mercredi 3 novembre 2010

The American


Les producteurs ont parfois des idées saugrenues. Envoyer une star américaine dans les paysages perdus des Abruzzes italiennes en le faisant jouer un tueur à gages mutique et solitaire, voilà une démarche résolument anti-commerciale. Mais la déception risque d'être grande si l'on fait croire au public le contraire de ce qu'il verra à l'écran. A cause de producteurs honteux de leur œuvre ou incapables de la vendre, l'échec était prévisible alors que la réussite du long métrage est là. Cruelle injustice. 

Le mérite en revient à Anton Corbijn, ancien photographe reconverti en prometteur cinéaste grâce à Control sur le groupe culte Joy Division. Prenant le contre-pied de ce qui a fait son succès, il s'est lancé dans un projet difficile qu'il n'aurait certainement pas pu mener à bien sans George Clooney. L'acteur est en effet le principal moteur et intérêt du film. Un étranger perdu au fin fond de l'Italie devant se cacher pour échapper à d'invisibles ennemis, le personnage semble être très éloigné des rôles confiés d'habitude au comédien. Si le réalisateur Clooney a souvent surpris par des choix audacieux, l'acteur (à une ou deux exceptions près) ne s'est jamais vraiment départi de son image de Cary Grant. Taiseux, le regard d'acier, il est ici constamment en décalage avec son environnement. De son arrivée inopportune dans un petit village transalpin à la chanson El Americano, les clins d’œil amusés du cinéaste à sa acteur sont légion, le vedette et le personnage épiés l'un et l'autre dans leur impossible anonymat. Et quand le comédien se met à boire un expresso dans un petit café déserté, la réalité et la fiction se brouillent de manière troublante. 


Le film est surtout réjouissant pour tout amateur du cinéma italo-américain des années 60-70 dans lesquels des acteurs anglo-saxons prestigieux sont venus s'afficher pour le meilleur et pour le pire. La mise en scène de Corbijn, nourrie d'influences allant d'Antonioni à Melville en passant par Boorman, est d'une grande minutie, chaque plan soigneusement choisi confinant au décor sa séduisante étrangeté. Sa précision d'horloger, qui arrive à maintenir un suspense inexistant sur le papier, renvoie au perfectionnisme du tueur à gages qui prépare son arme avec le plus grand soin. Et en habillant ses très belles comédiennes dans des tenues improbables et en les déshabillant avec le même plaisir, le réalisateur ne craint pas le ridicule et renforce ainsi la particularité de son oeuvre. 

Mais l'exercice de style périlleux tenu jusqu'à alors finit par s'enliser. De retournements de situation incohérents en clichés amoureux malvenus, Corbijn perd son projet initial. Et l'on se demande après coup si l'intrigue n'était pas qu'un vaste écran de fumée. Il n'empêche qu'il aura été le seul cinéaste à filmer Clooney dans des circonstances qu'on se gardera bien de révéler. Et pour paraphraser la fameuse réplique d'Arletty "Atmosphère, est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère !", The American en a une, assurément !

Antoine Jullien



Le DVD et  Blu-Ray sont disponibles chez Warner Home Video.

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