mardi 31 août 2010

Hommage à Alain Corneau

La nouvelle est tombée comme un couperet : Alain Corneau est mort à 67 ans des suites d'un cancer du poumon. Le cinéaste venait tout juste de sortir son dernier film, Crime d'Amour, un médiocre suspense dans lequel Kristin Scott Thomas harcèle la très mauvaise Ludivine Sagnier. Un dernier opus dispensable qui ne fera pas oublier quelques grands films, parmi lesquels deux perles du film noir de la fin des années soixante-dix, Police Python 357 avec Yves Montand et Série Noire interprété par le génial Patrick Dewaere. 

Par la suite, Corneau change de registre, passant de la grande fresque africaine (Fort Saganne) au film plus intimiste (le très réussi Stupeur et tremblements). Mais c'est avec Tous les Matins du monde en 1991 qu'il obtient un immense succès critique et public et lui vaut le césar du meilleur film et du meilleur réalisateur. Ce film ayant pour thème la viole de gambe et la relation compliquée entre Monsieur de Sainte Colombe et son élève Marin Marais a marqué par son austérité et son classicisme et a permis de faire découvrir aux spectateurs une musique oubliée. 

Alain Corneau et Daniel Auteuil sur le tournage du Deuxième Souffle. 

Alain Corneau dégageait un vrai enthousiasme dès qu'il parlait de cinéma dont il était un passionné insatiable. Amateur de jazz et de littérature, il ne s'est jamais enfermé dans un carcan et a su se renouveler même si les réussites étaient diverses. Grand instigateur du renouveau du film policier français, il s'est intéressé aux sujets les plus variés avec la même modestie. Une perte notable pour notre cinéma hexagonal.

Oncle Boonmee

Débusquer l'imposture. Cette mission tombe à pic au sujet d'un film qui se passe pour l'essentiel dans une forêt thaïlandaise. Adopter un grand courage critique. Il en faut tant l'enthousiasme délirant, aveugle, manipulateur de la presse sur ce film ne permet aucune réserve possible. Heureusement, Mon Cinématographe a sa liberté de pensée et le fait savoir, surtout lorsqu'il juge la Palme d'Or 2010. 

On ne va pas déblatérer inutilement sur l'intrigue inexistante du quatrième film d'Apichatpong Weerasethakul (un conseil, entrainez-vous avant de vous la raconter dans les dîners mondains !) car aujourd'hui, c'est bien connu, le scénario est une absurdité d'un autre temps, le symbole d'un cinéma scolaire et lourdingue et prétendre le contraire vous conduirait à la vindicte populaire (enfin plutôt celle des quelques journaux qui font la pluie et le beau temps cinéphiliques !). Mais encore faut-il avoir du talent... et le doute est sérieusement permis à la vision de cet Oncle Boonmee

Qu'est-ce qui a tant plu au président du jury Tim Burton ? Aurait-il bu un élixir avant la projection qui l'aurait mis dans une transe du diable ? Sentant l'épreuve qui l'attendait, il a eu probablement raison. Encore que le mot épreuve paraisse bien faible devant ce monument d'ennui. Pourtant, dans les premières séquences, un vague espoir naît. Le film est entouré d'un mystère assez séduisant et les apparitions fantastiques successives agrémentent notre curiosité. Mais bien vite, le cauchemar commence et ne se terminera qu'une fois les lumières de la salle rallumées.


Il est toujours compliqué d'évoquer le rien car il peut contenir toutes les interprétations. Les adjectifs les plus abscons peuvent très bien convenir tant le néant a besoin de plein et de délié. C'est pourquoi vous entendrez ou lirez les mots les plus fantaisistes pour qualifier cette oeuvre que beaucoup aiment appeler ovni. Mais là où le fond est toujours discutable, la forme, elle, ne peut souffrir de mensonges éhontés. Prétendre que ce film est une splendeur esthétique alors qu'il est objectivement d'une laideur sans nom révèle de la pure escroquerie intellectuelle. Non seulement le film est laid mais il ne contient aucune idée de mise en scène. A moins que le cinéma du 21ème siècle ne soit qu'une accumulation de plans d'une durée de dix minutes minimum et qu'une femme poisson ou un singe avec des yeux rouges représentent le sommet de l'invention cinématographique, alors ce film est bel et bien une imposture. 

Lorsque l'on regarde d'un peu plus près les cinéastes qui n'ont pas eu les honneurs d'une palme d'or, on retient Kubrick, Hitchcock, Eastwood, Almodovar, Tarkovski, Bergman et... Tim Burton. Que ces immenses artistes aient été oubliés est en soit une absurdité. Mais que ce monsieur Weerasethakul ait obtenu la récompense suprême dévalue tout d'un coup la portée d'un tel évènement. L'histoire saura qui retenir...

Antoine Jullien




Le bruit des glaçons

Un homme, en costume de VRP, sonne à la porte d'un écrivain alcoolique reclus dans sa maison qui ne peut pas se séparer de sa bouteille de blanc et de son seau à glaçons. Le mystérieux personnage déclare laconiquement à l'autre : "je suis votre cancer". Nous sommes bien chez Bertrand Blier, qui n'en n'est plus à une provocation près. Mais depuis un certain temps déjà, son cinéma sentait la naphtaline et les audaces d'hier paraissaient aujourd'hui comme dépassées voire carrément ringardes. Le cinéaste retrouve une part de sa verve d'antant sans pour autant signer une oeuvre majeure.

Le cancer fait peur. C'est la raison pour laquelle les producteurs ont reculé devant l'idée saugrenue avancée par le réalisateur des Valseuses. Blier a toujours aimé lié l'humour le plus féroce au morbide le plus glauque et ses meilleurs films ont sublimé ces deux antagonismes. Ce bruit des glaçons est drôle parfois, notamment au début où l'on assiste amusé au combat que se livrent l'écrivain et son cancer. Une bataille que l'on pense inégale jusqu'à ce que Blier fasse intervenir un élément inattendu : une femme. Le cinéaste, souvent taxé de misogyne, tord les clichés grâce au beau personnage d'Anne Alvaro qui finit par devenir le maillon essentiel de l'histoire. L'amour plus fort que la maladie, ce positivisme assumé aurait paru impensable dans la tête du cinéaste il y a encore quelques années. Et l'on se demande si la noirceur d'avant ne lui sied pas mieux tant l'épilogue paraît bâclé et peu concluant.

 Bertrand Blier et Jean Dujardin

Mais le plus revigorant dans ce film qui ne nous dit pas que des choses aimables est la mise en scène du cinéaste. Lui qui avait l'habitude de composer soigneusement ses plans et de tourner ses productions en studio, a décidé (faute de budget ?) d'opter pour une caméra mobile qui déambule dans les couloirs de cette propriété perdue au milieu des Cévennes. En chantre d'un certain surréalisme poétique qu'il n'a jamais abandonné, il parvient, grâce à des choix musicaux pertinents, à varier les styles, l'effroi côtoyant la comédie et la trivialité s'engouffrant dans le fantastique.

Et que seraient les films de Blier sans ses interprètes ? Dans Tenue de Soirée, seul un Gérard Depardieu pouvait déclamer " Mais mon pauvre ami, si j'étais vraiment Pd, y a longtemps que tu y serais passé, à la casserole, enfin ! Réfléchis un p'tit peu, un mec comme moi ! J'te coince entre deux portes et hop : bonjour le chocolat, ramonage des boyaux, la turbine ensorcelée, rouleau de printemps !" pour que cela devienne génialement vulgaire. Blier a cette fois rajeunit ses comédiens et a trouvé dans le duo Dujardin- Dupontel un nouvel allant. Même si le second, jouissif dans les premières séquences, se répète puis disparait progressivement, le premier confirme sa belle présence de film en film. Quoique si tous les alcooliques pouvaient lui ressembler, alors les buveurs de tous poils risqueraient d'augmenter dangereusement.

Antoine Jullien