singe pas le dictateur et en fait une interprétation tout personnelle. Face à elle, Marina Hands, d'une présence saisissante, prouve définitivement qu'elle est l'une de nos plus grandes comédiennes. Son visage dit tout de la souffrance et du courage dont fait preuve cette femme. L'émotion qu'elle dégage nous poursuivra longtemps.

"La mort d'un homme est une tragédie. La mort d'un million d'hommes est une statistique". Cette maxime qui ponctue le film a mené Staline et le régime soviétique à broyer des millions de vies au nom d'un idéal qui autorisait tous les sacrifices. En ce début de millénaire où le dictateur jouit à nouveau d'une grande popularité dans son pays, il est salutaire de rappeler à chacun d'entre nous ce que l'histoire a produit. Et d'éviter à tout prix qu'elle ne se répète.

Antoine Jullien

3 commentaires:

  1. Salut

    Staline n'est pas si populaire que cet article semble l'affirmer. En plus, tous les sondages le prouvent, les "Petit Père des Peuples" perd de sa splendeur. Il n'en gagne pas.

    http://fr.rian.ru/russia/20100218/186082673.html

    Les polémiques à son propos s'enchainent en Russie.

    Mais j'apprécie l'article en soi. Je regarderai le film :))

    Steady as she goes!

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  2. Ben j'ai pas vu.

    Et je m'en veux.

    Flûte !

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