mercredi 24 mars 2010

Le thriller... et la manière de faire

LA REVELATION / BAD LIEUTENANT : ESCALE A LA NOUVELLE-ORLEANS


Deux films sortis le même jour et classés dans la catégorie "Thriller" montrent bien deux approches radicalement différentes du genre. Commençons avec La Révélation de Hans Christian Schmid qui a comme cadre le Tribunal Pénal International de La Haye. Lors d'un procès d'un général de l'armée serbe accusé de crime contre l'humanité, une juge va devoir convaincre une jeune femme de témoigner de la barbarie dont elle a été victime et mettre ainsi sous les verrous un des plus dangereux criminels du conflit des Balkans.

Le réalisateur allemand donne à ses deux actrices principales, Kerry Fox et Anamaria Marinca, des rôles intenses où elles tutoient de près la menace et la pression extrêmes causées par cette révélation qui entraînerait des dommages importants dans l'intégration de la Serbie à l'Union Européenne. C'est quand il évoque ces questions que le cinéaste est le plus intéressant, en filmant avec acuité les rouages du TPI et ses compromissions diverses où l'intérêt général prime sur celui des victimes. Le film nous montre aussi la protection d'un témoin clef et les conséquences que cette protection à haut risque peut comporter.

Avec sobriété et efficacité, le cinéaste opte pour la caméra à l'épaule, alerte sans être ostentatoire. Il est aidé par une intrigue parfaitement construite dont les pièces s'imbriquent habilement. Et même s'il ne démontre pas de grandes fulgurances esthétiques et se repose un peu sagement sur son dispositif, il nous livre un thriller captivant, sans grandes surprises certes, mais plaisant.



Werner Herzog est décidément un cinéaste inclassable. Après avoir affronté les colères légendaires de Klaus Kinski, parcouru tous les continents, abordé les genres les plus divers, il se voit proposer le remake  du film culte d'Abel Ferrara, Bad Lieutenant. De remake, il n'en n'est plus question car à l'exception du postulat de départ, un flic cocaïné en proie à la folie, le film diffère totalement de son prestigieux modèle. Herzog a lui-même avoué ne pas avoir vu le film de Ferrara.

Aux antipodes d'Hans Christian Schmid, Herzog fait l'impasse sur son scénario qui a l'air de le passionner comme d'une guigne. L'intrigue est d'une invraisemblance rare, partant dans toutes les directions sans en privilégier une seule. On ne croit pas une seconde à cette enquête menée à pas d'éléphant, ni à certains personnages sortis tout droit d'une mauvaise caricature.

Werner Herzog, Nicolas Cage et Eva Mendes

Alors, si l'on veut s'intéresser à ce Bad Lieutenant, il faut aller voir ailleurs, dans les à-côtés de l'intrigue. Herzog se permet quelques audaces, comme filmer en gros plan un iguane pendant cinq minutes ou la danse d'un mort qui ne l'est pas encore tout à fait. Ces hallucinations sont le fruit du policier fêlé joué par un Nicolas Cage qui donne un sens nouveau au mot cabotinage. L'acteur est en permanence sur le fil du grotesque et du sublime dans ce personnage de flic pourri qui le sauve un temps de toutes les inepties dans lesquelles il s'était compromis ces dernières années.

Mais La Nouvelle-Orléans est bien le seul véritable intérêt du film. La ville, post Katrina, est filmée dans toute sa crudité, baignée d'une lumière cotonneuse, avec ses maisons victoriennes presque en ruine, ses marais poisseux, ses commissariats crapoteux, sa corruption galopante et sa misère humaine à chaque coin de rue. Herzog connaît l'importance d'un lieu et de la puissance qu'il peut dégager. Rien d'autre semble-t-il ne l'a motivé que cette introspection d'une ville meurtrie qui tente de renaître de ses cendres. On ne pardonnera pas au cinéaste ses errances et la faiblesse de certaines scènes mais il est tout même parvenu, d'une commande, à émaner un parfum capiteux qui reste en bouche longtemps après l'avoir vu.

Antoine Jullien

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