mercredi 10 novembre 2010

Fair Game / Draquila

La chose politique peut être traitée de deux manières : soit on privilégie l'effacement du point de vue derrière la fiction ou à contrario on met en avant l'engagement personnel pour accréditer une cause. L'américain Doug Liman et l'italienne Sabina Guzzanti le montrent à nouveau cette semaine. Sans que la fiction en sorte forcément grandie.

Doug Liman, après plusieurs films d'action pétaradants (La mémoire dans la peau et le très mauvais Mr & Mrs Smith), décide de remettre à la surface une des plus ténébreuses affaires de l'ère Bush. Valérie Plame (Naomi Watts), agent de la CIA missionnée pour trouver des armes de destruction massive en Irak, voit brutalement son nom apparaître dans les journaux après que son mari (Sean Penn), ancien ambassadeur, ait révélé les mensonges de l'administration américaine. Sans sa couverture, l'espionne devient une proie facile et devra faire preuve de ténacité pour sauver son mariage et son honneur. 

Seul film américain en compétition à Cannes cette année (on plaint les sélectionneurs !), Fair Game est un honorable divertissement sur une histoire qui a fait grand bruit outre-atlantique mais restée relativement discrète chez nous. Doug Liman filme bien cet agent sur le terrain et dans les réunions de la CIA qui commence à douter sérieusement du bien fondé des arguments vendus par l'équipe de Dick Cheney (vice-président à l'époque). Il montre aussi finement ce couple obligé de se taire alors que leurs amis répètent à foison les mensonges du gouvernement. Dans la deuxième partie, le film bascule vers le drame familial dans lequel le mari s'expose en défendant sa femme devant les médias. Plus convenu, Fair Game devient académique à force de scènes attendues (apparition inutile de Sam Shepard) et de discours moralisateurs. Quant aux acteurs, si Sean Penn est un peu agaçant dans un rôle trop calibré pour lui, Naomi Watts brille par l'intensité de son jeu et de son regard. On aurait préféré que Doug Liman s'engage plus directement dans un film qui prouve une fois de plus la capacité des américains à prendre leur histoire à bras-le-corps. Mais timidement cette fois.


Sabina Guzzanti, elle, n'y va pas par quatre chemins. Ennemie déclarée de Silvio Berlusconi, elle tape fort avec son documentaire pamphlétaire Draquila - l'Italie qui tremble qui revient sur le séisme de l'Aquila dont le Cavaliere à bénéficié pour se refaire une image dégradée après des scandales successifs, en profitant également pour aider ses petits camarades à monter des opérations immobilières au mépris des habitants et de l'Etat. 

Contrairement à Michael Moore qui confond trop souvent militantisme et documentaire au risque d'être caricatural, Sabina Guzzanti fait preuve d'une vraie crédibilité journalistique bien que sa démonstration soit parfois embrouillée. Interrogant les victimes de l'Aquila, des journalistes, des officiels, elle décortique les rouages du système Berlusconi qui, selon elle, bafoue toutes les règles de la démocratie. On ne peut pas lui donner tort lorsque l'on assiste, médusé, aux interventions du bonhomme, un mélange de vulgarité crasse et de machisme rampant. Mais l'on est surtout scandalisé en voyant la désinvolture avec laquelle le président du Conseil italien contourne le fonctionnement de l'Etat, en détournant une Protection Civile à son seul profit et en établissant des lois protégeant ses intérêts. 

Devant le silence assourdissant de l'opposition, Guzzanti va au charbon, se déguise en faux Berlusconi pour haranguer les foules, laisse parler ses interlocuteurs et tourne en ridicule le Cavaliere avec moult animations et graphiques humoristiques. 

Mais le rire laisse place à la stupéfaction quand la réalisatrice démontre la main mise de Berlusconi sur les médias. On connaissait déjà la nature de ce couple incestueux qui prend ici une proportion inédite et terrifiante. Et quand Guzzanti filme l'Aquila, une ville riche de culture et d' histoire, laissée en ruines par le gouvernement et entendre la troublante confession d'un italien impuissant face à cette "dictature silencieuse", on se dit que l'on doit rester vigilant en toutes circonstances.

Antoine Jullien

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