vendredi 25 mars 2011

Premières images du nouveau Polanski


Les premières images de Carnage, le nouveau film de Roman Polanski, viennent d'être dévoilées par le magazine Empire. On y retrouve son prestigieux casting : Kate Winslet, Christoph Waltz, Jodie Foster et John C. Reilly. 

Adapté de la pièce de Yasmina Reza Le dieu du Carnage, le film s'intéresse à deux couples de parents new-yorkais dont l'enfant de l'un deux a frappé l'autre dans un parc public. Les adultes décident de se rencontrer afin de régler le litige. Sauf que plus le temps passe et plus la situation s'envenime... 

L'action du film est en temps réel, soit 1h45 d'enfermement et de tension comme les affectionnent le réalisateur de The Ghost Writer. Le tournage qui a eu lieu dans les studios de Bry-sur-Marne près de Paris vient de s'achever. La sortie est prévue pour le mois d'octobre prochain. On en salive d'avance ! 



mercredi 23 mars 2011

Cinéma du Réel


PALMARES

Les jurys ont rendu leur verdict et ont distingué plusieurs longs métrages de la sélection. Le Grand Prix Cinéma du Réel, qui récompense un film de la Compétition internationale, est revenu à Palazzo delle Aquile. Réalisé par trois italiens, Stefano Savona, Alessia Porto et Ester Sparatore, le film relate l'occupation de dix-huit familles mal logées au siège de la mairie de Palerme. Sans démagogie, les réalisateurs filment ce combat au quotidien avec ses difficultés croissantes à mesure que les stratégies et les points de vue sur une sortie du conflit divergent, les jusqu'au-boutistes se confrontant aux élus préférant le compromis. Un documentaire sur l'engagement dans ce qu'il a de plus noble et de plus concret qui s'achève sur une note amère ne laissant guère de place à l'espoir citoyen. Sans aucun doute l'un des meilleurs films du festival.

Palazzo delle aquile de Stefano Savona, Alessia Porto et Ester Sparatore

Le jury international a également retenu Distinguished Flying Cross de Travis Wilkerson, Prix International de la Scam. Evocation peu inspirée de la guerre du Viet-Nam à travers le récit d'un ancien pilote d'hélicoptère accompagné d'images d'archives des soldats, le film se montre rapidement lassant dans son procédé narratif qui ne brille pas par son originalité.

Distinguished Flying Cross de Travis Wilkerson

Signalons le documentaire Fragments d'une révolution, Mention Spéciale du Jury Jeunes et Prix Louis Marcorelles, qui compile de nombreuses vidéos sur la "révolution verte" iranienne de 2009 vues sur YouTube et DailyMotion. Malgré son dispositif un peu plombant, une iranienne vivant à Paris correspondant avec des habitants de Téhéran, le film se révèle un témoignage percutant du déni de démocratie perpétué par le régime d'Ahmadinejad dont est toujours victime le peuple iranien.

Fragments d'une révolution

Du 5 avril au 4 mai, vous pouvez retrouver une partie des films de la Compétition sur la plateforme Vod d' UniversCiné. Une séance de rattrapage qui vous permettra de vous faire une idée plus précise sur une sélection qui a, malgré quelques réussites, manqué de sujets forts et de propositions de cinéma nouvelles.

Antoine Jullien


Retrouvez le palmarès complet de Cinéma du Réel :
http://www.cinemadureel.org/rubrique773.html

Un printemps en docs ! 50 documentaires à retrouver sur la plateforme Vod d'UniversCiné.
http://www.universcine.com/promotion/printemps-en-docs-2011


PROGRAMME

Le festival Cinéma du réel ouvre ses portes le jeudi 24 mars jusqu'au 5 avril, à Paris. A la pointe du documentaire, la manifestation, devenue incontournable, propose une sélection d'une quarantaine de longs métrages et de courts métrage français et internationaux pour la plupart inédits avec une attention particulière portée sur des films à l'écriture et à l'éthique propres à un genre en pleine expansion. Les projections seront suivies de débats avec les réalisateurs invités. 

Parmi les évènements qui entoureront cette alléchante sélection, on citera la venue du cinéaste roumain Andrei Ujica qui reviendra sur sa trilogie réalisée autour de la fin du régime communiste ainsi que Gianfroco Rosi, un habitué du festival, qui présentera ses trois films Boatman (1993), Below Sea Level (2008) et El Sicario (2010) et évoquera son travail passé, présent et à venir lors d'un atelier exceptionnel. 

Le festival proposera également des cycles autour du documentaire poétique à travers les films de Pierre Clementi et Ken Brown et du documentaire engagé avec des figures telles que Cartier Bresson, Paul Strand, Sidney Meyers... 

Cinéma du réel explora aussi l'évolution des instruments de prises de vues et son influence sur la pratique documentaire, le lien entre musique et documentaire avec Ecoute voir ! Hors scène et présentera une installation de "L'héritage de la Chouette", composition filmique signée Chris Marker. 

Les films seront visibles dans plusieurs lieux de la capitale : le Centre Pompidou, Le centre Wallonie-Bruxelles, le cinéma MK2 Beaubourg et plusieurs salles de la région Ile-de-France. 

Mon Cinématographe couvre l'évènement et reviendra plus en détail sur les films présentés. 

Festival Cinéma du Réel - 24 mars au 5 avril 2011
Accueil et Renseignements : Centre Pompidou, Place Georges Pompidou - 75004 Paris. 
Tel : 01.44.78.45.16. ou www.cinemadureel.org

Exposition Stanley Kubrick



"La meilleure formation en matière de films est d'en faire un" selon Stanley Kubrick. Le génial cinéaste en a réalisé treize qui font partie d'une des oeuvres les plus importantes du XXème siècle. Un artiste démiurge, impressionnant, intimidant auquel la Cinémathèque française, onze ans après sa mort,  consacre une exposition exceptionnelle ¹ occupant deux niveaux du bâtiment, soit près de 1000 m² (une première !). Créée en 2004 par le Deutsches Filmmuseum de Francfort en étroite collaboration avec Christiane Kubrick, l'épouse du cinéaste, et Jan Harlan, son beau-frère et producteur exécutif de tous ses films à partir de Barry Lyndon, l'exposition est déjà passée par plusieurs grandes villes : Berlin, Melbourne, Gand, Zurich et Rome avant de s'installer à Paris jusqu'au 31 juillet.

Installation de Lolita 
© Deutsches Filminstitut, Frankfurt.

Conçu film par film, le parcours propose un voyage au coeur de la création du Maître. A travers de nombreux documents, plans de tournage, scénarios annotés, recherches préparatoires, dessins, l'obsession du détail chère au cinéaste éclate au grand jour. Le fichier de Napoleon en est l'un des exemples les plus frappants, Kubrick ayant répertorié chaque biographie de personnage par couleur soigneusement choisie. Dans l'une des interviews accordée à Michel Ciment que l'on peut savourer (l'un des rares journalistes qui a pu rencontré Kubrick, auteur d'un ouvrage de référence ²), il se disait, à propos de Barry Lyndon, passionné par la recherche documentaire où il se sentait l'âme d'un détective, épuisant tous les ouvrages possibles sur le sujet afin d'en connaître les moindres contours. Sa collaboration avec les physiciens de la NASA et l'auteur Arthur C. Clarke sur la préparation de 2001: l'odyssée de l'espace témoignent de ce perfectionnisme tout comme son souci du progrès technologique qu'il n'a eu de cesse de développer. Les effets spéciaux novateurs de 2001 (qui lui vaudront son unique Oscar !) ainsi que l'utilisation de l'objectif grande vitesse Zeiss pour le tournage à la bougie de Barry Lyndon ont marqué des étapes clefs dans l'histoire des techniques cinématographiques.

Korova milk bar. Décor d'Orange mécanique recréé pour l'exposition. 
Photo: Uwe Dettmar /© Deutsches Filminstitut, Frankfurt.

L'exposition présente des objets pour la première fois montrés au public : la hache meurtrière de Jack Nicholson, la machine à écrire et le costume des jumelles dans Shining, la tenue du Droogs d'Orange Mécanique, les costumes du XVIIIème siècle de Barry Lyndon où le crâne du singe de 2001. Deux maquettes de décor retiennent particulièrement l'attention, celle de la salle de contrôle de Docteur Folamour imaginée par Ken Adam et le labyrinthe en mousse de Shining. 


Maquette en mousse du labyrinthe de Shining / Reconstruction : Daniel Simmer 
© Deutsches Filminstitut, Frankfurt

L'ampleur de l'oeuvre kubrickienne prend corps au fur et à mesure de notre déambulation. Les images inoubliables de ses films hantent et fascinent, et les extraits minutieusement choisis nous rappellent la cohérence d'une filmographie d'exception où tous les genres ont été abordés afin de les révolutionner de fond en comble. Kubrick disait lui-même : "Il m'est impossible de vous dire ce que je vais faire si ce n'est que je pense faire le meilleur film jamais réalisé". Mais l'exposition nous rappelle également l'incompréhension, voire le rejet que ses films ont suscité à leur sortie. On lit, effaré, les diatribes d'Henri Chapier qui qualifiait, en 1962, Lolita d'"'hypocrite contre-façon de Nabokov" avant de qualifier quelques années plus tard Orange Mécanique de "film génial". Victime de la censure à cause du son caractère antimilitariste, Les Sentiers de la gloire, violente dénonciation de l'attitude des généraux français durant la première guerre mondiale, vaudra au long métrage d'être interdit en France jusqu'en 1975.

Clap de Eyes Wide Shut 
© Deutsches Filminstitut, Frankfurt.

Mais c'est le visage de Kubrick qui se voit soudain transfiguré. Lui, le grand créateur dictatorial et reclus que les médias ont dépeint durant toute sa vie nous apparaît avec une touchante simplicité. Les aquarelles de Christiane Kubrick le dessinant paisiblement dans sa propriété londonienne mais surtout les images de tournage, jusqu'à présentes inédites, de Full Métal Jacket ainsi que certains clichés du tournage d'Eyes Wide Shut nous révèlent un homme  d'une espièglerie et d'une sagesse étonnantes, entouré d'une équipe réduite alors que ses tournages représentaient des entreprises monumentales.

Tom Cruise, Nicole Kidman et Stanley Kubrick sur le tournage de Eyes Wide Shut 
(Eyes Wide Shut, GB/USA 1999) Photo: Manuel Harlan/ © Warner Bros.Entertainment Inc.

Outre ses longs métrages, un espace est dédié aux projets qui n'ont pas pu voir le jour dont le fameux Napoléon annulé quelques semaines avant le début du tournage ou le film de science-fiction A.I. - Intelligence Artificielle dont Kubrick confiera la réalisation à Steven Spielberg. On peut découvrir également les premiers clichés du cinéaste alors qu'il était photographe pour le magazine américain Look et qui montrent déjà sa science du cadrage et des perspectives, le magasinier pleurant la mort du président Roosevelt interpelle encore par sa puissance et sa simplicité. Enfin, une très instructive salle musicale permet de mieux comprendre l'importance de la musique dans l'oeuvre kubrickienne et la pertinence de ses choix où l'utilisation avant-gardiste du classique côtoie la pop et les standards jazzie.

Stanley Kubrick sur le tournage de 2001: L’Odyssée de l’espace 
(2001: A Space Odyssey, GB/USA 1965-68) © The Stanley Kubrick Archive.

"En tant que metteur en scène et producteur, Kubrick a créé des mondes d'images qui, jusqu'à ce jour, exercent une fascination sans faille et continuent d'inspirer et de déranger le spectateur". Le commissaire de l'exposition, Hans-Peter Reichmann, résume bien l'importance de Stanley Kubrick aujourd'hui. Il est l'un des réalisateurs le plus commentés et sans doute le plus proche des jeunes générations curieuses de découvrir un cinéaste qui a su accomplir une oeuvre exigeante et populaire, traversant les décennies sans rien perdre de son génie visionnaire. Pour l'éternité. 

Antoine Jullien


¹ Un audioguide avec la voix de Marisa Berenson en français et Malcom McDowell en anglais parcourt l'exposition ainsi que des images du documentaire de Jan Harlan Stanley Kubrick : une vie en images
² Kubrick de Michel Ciment - Editions Calmann-Levy (Réédition incluant une préface de Martin Scorsese).  


Filmographie

1953 : Fear and Desire 
1955 : Le baiser du tueur (Killer's kiss)
1956 : L'ultime razzia (The Killing)
1957 : Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory)
1960 : Spartacus
1962 : Lolita
1964 : Docteur Folamour (Dr Strangelove)
1968 : 2001 : l'odyssée de l'espace (2001 : a space odyssey)
1971 : Orange Mécanique (A Clockwork Orange)
1975 : Barry Lyndon
1980 : Shining (The Shining)
1987 : Full Metal Jacket
1999 : Eyes Wide Shut


Exposition Stanley Kubrick à la Cinémathèque française du 23 mars au 31 juillet. 
Rétrospective de ses films du 23 mars au 18 avril avec des conférences et des tables rondes. 
Cycle Autour de Stanley Kubrick du 20 avril au 2 mai. 
Coffret Stanley Kubrick réunissant pour la première fois l'intégralité de sa filmographie en DVD ainsi que le livre référence Stanley Kubrick Archives édité par Taschen (544 pages). 
Renseignements : 01.71.19.33.33 ou www.cinematheque.fr




mercredi 16 mars 2011

Le Documentaire animé au Forum des Images

Le Forum des Images propose du 18 au 20 mars un panorama du documentaire animé. En 2008, Valse avec Bachir avait révélé au grand public l'étendue d'un genre qui a pris son véritable essor au début des années 80.  

Un week-end de projections et de rencontres comprenant une quarantaine de courts métrages marquants de ces trente dernières années et des réalisations récentes comme Madagascar, carnet de voyages de Bastien Dubois, sélectionné aux Oscars, ou encore Hubert, l'homme aux bonbons de Marie Paccou.

L'émergence de longs métrages documentaires animés sera également à l'honneur avec l'avant-première de Pequenas Voces de Jairo Carrillo et Oscar Andrade le vendredi 18 mars à 21h, le "work in progress" de Approved for adoption de Jung et Laurent Boileau, adapté de la BD "couleur de peau : miel" le samedi 19 mars à 18h30, et la projection de Valse avec Bachir d'Ari Folman le dimanche 20 mars à 14h.

Pequenas Voces

Cette programmation s'accompagnera d'une table ronde "Documentaire animé ou animation du réel - Où s'arrête et où commence le documentaire animé ?" et de la présence de nombreux invités (Theodore Ushev, Jean-Gabriel Périot, Chloé Mazio, Luis Briceno...)

Une bonne occasion de se plonger dans un genre encore trop méconnu. 

Documentaire animé : vrai ou faux ? du 18 au 20 mars au Forum des Images, Porte St Eustache à Paris. 
Renseignements : 01.44.76.63.00 ou www.forumdesimages.fr

Ma part du gâteau


"J'avais l'impression qu'il fallait dénoncer quelque chose de notre époque, qu'il fallait réagir, et vite, sur la situation sociale actuelle". Cédric Klapisch a manifestement grandi. Fini les flâneries post-adolescentes et les contes naïfs, place au réalisme des petites gens victimes des rois de la finance. Ma part du gâteau raconte la rencontre improbable entre un trader et une ouvrière tout juste licenciée de l'usine Sifranor . Elle va devenir sa femme de ménage puis sa bonne à tout faire. Mais elle ne se doute pas encore que son patron est le principal responsable de la fermeture de l'usine. 

Les références de Klapisch sont criantes : Capra pour le mélange du social et de la comédie et Ken Loah pour la fibre militante. Mais le réalisateur du Péril Jeune ne boxe dans aucune de ces catégories. Il s'est, dit-il, beaucoup documenté afin de décrire le mieux possible le monde obscur et suspect de la grande finance. Il l'a surtout établi seul, sans partenaire qui lui aurait apporté le recul nécessaire et ainsi l'empêcher d'aller dans la mauvaise direction. Le réalisateur, sûr de son talent,  enchaîne les clichés à la pelle avec une belle assurance. Tant dans le monde des ouvriers que dans celui des traders, il n'apporte la moindre subtilité. D'une paresse scénaristique édifiante, l'intrigue, dont la pauvreté des dialogues le dispute à la banalité des situations, manque totalement de nuances. En donnant à Karin Viard et Gilles Lellouche des rôles (trop ?) taillés sur mesure, il pensait sans doute amener plus de crédibilité à ses personnages. Mais quand on ne peut pas jouer autre chose que ce qui est écrit, on tombe dans la facilité. Et à part appuyer une énième fois sur la gouaille de l'une et la goujaterie de l'autre, Klapisch n'a malheureusement aucun grain à moudre. 

Karin Viard et Gilles Lellouche

"Ce film est une tentative de divertissement sans pour autant "regarder ailleurs", et de dire qu'il n'y a pas que le documentaire qui nous pousse à regarder le monde dans lequel on vit". La vision du film vient durement contredire les propos du cinéaste. Car le documentaire, s'il est de qualité, ressasse autre chose que des clichés, tente de rendre moins manichéen des hommes et des femmes coupables et victimes de l'injustice sociale. Mais en condamnant bêtement ses deux protagonistes dans des archétypes aussi éculés (le très méchant trader contre la pauvre victime ouvrière), Klapisch déshonore du coup la fiction. 

Toutefois, quand le film devient un huis-clos entre les deux personnages, un vague intérêt renaît amplifié par l'apparition du fils de Gilles Lellouche. Le rapport de classes semble alors se renverser mais une dernière partie londonienne vient définitivement éteindre nos illusions. Soudain, Klapisch se souvient qu'il réalise un "anti-Pretty Woman" et lâche les amarres de la bonne conscience. Le très très très méchant trader devient encore plus une crapule et la victime ne sortira pas de son rôle de martyr. Ma part du gâteau est un faux film engagé, en réalité construit sur un formatage télévisuel où la liberté du réalisateur est anesthésiée. Après Paris qui montrait déjà des signes inquiétants, Klapisch s'enfonce davantage. S'il vous plaît, vous n'auriez pas les coordonnées d'un bon scénariste ?

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez StudioCanal Vidéo.

D'après une histoire vraie

Deux films sortis cette semaine sont inspirés d'une histoire vraie. Une marque déposée de plus en plus utilisée comme un outil marketing. Avec ses revers que les cinéastes ne savent pas toujours esquiver.



"Merci à Hollywood" clame Dick Ecklund à la fin du générique de Fighter. Lui, l'ancienne gloire de la boxe tombée dans l'addiction au crack, trouvant la rédemption grâce à son frère cadet Mickey qui deviendra champion du monde des poids légers, voilà une histoire comme les affectionnent les américains. Mais la présence derrière la caméra de l'électron libre David O. Russell avait de quoi intriguer d'autant plus qu'avant lui, Darren Aronofsky avait été pressenti avant de laisser la place au réalisateur des Rois du Désert tout en restant producteur exécutif. Mark Whalberg qui interprète Mickey s'est préparé à ce rôle pendant de nombreuses années afin de ressembler au vrai boxeur. Une authenticité que restitue fidèlement David O. Russell, loin de ses délires abscons (voir le pénible J'adore Huckabees), posant sa caméra à Lowell, ville du Massachusetts où ont grandi Mickey et Dicky. Un respect de la vérité qui trouve pourtant ses limites. 

La première partie du film est consacrée à la pression familiale exercée sur Mickey par Dicky (Christian Bale), son coach, et sa mère (Melissa Leo), figure autoritaire et possessive qui traite son fils comme une machine à billets. Un environnement familial aliénant que le réalisateur restitue grâce à une mise en scène alerte, sur le fil, où chaque mouvement contient une violence prête à surgir. Entouré de ses sept soeurs aux coiffures toutes plus improbables les unes que les autres (le film se situe au début des années 90), Mickey voit en son frère aîné un modèle et un repoussoir. Gloire déchue, imprévisible, Dickie est devenu une épave qui tient encore debout. Mais la science du combat qu'il connaît sur le bout des gants rassure et protège son frère qui n'ose pas se confronter à lui. Jusqu'à l'apparition de Charlene (Amy Adams), la petite amie de Mickey, prompte à en découdre avec cette famille qu'elle exècre. 

Mark Whalberg et Christian Bale

L'atmosphère moite de Lowell, ses rues sans vie, sa salle de boxe défraîchie concourent à la véracité recherchée, amplifiée par un casting plus vrai que nature où se mêlent comédiens professionnels et amateurs. Dans des rôles de performance pure, Melissa Leo et Christian Bale tirent le gros lot à coups de transformation physique et de tempérament excentrique. Récompensés tous deux aux Oscars, leurs interprétations, aussi intenses soit-elles, ne doivent pas faire oublier la belle retenue de Mark Whalberg dans l'un de ses meilleurs rôles. Mis K-O par ses proches comme par les coups de ses adversaires, son personnage est confronté à un dilemme cornélien où il doit choisir entre la boxe et sa famille. Mais il parviendra finalement à concilier les deux. 

C'est l'aspect feel good movie qui prend alors le dessus. Enterrés les affrontements familiaux et les clans opposés, Mickey est à présent sur le ring pour gagner son titre, entouré des siens. Une success story que David O. Russell ne cherche nullement à détourner. Recréant les combats en les filmant à la manière des reportages télévisés de l'époque, il sait les capter en maintenant une tension qui parcourt tout le film. Si l'on connaît déjà l'histoire, on ne sera pas surpris par cet happy-end un feu forcé. Les autres verront dans l'appellation ''based on a true story" une contrainte envahissante qui n'autorise aucune échappée. Tout ce que la relation entre ces deux frères pouvait avoir de complexe est soudain balayé au profit de l'histoire vraie. Un respect poli que David O. Russell n'a pas su ou voulu malmener. 



Après le désastreux Chrysalis, tentative ratée de film d'anticipation, on pouvait légitiment craindre le pire de Julien Leclerq. Pour son second long métrage, le réalisateur a voulu raconté l'assaut des hommes du GIGN sur l'avion d'Air France pris en otage par les terroristes algériens du GIA, le 26 décembre 1994 à l'aéroport de Marignane. Un évènement que plus de vingt millions de français ont suivi en direct. Julien Leclercq l'évoque à travers trois points de vue, celui des GIGN avec les personnages de Vincent Elbaz et Grégori Derangère, celui des terroristes et des politiques.

C'est dans le domaine de l'action pure que le réalisateur se sent plus à son aise. Maintenant une tension qui monte crescendo, il n'abuse pas, contrairement à ce que l'on redoutait, d'effets tape à l'oeil ou trop ostentatoires. Privilégiant une caméra tremblante qui se stabilisera davantage au fur et mesure de l'intrigue, il montre bien la détermination des terroristes et le silence coupable des autorités algériennes. La préparation de l'assaut est minutieusement décrite avec des détails qui dévoilent l'implication du réalisateur à restituer au mieux ce moment marquant. Puis vient le morceau de choix filmé dans un chaos où règne la plus grande confusion. Leclerq a souhaité humaniser ces hommes qui n'avaient jamais été confrontés à une telle attaque. Face à cette énorme pression, ils iront même jusqu'à demander au commandant de bord, miraculé, de lever les mains en l'air afin de prouver qu'il n'est pas un terroriste. 

En revanche, le réalisateur se montre beaucoup moins convaincant dans la partie politique où il donne un rôle démesuré et peu crédible à la pauvre Mélanie Bernier. Sentant probablement cette faiblesse, il décide de filmer les protagonistes regardant l'assaut passivement devant leur écran de télévision. Des images d'archives que le réalisateur incorpore justement à la fiction. Quant à l'inutile partie familiale du personnage de Vincent Elbaz, elle n'est guère inspirée et se rapproche parfois du ridicule. 

L'assaut fait preuve d'un efficacité indéniable qui maintient l'attention d'un spectateur éprouvant presque l'état de terreur qu'ont vécu les passagers du vol A-300. Mais le rapprochement avec le modèle avoué de Julien Leclercq, Vol 93, joue en défaveur du réalisateur. Car là ou Paul Greengrass avait su trouver un point d'équilibre entre les différents points de vue, Julien Leclerq livre un film inégal où l'absence de regard se heurte au respect des faits réels.

Antoine Jullien



mercredi 9 mars 2011

Winter's bone


La réalisatrice Debra Granik nous embarque dans un voyage très éloigné du clinquant hollywoodien. La forêt des Ozarks, dans le Missouri, est le décor reculé et sauvage de Winter's bone. Adapté du roman de Daniel Woodrell, le film raconte la lutte de Ree Dolly, 17 ans, élevant seule son frère, sa soeur et sa mère. Quand son père sort de prison et disparaît sans laisser de traces, elle doit partir à sa recherche si elle veut récupérer leur maison que son père a utilisé comme caution. Elle n'a alors qu'une seule idée en tête, sauver sa famille face à des habitants hostiles... 

Les souvenirs cinéphiles reviennent en mémoire à la vue des premières images et l'on repense très vite à Délivrance mais Debra Granik se dirige vers des sentiers moins monstrueux et plus sensibles. Elle filme cette jeune femme, une adulte dans le corps d'une adolescente, assumant une existence pénible, en but à la violence de ses voisins. La réalisatrice, pour préparer son film, a établi une vaste recherche documentaire afin de se rapprocher au plus près du vécu des habitants des Ozarks. Une véracité qui ressort de tous les plans sans que la réalisatrice ne surcharge des personnages taciturnes et brutaux. Peu de mots, peu d'explications, les regards en disent beaucoup plus que les discours. Ce mutisme crée une forte impression de danger renforcée par un décor des plus inhospitalier.

Jennifer Lawrence

Plus Ree Dolly cherche la vérité sur son père, plus les gens autour d'elle se referment. L'apparition de son oncle (troublant John Hawkes) marque le point d'équilibre du film et l'on ne sait jamais s'il se place de son côté ou s'il la manipule. Car la loi du silence semble être la religion des Ozarks qu'incarne physiquement une impressionnante brochette de comédiens. Debra Granik a choisi des "gueules" en évitant de les transformer en bêtes de foire. 

La réalisatrice oscille entre plusieurs genres et parvient à les combiner avec une surprenante fluidité. Le thriller est bien présent et se tend au fur et mesure de l'intrigue. On prend peur pour l'héroïne, fragile et déterminée, incarnée puissamment par la prometteuse Jennifer Lawrence. La réalisatrice a fait le pari audacieux de ne pas tout révéler et de laisser au spectateur le soin de déduire lui même les faits. Et elle ose ne jamais montrer le père qui devient une figure à la fois abstraite et omniprésente. 

Polar social atypique représentant le meilleur du cinéma indépendant américain, Winter's bone est une excellente surprise qui se termine sur une jolie note de banjo. Le père se retrouve alors au milieu des siens par l'intermédiaire de l'instrument de musique. Délivrance est définitivement loin de nous et des personnages. Une belle note mélancolique qui ponctue ce film dur à la tendresse cachée.

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez M6 Vidéo.

mardi 8 mars 2011

Avant l'aube


Au cinéma, tout est affaire de décor. Le réalisateur Raphaël Jacoulot a situé son intrigue au coeur des Pyrénées, à la frontière avec l'Andorre. Ce lieu d'un blanc immaculé, fouetté par la neige et le vent, est une belle métaphore des soubresauts que subissent les protagonistes d'Avant l'aube. Soit Jacques, un directeur d'hôtel prenant sous son aile Frédéric, un jeune en réinsertion qui va devenir son coursier. Une relation de confiance qu'un très lourd secret pourrait faire vaciller... 

Une histoire de famille, de mensonge, de veulerie... Tout cela réunit dans un scénario remarquablement ciselé par le réalisateur et sa co-scénariste Lise Macheboeuf qui ont su développer deux personnages intéressants sur le papier prenant une réelle épaisseur humaine grâce à leurs interprètes. Vincent Rottiers, étoile montante du cinéma français, révélé dans Je suis heureux que ma mère soit vivante et Qu'un seul tienne et les autres suivront, marque une nouvelle fois de sa présence animale où la colère se dispute à l'envie. Car ce jeune homme va peu à peu goûter au luxe de l'établissement, attiré par l'aisance de Jacques et de sa famille. Une ascension sociale que Raphaël Jacoulot, par petites touches, rendra illusoire.

Jean-Pierre Bacri et Vincent Rottiers

Jacques est un homme ambigu, se prenant soudain d'affection pour le jeune homme tout en le manipulant en douceur. Malgré sa relation conflictuelle avec son fils, il est prêt à tout pour garder les apparences même face une enquêtrice digne de Colombo, maladroite et constamment enrhumée (savoureuse Sylvie Testud). Elle va pourtant s'avérer une épuisante fouineuse et mettre les nerfs de Jacques à vif. Jean-Pierre Bacri apporte à son personnage un mélange de séduction et de lâcheté, sans cesse sur le fil entre la sincérité réelle et le calcul personnel. 

Raphaël Jacoulot, dans la tradition française, se rapproche d'un Simenon avec cette étude de caractères mêlée à une intrigue policière. Sa mise en scène, précise, nous baigne dans une atmosphère où l'on se sent bien, comme les clients de cet hôtel de luxe heureux de lire leur journal à l'heure du petit déjeuner. Mais ce vernis cache l'hypocrisie du rapport de classes et la bombe à retardement sociale qui est prête à exploser. Les dernières images laissent le spectateur sur un goût amer, attristé que justice n'ait pas été rendue mais soulagé par la dernière réplique de Sylvie Testud lancée à Frédéric : "T'inquiètes pas, va !"


Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez TF1 Vidéo

Never let me go


Depuis l'enfance, Kathy, Ruth et Tommy sont pensionnaires dans un établissement idyllique de l'Angleterre. En apparence. Car les trois enfants vont rapidement découvrir qu'ils sont en réalité destinés à devenir des donneurs d'organes. A travers trois époques (les années 60, 80 et 90), les amours qui relient ces trois personnages vont se confronter au sacrifice et à la mort. 

Never let Me Go est l'adaptation du roman de Kuzuo Ishiguro, Auprès de moi toujours. Ce romancier britannique d'origine japonaise avait écrit Les Vestiges de Jour porté à l'écran par James Ivory en 1993. On retrouve les mêmes thèmes : le renoncement de soi, les amours empêchés, une vision intemporelle de l'Angleterre. Mark Romanek, auteur d'un premier long métrage angoissant (Photo Obsession), avait la lourde tâche de transposer cette histoire déroutante qui se déroule dans un monde parallèle. Une science-fiction décalée, souterraine, que le cinéaste traite avec l'épure nécessaire. 

Carey Mulligan, Keira Knightley et Andrew Garfield

Le destin des trois personnages semble, dès les premiers instants, inéluctable. Le chemin qui les conduit vers la mort est marqué du sceau du fatalisme. Dans la première partie, à l'internat, Mark Romanek filme les non-dits, les silences qui intriguent le spectateur. Ce pensionnat gardera une bonne part de ses mystères mais lorsque le sacrifice de ces enfants se révèlera à nous, le film, au lieu de heurter ce dessein funeste, accompagnera Kathy, Ruth et Tommy vers leur marche mortifère.

Le film est déconcertant car il échappe aux conventions imposées par une telle histoire. En effet, à aucun moment le récit ne vient davantage éclairer les conditions du programme de donneurs ni les raisons de ce sacrifice. Sans rien expliciter, Mark Romanek réalise un film dérangeant d'une tristesse abyssale qui voit trois destinées ne pas concrétiser leurs rêves d'amour. C'est finalement le grand sujet du film, une histoire de sentiments contrariée demeurant le seul moyen de lutte de personnages incapables de se révolter.  Une musique douloureuse que le cinéaste arrive par moments à rendre plus lumineuse en filmant l'Angleterre des Cottages, paisible en apparence, feignant de protéger les jeunes adultes de la tragédie à venir. Mais ce beau film a aussi les défauts de ses qualités. Car le réalisateur s'est réfugié dans un drame intimiste en n'osant pas s'emparer des grandes thématiques que le sujet exigeait, la morale et l'éthique étant gommées par la profonde humanité des personnages. Un choix courageux mais timoré.

Antoine Jullien

mercredi 2 mars 2011

Jewish Connection / Les femmes du 6ème étage


Jesse Eisenberg est l'acteur qui monte. Nommé aux Oscars pour The Social Network, le jeune comédien campe un juif orthodoxe dont le destin semble tout tracé : reprendre la boutique de son père, devenir rabbin et se marier à la jeune fille qu'on lui a promise. Mais il refuse cette destinée imposée et se voit proposer le transport de pilules d'ecstasy aux Pays-Bas. Sensible à cet argent facile, il va très vite devenir la tête pensante d'un vaste réseau qui va écouler jusqu'à un million de pilules avant que leurs "mules" ne se fassent arrêter à l'aéroport. 

Jewish Connection est inspiré d'une histoire vraie qui a eu lieu à la fin des années 90. Pour son premier long métrage, le réalisateur Kevin Asch s'en est servi pour raconter un roman d'apprentissage. Le héros est tenaillé entre sa confession et la rigueur de la religion. Par naïveté, il va peu à peu se défaire de son emprisonnement familial et ainsi se confronter au monde de la drogue. Une émancipation amorale que le cinéaste filme avec sobriété sans copier outrageusement ses illustres modèles. On pense beaucoup à Scorsese, à James Gray également pour la description minutieuse de cette famille juive avec ses rites et ses dogmes. Si l'intrigue policière n'est pas suffisamment traitée et si la tension et l'engagement font défaut, la partie parentale est de loin la plus réussie. Même si l'on a du mal à imaginer que les trafiquants aient réussi à amadouer leurs "mules" aussi facilement, en leur faisant croire qu'il s'agissait de simples médicaments, Jewish Connection est un film d'atmosphère assez prenant et superbement photographié qui confirme les espoirs portés en Jesse Eisenberg. 




Les femmes du 6ème étage du Philippe Le Guay est un film charmant. Sans ironie aucune, voilà le meilleur qualificatif pour encourager les spectateurs à venir assister à la transformation de Fabrice Luchini, agent de change rigoureux et austère, en libertaire adepte des bonnes espagnoles. 

L'action se situe au début des années 60 dans une France gaulliste ronflante et sclérosée. Philippe Le Guay parle de ce qu'il connaît et certains détails ne trompent pas. L'importance de la cuisson de l'oeuf coq de Monsieur, l'emploi du temps "épuisant" de Madame, le cinéaste épingle gentillement une bourgeoisie figée dans ses traditions. La joliesse des décors et des costumes concourent à créer une atmosphère surannée que les espagnoles vont mettre sans dessus dessous. 

Le cinéaste a réalisé un conte lumineux en évitant le mieux possible les clichés et la caricature. Il évoque l'immigration, la place des femmes dans la société avec un positivisme qui gagne rapidement le coeur du spectateur. Il aurait pu tomber dans le folklore facile ou le misérabilisme mais la conviction des comédiennes ibériques empêchent le film de sombrer dans ces travers. De Carmen Maura, impériale, à Natalia Verbeke, nouvelle venue pleine de charme, elles apportent une douce folie qui fait contrepoids à la politesse empruntée de Fabrice Luchini. Le comédien, en retenue, donne sa petite musique à l'ensemble et le couple qu'il forme avec Sandrine Kiberlain donne quelques séquences bien senties. Mais au bout des terres espagnoles, le film se heurte aux cailloux du formatage consensuel. Pas une erreur d'aiguillage, pas un bouleversement ne viennent pertuber un scénario sans aucune surprise. C'est la qualité et le défaut du film, nous avoir offert un divertissement agréable et léger qui ne risque pas de laisser des traces indélébiles dans notre mémoire cinéphilique.

Antoine Jullien

La bella gente


La générosité peut se retourner contre vous. Telle est la morale de La bella gente, le deuxième long métrage de l'italien Ivano de Matteo, inédit dans son pays. Un couple d'intellectuels romains, Susanna et Alfredo, vient passer les vacances dans leur maison de campagne. Un jour, Susanna voit une jeune prostituée se faire maltraiter par un homme au bord de la route. Choquée, elle convainc son mari de la recueillir chez eux. Mais l'apparition de la jeune fille va bouleverser la vie familiale au point de malmener les grands idéaux de Susanna. 

Sur le même thème, l'étranger que l'on accepte avant qu'il ne devienne une menace, Anne Le Ny en avait fait une comédie acide et cruelle dans Les Invités de mon père. Ivano de Matteo a opté pour un traitement plus dramatique de l'affaire. Sous la chaleur écrasante de ce petit village du sud de l'Italie, il filme une famille de bobos quinquagénaires en apparence harmonieux et paisible, s'aimant "comme il y a trente ans". L'impulsivité de Susanna, son désir soudain de sauver la jeune prostituée partaient certainement d'une bonne intention. Mais le cinéaste la fait subtilement dériver à mesure que les problèmes engendrés par la présence de cette jeune fille s'accumulent. Car la prostituée a le malheur de sortir de son cadre strict de victime silencieuse en s'émancipant avec le fils de la famille incarné par Elio Germano (prix d'interprétation à Cannes pour La Nostra Vita). L'hypocrisie de cette bourgeoisie aux valeurs morales irréprochables éclate au grand jour. La stabilité familiale vacille, les certitudes s'effondrent et la nature humaine reprend ses droits. Ivano de Matteao montre très justement ce basculement prévisible mais néanmoins intéressant à observer. Car la jeune fille devient le jouet de tous ces "gens biens", victime de la jalousie, de la veulerie et de la lâcheté humaine. 

Le trait est parfois appuyé sur les personnages secondaires un peu stéréotypés (le couple d'amis inculte et vulgaire, la belle fille jalouse, le fils immature) mais la tension monte crescendo jusqu'au final attendu et inéluctable. On pourra reprocher au cinéaste de prendre ouvertement parti pour la victime et ainsi condamner sommairement le couple, en premier lieu Susanna. Mais la modestie de la mise en scène qu'on aurait imaginée plus incisive sert en réalité le propos et accompagne doucement cette fausse bienveillance qui cache des dessous moins nobles, où les gestes les plus anodins ont des répercussions dramatiques. Bénéficiant d'une interprétation remarquable (notamment Monica Guerritore), La bella gente, malgré ses quelques défauts (on ne sait rien de cette jeune fille), mérite qu'on se glisse subrepticement au coeur d'un malaise de plus en plus prégnant.

Antoine Jullien

mardi 1 mars 2011

Mort d'Annie Girardot


Annie Girardot est décédée hier des suites de la maladie d'Alzeihmer à l'âge de 79 ans. Révélée en 2006 par sa famille, la maladie galopante avait peu à peu fait oublier l'actrice aux 3 Césars et 2 Molières. Il suffit de se replonger dans sa carrière pour mesurer à quel point la popularité d'Annie Girardot était intacte. 

Après son passage au Conservatoire puis à la Comédie française, elle débute sa carrière cinématographique en compagnie des cinéastes de la "qualité française" (appellation méprisante que l'on doit aux réalisateurs de la Nouvelle Vague) : Le Chanois, Grangier, Delannoy, Boisrond, De La Patellière. En 1960, elle est consacrée grâce à Rocco et ses frères de Luchino Visconti dans lequel est campe une magnifique et déchirante Nadia. Tournant beaucoup durant les années 60, sa popularité grandissante connaîtra son apothéose au début des années 70. Une décennie qui verra s'enchaîner les triomphes à un rythme effréné : Erotissimo, Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas mais elle cause, La vieille fille, Docteur Françoise Gailland (qui lui vaut son premier César), La Zizanie, le diptyque Tendre Poulet - On a volé la cuisse de Jupiter. Mais c'est en 1971 qu'elle connaît son succès le plus fulgurant avec Mourir d'aimer d'André Cayatte. Professeur très engagée durant les révoltes de 68, elle tombe follement amoureuse de l'un de ses élèves avant que les parents de ce dernier ne porte plainte et la renvoie en prison. Inspiré d'une histoire vraie qui avait défrayé la chronique, le film réunira près de six millions de spectateurs dans les salles. 

Au début des années 80, la carrière d'Annie Girardot s'étiole et les rôles se font de plus en plus rare. Une traversée du désert qui prendra fin un soir de février 1996 lors de la cérémonie des Césars. Primée pour Les Misérables de Claude Lelouch, elle arrive sur la scène bouleversée, en larmes. Recevant  ce trophée inespéré, l'actrice dit alors ces quelques mots inoubliables  : "Je ne sais pas si j'ai manqué au cinéma français mais à moi le cinéma français m'a manqué, follement, douloureusement, éperdument. Votre témoignage, votre amour me font penser que peut-être, je dis bien peut-être, je ne suis pas encore tout à fait morte". 


César 1996 du meilleur second rôle pour Les Misérables 

La comédienne reprendra goût au théâtre dans Madame Marguerite et au cinéma dans La Pianiste de Michael Haneke (son dernier grand rôle), terrifiante en mère possessive d'Isabelle Huppert. Ces dernières années, Annie Girardot avait fait quelques apparitions dans Caché et Je préfère qu'on reste amis avant d'être définitivement rattrapée par la maladie. Star accessible et spontanée, au caractère bien trempé, l'actrice a évolué dans des registres divers, passant de la comédie au drame avec le même naturel. Une personnalité forte du cinéma français qui nous quitte. Laissons-lui la dernière réplique. 

Extrait de Rocco et ses frères de Luchino Visconti.