jeudi 31 mai 2012

La Quinzaine et Un Certain Regard à Paris


Pour tous ceux qui n'auraient pas pu découvrir les longs métrages au festival de Cannes, des séances de rattrapage vous sont proposées à travers les films présentés dans les sélections parallèles. 

Du 31 mai au 10 juin, le Forum des Images propose au public de découvrir les films de la Quinzaine des Réalisateurs qui a eu cette année un nouveau délégué général, Edouard Waintrop. Plusieurs oeuvres ont été remarquées, de No de Pablo Larrain à Ernest et Célestine de Stéphane Aubier, Vincent Patar et Benjamin Renner (les auteurs de Panique au village) en passant par Rengaine de Rachid Djaïdani, Room 237 de Rodney Ascher (voir article) et The We and The I de Michel Gondry

No de Pablo Larrain

Les films de la sélection Un Certain Regard sont à découvrir au cinéma Le Reflet Médicis jusqu'au 5 juin. Parmi eux, on peut citer l'incontournable Laurence Anyways de Xavier Dolan (voir article), le vaporeux Confession d'un enfant du siècle de Sylvie Verheyde (voir article), le lauréat de la caméra d'or Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin mais également les longs métrages récompensés par le jury Un certain Regard : Después de Lucia de Michel Franco, A perdre la raison de Joachim Lafosse et Le Grand Soir du tandem Kervern/Delépine. 

La Quinzaine des Réalisateurs au Forum des Images du 31 mai au 10 juin.
Forum des Halles, 2 rue du Cinéma - 75045 Paris,
Renseignements : http://www.forumdesimages.fr/
Un Certain Regard au Reflet Médicis du 30 mai au 5 juin.
3, rue Champollion - 75005 Paris
Renseignements : http://reflet.cine.allocine.fr/

Cosmopolis


Les responsables chargés de la publicité des films devraient parfois être sévèrement réprimandés tant ce qu'ils nous promettent sur l'affiche n'est en rien sur l'écran. La réunion de personnalités aussi diverses que le cinéaste David Cronenberg, l'acteur star Robert Pattinson et l'auteur culte Don DeLillo sentait le souffre et la provocation. Oubliez les bandes annonces tapageuses et les images chocs, Cosmopolis est en réalité le pire ratage de l'année 2012, d'une fadeur et d'une pauvreté ahurissantes. Qu'est-il arriver à David Cronenberg pour échouer à ce point ? 

Le film suit la vie d'un trader new-yorkais durant une journée, au bord de sa limousine qui parcourt un Manhattan sombrant peu à peu dans le chaos... 

Robert Pattinson et Sarah Gadon

Le problème avec les grands réalisateurs, c'est qu'ils peuvent tomber dans l'excès de confiance. En adaptant le roman de Don DeLillo, David Cronenberg a confié avoir terminé le scénario en six jours seulement car il souhaitait conserver l'essentiel du livre, se contentant de recopier au mot près les dialogues. Cosmopolis est ainsi devenu l'un des plus mauvais exemples à donner d'une transposition d'un roman sur grand écran car le spectateur a sans cesse l'impression de regarder un livre ouvert et non un film s'animer sous ses yeux. Incapable d'apporter la moindre vie à cet univers froid et désincarné, le cinéaste tente de se réfugier derrière son comédien principal qui n'a qu'une seule expression à nous offrir pendant toute la durée du métrage. 

L'acteur de Twilight, dont a tant glosé sur le prétendu changement de style, est la victime d'une direction d'acteurs anémiée où cohabitent tant bien que mal Juliette Binoche, Samantha Morton et Sarah Gadon dans des apparitions aussi vaines que grotesques. Seule l'arrivée de Mathieu Amalric en entarteur excentrique nous sort un peu de notre torpeur. Mais on reste bouche bée devant l'incapacité (ou l'envie ?) du cinéaste à réaliser une séquence un tant soit peu intéressante, se contentant de filmer la limousine de son personnage sous toutes les coutures en l'isolant du reste du monde. Le film est très loin d'être la métaphore de la crise du capitalisme qu'il prétend être et ne propose aucune direction satisfaisante, accablant le spectateur par ses dialogues verbeux et abscons qui finissent par être insupportables. Cosmopolis demeurera donc un fantasme de film, mais le film, lui, est assommant, prétentieux et finalement ridicule. Au cas où Cronenberg se sentirait coupable d'avoir élargi son audience grâce à son passage réussi vers le thriller avec A History of Violence et Les promesses de l'ombre dans lesquels il avait pu exercer pleinement ses talents de cinéaste, il est certain que le public, cette fois, ne remplira pas les salles, au risque de sombrer dans un ennui... mortel. 

Antoine Jullien

mercredi 30 mai 2012

Palmarès Cannes 2012


Amour aura donc sauvé un palmarès déconcertant. En attribuant à Michael Haneke la Palme d'or, trois ans après celle glanée pour Le Ruban Blanc, Nanni Moretti et son jury ont voulu célébrer l'oeuvre la plus puissante de cette inégale sélection. Auteur d'un huis-clos saisissant sur la fin de vie d'un couple d'octogénaires, superbement interprété par Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva, Michael Haneke pose sa caméra au plus près de ses personnages sur le chemin de la mort, avec une humanité jusqu'à alors inédite dans la filmographie du cinéaste (voir article). Un grand film que l'on pourra découvrir dans les salles dès le 24 octobre. 

Au-delà des collines de Cristian Mungiu

Le reste du palmarès donne la place à des oeuvres hétéroclites, de la dénonciation de la télé réalité dans Reality de Matteo Garrone (Grand Prix) à l'austérité du film de Cristian Mungiu, Au-delà des collines (Prix d'interprétation féminine et Prix du scénario) qui confirme son statut de réalisateur à suivre après sa Palme d'or remportée pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours.

Mads Mikkelsen dans La Chasse de Thomas Vintenberg

Le Prix d'interprétation masculine a été attribué au comédien danois Mads Mikkelsen pour La Chasse de Thomas Vintenberg qui raconte la tragédie d'un homme injustement accusé de pédophilie. Un nouvel élan pour l'acteur fétiche de Nicolas Winding Refn, connu du grand public grâce à son rôle de méchant dans le James Bond Casino Royale

Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas 

Les ténèbres sont tombées sur la prix de la mise en scène remis à l'imposteur de cette sélection, Carlos Reygadas, pour son assommant Post Tenebras Lux. Impossible à résumer, le film est d'une prétention ahurissante, enchaînant les séquences sans aucune logique. Une caricature d'un cinéma creux et nombriliste, copieusement sifflé par la presse, et qui ne mérite aucun éloge (voir article). 

La part des Anges de Ken Loach

Enfin, le Prix du Jury a été remis au seul film optimiste de la compétition, La part des Anges, du vétéran Ken Loach, soit l'histoire d'une arnaque au whisky où les déshérités chers au cinéaste réussissent cette fois à s'en sortir, avec un humour réjouissant et de savoureuses péripéties (voir article). Une oeuvre mineure, certes, mais extrêmement agréable (en salles le 27 juin).

Holy Motors de Leos Carax 

Le grand oublié demeure Holy Motors de Leos Carax, l'oeuvre la plus inventive, la plus libre et la plus surprenante du ce festival (voir article). Le réalisateur a abandonné ses pesanteurs de cinéaste maudit pour délivrer un objet filmique non identifié, fou, porté par un extraordinaire Denis Lavant qui n'aurait pas volé un prix d'interprétation. Il est regrettable que la médiocrité de Reygadas ait été préférée à l'audace de Carax. 

De rouille et d'os de Jacques Audiard 

Le reste de la sélection française est aux abonnés absents, de Resnais (voir article) à Audiard (voir la critique de De rouille et d'os), à l'instar de la sélection américaine, qui était pourtant largement représentée et qui a plutôt déçue malgré des films intéressants. On aurait d'ailleurs pas été fâché de voir Wes Anderson pour Moonrise Kingdom ou Andrew Dominik pour Cogan - La mort en douce (voir article) repartir avec un prix de la mise en scène. 

Comme De rouille et d'os qui connaît un beau succès, on espère que tous les films primés rencontreront le public qui juge souvent, à tort ou à raison, les films de Cannes trop élitistes. Verdict prochainement dans les salles. 


PALMARES 

PALME D'OR
AMOUR de Michael Haneke

GRAND PRIX
REALITY de Matteo Garrone

PRIX DE LA MISE EN SCENE
POST TENEBRAS LUX de Carlos Reygadas

PRIX D'INTERPRETATION MASCULINE
Mads Mikkelsen dans LA CHASSE de Thomas Vintenberg

PRIX D'INTERPRETATION FEMININE
Cristina Flutur et Dupa Delauri dans AU-DELA DES COLLINES de Cristian Mungiu

PRIX DU SCENARIO
Cristian Mungiu pour AU-DELA DES COLLINES

PRIX DU JURY
LA PART DES ANGES de Ken Loach

CAMERA D'OR
LES BÊTES DU SUD SAUVAGE de Benh Zeitlin

PALME D'OR DU COURT-METRAGE
SILENCIEUX de L. Rezan Yesilbas

vendredi 25 mai 2012

La surprise Carax... et la vaguelette indienne


Le festival de Cannes est un monde en vase-clos, qui, pendant dix jours, voit une quantité de films, fait des affaires, va aux nombreuses soirées courues ou encore admire les stars qu'on a la (rare) chance d'apercevoir. Pour chaque festivalier, c'est un rythme éprouvant qui s'installe où les heures de sommeil se comptent sur les doigts d'une main et les assoupissements durant les projections quasi inévitables. Le marathon s'achève dans deux jours mais on peut d'ores et déjà faire une première constatation : Cannes 2012 ne sera pas un grand cru, avec son lot d'immenses déceptions (dont un certain Cosmopolis dont nous reparlons très prochainement). Les rares grands moments de cinéma étaient donc particulièrement appréciés.

Holy Motors © Camille de Chenay 

Le grand moment en question est venu d'un ressuscité du cinéma, en la personne de Leos Carax. Le réalisateur maudit, que plus personne ne voulait produire, nous revient avec Holy Motors. Treize ans après l'accueil glacial subit par Pola X sur la Croisette, le cinéaste semble avoir retrouvé les faveurs de la critique, divisée certes, mais qui a dans l'ensemble réservé un bel accueil au film. L'histoire ? Elle est inracontable mais on peut tout de même révéler que l'on assiste à la métamorphose de l'extraordinaire Denis Lavant en une dizaine de personnages, qui ont chacun un rendez-vous à honorer, quelque part dans Paris. Le mystérieux bonhomme qui se transforme tout au long du film est un dénommé monsieur Oscar, et réalise ses transformations à l'intérieur d'une berline conduite par Edith Scob.

Leos Carax nous oblige à perdre tous nos repères de spectateur et à se laisser embarquer dans son voyage halluciné et poétique. Armé d'une liberté folle, le cinéaste ne recule devant aucun obstacle et amène Denis Lavant à relever des défis impérieux. Le comédien, qui mériterait un prix d'interprétation, est en totale adéquation avec l'univers unique de Carax en lui conférant une étrangeté supplémentaire. Autour de lui apparaissent des figures hétéroclites, de Kylie Minogue lors d'une superbe séquence à l'intérieur de la Samaritaine désaffectée à Eva Mendes en mannequin voilé en passant par la courte apparition de Michel Piccoli. Ils accompagnent chacun Oscar dans ses différentes missions, tour à tour surréalistes et effrayantes, saugrenues et pathétiques. Leos Carax véhicule son plaisir du jeu à travers le déguisement et donne à son film une portée ludique, à l'image de la dernière séquence où il fait parler des limousines dans un garage. Il est rare de voir un cinéaste livrer une oeuvre aussi radicale dans sa ambition sans qu'à seul instant on ne ressente un effet de style, malgré quelques références à l'actualité un peu appuyées. Une oeuvre somme, pleine et entière, qui redonne confiance dans le pouvoir de fascination du cinéma. Nanni Moretti et son jury ne peuvent pas passer à côté d'un tel objet filmique.


Post Tenebras Lux © Le Pacte 

L'imposture intellectuelle est en réalité venue du mexicain Carlos Reygadas qui nous a infligé son nouveau pensum au titre équivoque : Post Tenebras Lux. L'intrigue ? Inutile de perdre son temps avec ce vilain mot, le réalisateur n'en a cure et nous assène un film sans queue ni tête, interminable, aussi prétentieux dans sa forme que désespéremment vide dans son propos. Le film s'est fait copieusement siffler en projection officielle, ce qui a du faire plaisir au réalisateur. On ne peut pourtant pas tolérer de voir une telle imposture figurer au sommet du cinéma mondial. Après Kiarostami, une nouvelle abérration dans la compétition officielle.


Paperboy © Metropolitan Filmexport

Peut-on tout pardonner à un film dès lors que l'on admire sa comédienne ? Le retour de Nicole Kidman était attendu, et il n'a pas déçu tant sa prestation dans l'inégal Paperboy distille ce mélange de trouble et de séduction que l'actrice affectionne tant. Elle campe ici une sorte de bimbo éprise d'un prisonnier dont elle veut prouver l'innocence. Pour se faire, elle est aidée par deux journalistes (Mathew MacConaughey et Zac Ephron) qui vont devoir mettre à jour les failles du dossier. Sauf que Lee Daniels, le réalisateur de Precious, ne s'intéresse pas vraiment à l'intrigue policière qu'il relègue rapidement au second plan afin de dépeindre une galerie de personnages ambigus et violents, au coeur de l'Amérique des années 60. Les tensions raciales parcourent tout le film à l'instar du décor poisseux de la Louisiane qui colle au personnages comme leurs chemises trempées de sueur. Une atmosphère plutôt séduisante gâchée par des effets de style trop appuyés qui amoindrissent l'impact du film. En adaptant le roman de Peter Dexter, Lee Daniels a voulu rendre a l'écran une forte tension sexuelle incarnée par le personnage de Kidman. La comédienne, qui n'a décidément peur de rien, est à plusieurs reprises confrontée à des séquences, qui, sans son talent, auraient sombré dans le ridicule. L'actrice relève le défi mais on se demande si le jeu en valait la chandelle tant le réalisateur a du mal à trouver une cohérence à l'ensemble.


Io e Te

L'an passé, le festival rendait un hommage à Bernardo Bertolucci en lui remettant la Palme des palmes pour l'ensemble de sa carrière. Carrière, qui, malgré ses problèmes de santé, n'a pas altérer son envie du cinéaste. Présenté hors compétition, Io e Te est le portrait d'un adolescent renfermé qui ne veut pas partir au sport d'hiver, préférant se réfugier durant une semaine dans la cave de l'immeuble de ses parents. Là, il doit héberger sa demi-soeur avec laquelle il entretient des relations orageuses. Il est toujours un peu triste d'assister au lent déclin artistique d'un cinéaste qui a été l'auteur du Dernier tango à Paris et du Conformiste. Depuis des années, ses films tombent dans l'académisme et celui-ci ne viendra malheureusement pas rehausser l'édifice. Sa direction d'acteurs est heureusement intacte et les deux jeunes comédiens sont tous deux très attachants. Mais ils n'arrivent pas à élever le film au delà de la simple anecdote, pas désagréable, mais que l'on oubliera vite.

Miss Lovely

Les organisateurs du festival ont parlé d'une nouvelle vague indienne pour cette nouvelle édition, et nous avons voulu vérifier cette tendance en découvrant deux long métrages, l'un présenté à la Semaine de la Critique et l'autre à Un Certain Regard. A la vision de ces deux films, force est de constater qu'il s'agit encore d'une vaguelette. Dans le premier, Peddlers, le réalisateur Vasan Bala nous raconte deux histoires en parallèle au coeur de Bombay, l'une sur un policier impuissant et l'autre sur un réseau de prostitution. On se demande bien pourquoi le cinéaste à voulu juxtaposer ces deux intrigues qui ne se répondent jamais mais on est encore plus frappé par l'incohérence totale du montage, qui passe d'une scène à une autre en l'absence de toute logique narrative. Si le réalisateur fait preuve par moments d'une belle énergie dans sa mise en scène, il tombe trop souvent dans la violence gratuite.

Le second film, Miss Lovely, nous a encore moins convaincu, plombé par un scénario abscons qui a comme cadre le monde de la série Z d'horreur érotique mêlé à la rivalité entre deux frères. Le réalisateur Ashim Ahluwalia n'en fait pas grand chose et nous assène une purge d'un mortel ennui. La nouvelle vague attendra donc.

Tableau des critiques au 25 mai 

A deux jours du palmarès, l'habituel jeu des pronostics monte en puissance. Deux longs métrages semblent se dégager pour glaner la Palme d'or : Amour de Michael Haneke et De rouille et d'os de Jacques Audiard. Le réalisateur français avait perdu son duel il y a trois ans face au cinéaste autrichien, Isabelle Huppert et son jury ayant préférer accorder la récompense suprême au Ruban Blanc plutôt qu'à Un Prophète. L'inverse pourrait cette fois se produire à moins qu'un autre cinéaste ne vienne troubler le jeu. Verdict dimanche soir. 

Antoine Jullien 

mercredi 23 mai 2012

Resnais, Kiarostami, Loach et Dominik se dévoilent


Alors que la pluie commençait à perturber sérieusement l'organisation du festival, conduisant à annuler plusieurs projections, elle s'est enfin mise à cesser ! Le rythme des films, lui, n'a pas faibli et la sélection officielle nous a offert quelques beaux moments de cinéma mais aussi de sacrés ratés. 

Vous n'avez encore rien vu © Studio Canal 

A presque 90 ans, Alain Resnais est le doyen de la compétition mais il est souvent considéré comme le plus jeune des cinéastes, par sa liberté absolue et son perpétuel besoin de renouveau. Intituler son film Vous n'avez encore rien vu est une belle promesse autant qu'une vraie prise de risques. Et au sortir de la projection, on a la forte impression d'avoir déjà assister à cette réflexion sur la théâtralité, omniprésente dans Providence, Mélo et Smoking/No Smoking. 

Après sa mort, Antoine, un metteur en scène, convoque Pierre Arditi, Sabine Azéma, Lambert Wilson, Anne Consigny, Mathieu Amalric et quelques autres à rejouer une dernière fois sa pièce devant la vidéo d'une troupe de théâtre qui l'interprète simultanément. Une mise en abîme comme les affectionne le cinéaste qui crée un dispositif audacieux lui permettant de nourrir sa passion pour les comédiens et le jeu sous toutes ses formes. Adaptant la pièce Eurydice d'Anouilh, le cinéaste fait surgir de ce magnifique texte de très beaux moments poétiques hélas noyés par l'aspect répétitif et artificiel de l'ensemble. Si son amour des mots transparaît encore, le sens visuel du réalisateur s'étiole quelque peu, à voir la faiblesse de sa direction artistique, et sa mise en scène est plombée par l'aspect très théâtral du film. A cause d'une absence d'émotion et d'humour, Resnais finit par tomber dans un pénible esprit de sérieux. Pour les inconditionnels.


Like someone in love © MK2

Il y a des cinéastes à qui l'on accorde des honneurs qu'ils ne méritent plus. Présent une cinquième fois en compétition après sa palme d'or pour Le goût de la cerise, le cinéaste iranien Abbas Kiarostami nous revient avec un film tourné au Japon. Après la Toscane de Copie Conforme, le réalisateur poursuit son exploration de territoires inconnus dans Like someone in love. Et le voyage n'en valait vraiment pas la peine ! D'un vide accablant, cette histoire centrée sur un vieil écrivain n'a aucune substance, engoncée dans un maniérisme de cinéma d'auteur du pire effet qui consiste à n'en produire aucun à part celui de vous endormir profondément. Le cinéaste n'a manifestement rien à nous raconter et filme son récit avec une absence totale de conviction. Une incompréhensible présence en compétition et une envie profonde de voir Kiarostami rendre sa carte injustifiée d'abonné du festival.


La part des Anges © Le Pacte 

Devant la gravité du monde qui nous explose à la figure dans la majorité des films présentés cette année, voir une comédie optimiste décuple évidemment notre enthousiasme. Avec La Part des Anges, Ken Loach ne réalise cependant pas une oeuvre majeure mais arrive à nous captiver et nous faire rire grâce à cette histoire de rédemption sociale à travers le whisky. Le réalisateur pose sa caméra à Glasgow et montre son indéfectible attachement pour les déclassés. Bien mené, le film est un plaisir de spectateur revigorant, qui nous dit qu'il y a toujours une deuxième chance. Ken Loach y croit, et on a furieusement envie de le suivre.


Cogan - La mort en douce © Metropolitan Filmexport 

Cogan - La mort en douce était très attendu car il marquait l'arrivée dans le raout cannois d'Andrew Dominik, célébré pour son précédent film, L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Brad Pitt interprète ici un tueur à gages chargé de faire le ménage dans un tripot de pocker. Dès les premières images, la puissance de la mise en scène nous subjugue grâce à l'étonnant travail sur l'image et le son. Le réalisateur trouve immédiatement un ton très singulier à son récit, et arrive à contextualiser  ouvertement un film de gangsters dans la réalité économique américaine, à savoir la crise de 2008. Devant les discours de rassemblement d'Obama que l'on entend à plusieurs reprises, Dominik oppose une société égoïste et repliée sur elle-même, uniquement motivée par l'appât du gain. Une impression renforcée par la grande violence du film, très stylisée, et le cynisme du personnage de Brad Pitt. Mais le cinéaste ne maintient pas ce niveau d'excellence pendant toute la durée du film qui faiblit au milieu du gué. Mais sa galerie de seconds rôles, qui existent tous à l'écran, et sa tonalité très sombre brillamment interrompue par un humour à froid, nous font penser que le cinéaste pourrait décrocher un prix de la mise en scène. Comme un certain Drive l'an passé auquel on le compare déjà.


Room 237

Enfin, dans la sélection de La Quinzaine des réalisateurs, on a pu découvrir un curieux long métrage, Room 237, un documentaire sur les significations cachées contenues dans Shining. A l'aide d'extraits et de commentaires de prétendus experts qu'on ne voit jamais à l'écran, le film poursuit toutes sortes de théories, des plus fumeuses aux plus invraissemblables, en triturant le chef d'oeuvre de Kubrick dans tous les sens. En petit malin, le réalisateur Rodney Ascher note tous les faux raccords du film en prétendant qu'ils étaient voulus par le cinéaste, comme une chaise qui disparaît d'un plan à un autre où la machine à écrire de Jack Torrance qui change entre deux séquences. Certaines suppositions sont crédibles mais la plupart paraissent bien farfelues. Gâché par une abominable musique, le film amuse parfois mais laisse résolument perplexe.

Antoine Jullien

lundi 21 mai 2012

Haneke, première grande sensation sur la Croisette


Après que Moonrise Kingdom et De rouille et d'os aient ouvert les hostilités, le festival de Cannes bat dorénavant son plein... sous la pluie ! Des trombes d'eau se sont mises à submerger la Croisette, mettant à rude épreuve la patience des festivaliers. Mais tous les regards se portent sur les films en compétition dont on a déjà pu découvrir le premier moment fort. 

Amour © Les films du Losange

Amour est le nouveau long métrage de Michael Haneke, trois ans après sa Palme d'or glanée pour le Ruban blanc. Le cinéaste autrichien a réussi l'exploit de faire sortir de sa retraite l'immense Jean-Louis Trintignant. Au côté d'Emmanuelle Riva, le comédien campe un vieil homme qui voit sa femme perdre peu à peu ses facultés physiques et mentales. Le cinéaste situe son récit en huis-clos, ne sortant jamais de l'appartement qui nous est présenté dès les premières images comme un tombeau. La mort est le sujet prégnant et essentiel de ce film qui vous hante durablement. Par l'extrême précision de sa mise en scène, Haneke nous montre le lent crépuscule de deux êtres unis par un amour qui va au-delà de toutes les démonstrations. On connaissait le penchant rigoriste du cinéaste et la distance qu'il aime afficher vis-à-vis de ses personnages. Grâce à la stupéfiante interprétation d'Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant, qui ont avoué avoir souffert de l'exigence apportée par le réalisateur sur sa direction d'acteurs, Amour est une oeuvre poignante et éprouvante sur l'agonie d'une femme autant que sur celle d'un couple qui trouvera dans la mort une magnifique porte de sortie. Haneke signe un nouveau film majeur qui devrait faire parler de lui au palmarès.


Des hommes sans loi © Metropolitan Filmexport

On ne peut malheureusement pas en dire autant de Lawless - Les hommes sans loi, le long métrage de John Hillcoat ayant pour cadre la prohibition. Le film relate l'histoire vraie de trois frères, trafiquants d'alcool, qui doivent faire face à une police corrompue, une justice arbitraire et des gangsters rivaux. On se demande bien pourquoi Thierry Frémeaux a choisi ce film en compétition tant il croule sous l'académisme malgré la présence de Nick Cave au scénario. Plombé par tous les archétypes, le film devient vite extrêmement prévisible et n'est jamais sauvé par une mise en scène inspirée ni par des aléas de montage qui sacrifient purement et simplement certains personnages dont le gangster joué par Gary Oldman. La direction d'acteurs, inégale (Guy Pearce est médiocre en caricature de méchant), n'arrange rien et l'on se désintéresse vite de cette histoire qui manque terriblement d'âme. Un coup pour rien.


Laurence Anyways © MK2

Du côté de la sélection Un Certain Regard, toutes les attentions étaient portées sur Laurence Anyways de Xavier Dolan que l'on attendait en compétition. Vexé, le cinéaste a bien dû affronter ce déshonneur et présenter son troisième long métrage à seulement 22 ans. Et lorsque l'on découvre Laurence Anyways, on ne peut s'empêcher d'être saisi devant la maturité et le talent d'un cinéaste aussi juvénile. S'il n'est plus cette fois devant la caméra, le jeune homme monopolise encore tous les postes : réalisateur, scénariste, monteur, créateur de costumes... Là est la faiblesse du film, dans son trop plein et sa gourmandise qui ne justifient pas les 2h40 de projection. Mais en racontant la transformation de Melvil Poupaud en femme, Xavier Dolan convoque plusieurs genres et enchaîne les morceaux de bravoure qui témoignent d'influences diverses et d'un savant collage visuel pop devenu maintenant une signature. Au lieu de parler de transexualité, le réalisateur préfère filmer un être qui bouleverse son histoire d'amour par quête d'identité. Une oeuvre forte, aux afféteries agaçantes, mais qui recèle de précieux instants de cinéma.


Antiviral 

Toujours à Un certain Regard, on a pu découvrir Antiviral, le premier (et on espère le dernier !) film de Brandon Cronenberg, fils du célèbre cinéaste qui présentera Cosmopolis en compétition. Le rejeton a eu la malheureuse idée de vouloir marcher sur les plates bandes de son père en réalisant un film fantastique mâtiné de mutations organiques. Là, le résultat, aussi inintéressant que prétentieux, recycle tous les poncifs du genre, et dénué de toute personnalité. Complaisant et gratuit, le film n'est jamais crédible dans ce qu'il veut nous raconter. On conseillerait presque à Brandon de revenir à ses chères études car réalisateur, il ne l'est pas encore tout à fait.

Confession d'un enfant du siècle © Ad Vitam

On a pu aussi contempler l'adaptation du roman de Musset Confession d'un enfant du siècle par la réalisatrice Sylvie Verheyde. On retrouve au casting le chanteur Pete Doherty dans c'est le premier rôle à l'écran et Charlotte Gainsbourg. Dans une esthétique qui rappelle les films de Sofia Coppola, la réalisatrice met la question de l'amour au centre d'un jeu cruel auquel se livre les deux protagonistes. Un peu long, le film finit par séduire grâce au dandysme de Pete Doherty et la recréation d'une époque évaporée aux prises avec les affres de son temps.

Antoine Jullien

samedi 19 mai 2012

De rouille et d'os



De Rouille et d'os... Dans les titres qu'il donne à ses films, Jacques Audiard aime se référer au corps : Sur mes lèvres, De battre mon coeur s'est arrêté... Le corps est en effet un élément clef dans la filmographie du cinéaste qu'il filme et malmène à loisir. Pour son sixième long métrage, il adapte les nouvelles de l'auteur canadien Craig Davidson et orchestre une rencontre nourrie de blessures et de chocs entre deux êtres bringuebalés par les circonstances de la vie. Un changement de registre pour le cinéaste, en apparence seulement, qui, sous les contours du mélo, évoque plus que jamais ses obsessions... et prend quelques risques.

Ali se retrouve avec son fils de cinq ans, Sam, qu'il connaît à peine. Sans domicile, sans argent et sans amis, il trouve refuge chez sa soeur à Antibes. Il fait alors la rencontre de Stéphanie, dresseuse d'orques au Marineland. Mais un spectacle aquatique tourne mal et un accident l'amène à perdre ses deux jambes. Il va alors l'aider, sans compassion ni pitié. 

Marion Cotillard et Mathias Schoenaerts

L'arrivée de Marion Cotillard dans l'univers si masculin de Jacques Audiard avait de quoi intriguer. L'actrice oscarisée est arrivée sur le projet sans préparation et cette vérité de l'instant a sans doute contribué à la réussite de son interprétation. Loin de la sophistication hollywoodienne de ses derniers films, elle apparaît sans fard, dans un dénuement total, ne versant pas dans l'apitoiement mais apportant à son personnage une fierté et un courage que la caméra de Jacques Audiard ne vient jamais travestir, même dans les instants les plus douloureux du film. On sent parfois le cinéaste à trop grand distance de son sujet, rejetant tout effet de psychologie. S'il livre des moments empreints de poésie, comme ses belles retrouvailles entre l'orque et sa victime, il se sent obliger d'empêcher l'émotion d'apparaître véritablement en filmant la réalité sociale d'Ali et les figures hétéroclites, un peu vaines, qui tournent autour de lui. L'univers de la boxe de rue, dans lequel il y trouve un certain plaisir, semble presque superflu tant Audiard rejoue une partition qu'il avait poussée à son extrémité dans Un Prophète où la violence terrible des coups répondait à la brutale ascension de Malik.


Le cinéaste garde pourtant intact son art visuel qui se joue des éléments naturels de l'environnement qu'il filme afin de procurer une intensité incomparable. Ainsi, les baignades entre Ali et Stéphanie, qui expose alors crûment son infirmité, sont remplies d'une sérénité solaire et apaisante, à l'image de la lumière du sud que le réalisateur capte superbement, et empreinte d'une grande délicatesse. La délicatesse, c'est pourtant ce qui manque cruellement à Ali (Mathias Schoenaerts, la révélation de Bullhead), consommateur de femmes, père absent, qui se dit « opé » quand Stéphanie veut bien coucher avec lui. Audiard aborde de front la sexualité, et sa manière de la représenter pose question, entre impudeur animale et banalité de l'instant.

Mais s'agit-il d'une histoire d'amour ? Le cinéaste se garde bien de donner une réponse claire et tranchée. Il est toutefois intéressant de noter que le deuxième personnage féminin majeur de sa filmographie est handicapée, après Emmanuelle Devos dans Sur mes lèvres. Dans ce film, elle retournait son handicap à son avantage et finissait par dominer Vincent Cassel. Ici, les prothèses de Marion Cotillard la remette en selle mais au service de l'homme qu'elle croit aimer. Un renversement des rôles et un effacement progressif qui conduit Audiard à commettre des lourdeurs scénaristiques qu'on se gardera bien de dévoiler mais qui paressent soudain flagrantes alors que jusqu'à maintenant, le cinéaste avait su magnifiquement jongler entre la finesse de ses scripts et la puissance de sa mise en scène. Si elle demeure, le réalisateur est cette fois moins à l'aise. La prise de risque n'est donc pas totalement payante et éclaire plus frontalement l'ambiguité troublante qu'Audiard entretient sur les rapports entre les hommes et les femmes. Entre fascination et répulsion.

Antoine Jullien

Moonrise Kingdom



Certains cinéastes ont un amour fétichiste de leur art. Wes Anderson en fait assurément partie, à voir la manière avec laquelle le réalisateur dissémine ça et là, au détour d'un plan, des objets vintage de toute sorte. Et lorsqu'il convoque l'enfance à travers la fugue de très jeunes gens qui veulent vivre une histoire d'amour, le cinéaste ouvre son magasin des souvenirs et perpétue son univers coloré. On peut ne pas accrocher à la patte Anderson mais le cinéaste en a une, incontestablement, unique et originale, qui trouve dans Moonrise Kingdom un délicieux parfum de nostalgie.

Sur une île au large de la Nouvelle-Angleterre, au coeur de l'été 65, Suzy et Sam, 12 ans, tombent amoureux, concluent un pacte secret et s'enfuient ensemble. Alors que chacun se mobilise pour les retrouver, une violente tempête s'approche des côtes et va bouleverser la vie de la communauté. 

Bill Murray, Frances McDormand, Edward Norton et Bruce Willis

Comme au théâtre, Wes Anderson aime l'esprit de troupe et il convie à nouveau une ribambelle de noms célèbres, alléchés à l'idée de se glisser dans le monde du cinéaste. Ainsi, Bruce Willis, Edward Norton, Frances McDormand et Tilda Swinton ont rejoint les habitués Bill Murray et Jason Schwartzman. Ils forment une mosaïque d'adultes dépassés par la fuite de leurs rejetons, les vraies vedettes de l'histoire. Wes Anderson fait parler ces jeunes têtes blondes comme des adultes et les voir déclamer des répliques sangrenues est réjouissant. Mais le cinéaste a de la tendresse pour ses personnages et ne les expose pas en chiens de faïence comme dans certains de ses films précédents. Ils sont tous deux les révélateurs d'une enfance malheureuse, l'une qui envie à l'autre son statut d'orphelin et l'autre qui se rêve en grand aventurier en culotte courte.

Le décor a une place prépondérante, imaginé de toute pièce par Wes Anderson qui le déploie comme un vaste terrain de jeu, un ensemble d'îlots transformé en un paradis caché pour des enfants en quête d'évasion. Le style visuel caractéristique du cinéaste, dont le travelling latéral en est la figure de proue, se déploie astucieusement, révélant une intrigue qui malmène la narration avec brio. Et lorsque le film s'essouffle, le cinéaste convoque une tempête, profitant de réunir tous ses comédiens dans un final intimement spectaculaire. Des variations climatiques qui vont de paire avec des variations musicales. On connaissait déjà l'importance de la musique dans les films d'Anderson, elle n'a jamais été aussi prépondérante, allant des opéras de Benjamin Britten aux standards de Françoise Hardy en passant par les compositions d'Alexandre Desplat, faisant ainsi résonner le monde de l'enfance aux oreilles d'adultes désamparés. Même si l'on a toujours le sentiment que tout cela est un peu vain, Wes Anderson séduit encore une fois.  

Antoine Jullien 

mercredi 16 mai 2012

Dark Shadows


Que peut-il arriver à un cinéaste qui est soudain prisonnier de son univers ? Se répéter, inlassablement. Depuis quelques films, Tim Burton est devenu victime de ce syndrome comme d'autres éminents cinéastes avant lui. Lorsque l'on possède un style aussi identifiable, le piège est de le laisser peu à peu se banaliser au point de devenir une simple marque de fabrique. En adaptant une série télé à succès après avoir porté à l'écran plusieurs célèbres livres pour enfants, Tim Burton semble avoir transformé son univers si singulier en une boutique de luxe. Clinquante à l'extérieur mais creuse à l'intérieur. 

En 1752, Joshua et Naomi Collins quittent l'Angleterre et viennent s'installer en Amérique avec leur fils Barnabas. Après la mort tragique de ses parents, celui-ci mène une vie de séducteur invétéré jusqu'à ce qu'il commette la grave erreur de briser le coeur d'Angélique Bouchard, une sorcière qui lui jette un sort bien plus maléfique que la mort : celui d'être transformé en vampire et enterré vivant. Deux siècles plus tard, Barnabas est libéré de sa tombe par inadvertance et débarque en 1972 dans un monde totalement chamboulé... 

Johnny Depp

Entre les mains de Tim Burton, Johnny Depp a l'habitude de se muer en une étrange créature aux prises avec les fantasmes les plus excentriques du cinéaste. Après avoir incarné des êtres hybrides et souvent asexués, l'acteur campe un personnage à la fois comique et inquiétant, à l'image du ton voulu par le réalisateur. Tim Burton a toujours aimé mélanger l'humour noir au gore le plus sanglant et à ce titre le vampire semblait un protagoniste tout trouvé. Mais le réalisateur ne lui donne pas suffisamment de chair et Johnny Depp est contraint par le maquillage et le costume à n'être que le fantôme de Barnabas Collins.

Tim Burton et Johnny Depp

La galerie des personnages qu'il entoure en est réduite à de la figuration et ce n'est pas le retour (manqué) de Michelle Pfeiffer ni le bref caméo de Christopher Lee qui viennent changer la donne. Seule Eva Green, en méchante sorcière, arrive à exister face à Depp mais son interprétation tombe le plus souvent dans la caricature. Le duel auquel elle se livre avec Barnabas est répétitif et Tim Burton ne pousse pas assez l'étrangeté de leurs rapports de dominant à dominé. Le cinéaste tombe dans le déjà-vu,  ne réussissant pas à insuffler de bizarrerie à son intrigue et finit par crouler sous les dorures de l'exercice de style. 

L'élégance de la mise en scène et quelques idées visuelles, comme celle de transformer le corps d'Eva Green en porcelaine, nous rappelle par intermittence que l'on est bien devant un film de Tim Burton. Mais le cinéaste devrait sans doute s'interroger sur la suite qu'il veut donner à sa carrière et ne plus tomber dans cette imagerie gothique qui en vient à parodier son univers. Si la déception vous gagne à la sortie de la salle, alors précipitez-vous à l'exposition que la Cinémathèque française lui consacre, histoire de savourer et d'admirer l'oeuvre d'un artiste que l'on a tant aimé. 

Antoine Jullien

mardi 15 mai 2012

Margin Call


La crise financière au cinéma ? Le dernier réalisateur de fiction à s'y être attelé était Oliver Stone avec son lamentable Wall Street 2. Le prometteur J.C. Chandor a décidé de prendre l'exact contre-pied en nous offrant un passionnant tableau de l'univers des traders au moment où la catastrophe de 2008 est survenue. Que les allergiques à l'économie et aux chiffres se rassurent, Margin Call est tout à la fois accessible et instructif et pose un regard sans concession ni complaisance sur le dérèglement mondial. 

Le film suit une journée de la vie de plusieurs traders de l'une des plus grandes firmes de Wall Street, à quelques heures de la plus importante crise financière que le monde ait connue. Pour sauver les meubles, ils vont devoir sauver leur peau, quitte à faire de sérieux compromis... 

Kevin Spacey 

J.C. Chandor, qui connaît bien les rouages de la finance pour avoir eu un père trader pendant quarante ans chez Merrill Lynch, n'a pas voulu diaboliser ou héroïser les personnages qu'il décrit. Pour son premier long métrage, il fait preuve d'une parfaite maîtrise mais surtout d'un étonnant sens du tempo. En effet, le cinéaste n'instrumentalise pas le suspense de manière artificielle, à coups de rebondissements et de retournements de situation, mais fait progressivement monter la tension avec une remarquable économie de moyens, jouant à merveille sur l'aspect intimiste de son récit. Le meilleur effet spécial du film se trouve dans le regard de chaque comédien qui suffit à nous faire prendre conscience de l'étendue des dégâts. La précision de la direction d'acteurs (Kevin Spacey, Paul Bettany, Stanley Tucci...) et la rigueur du scénario amènent le spectateur à s'attacher et à s'intéresser à chaque personnage, en scrutant ses failles, ses contradictions, ses faiblesses. 

Car ils sont tous les responsables, à moyenne ou grande échelle, d'une bulle qui va violemment éclater et faire les ravages que l'on sait. Mais J.C. Chandor ne se pose pas en donneur de leçons et préfère s'interroger sur les raisons qui ont pu conduire à un tel fiasco en ayant l'intelligence de ne jamais faire directement référence à la crise de 2008 et à ses faits les plus marquants. Il filme, en un quasi huis-clos, des êtres qui vivent en temps réel la fin de leurs certitudes. Des personnages traités avec justesse, sans manichéisme, où l'incrédulité des débuts fait place à l'effroi puis au sauve-qui peut. Même les "méchants" de l'histoire, à travers le personnage de Jeremy Irons, ont leur logique, aussi cynique soit-elle, et nous font bien comprendre que les mentalités seront très difficiles à faire changer malgré les meilleures volontés du monde. Le film se termine six pieds sous terre, le dernier endroit où les traders n'ont plus que leurs yeux pour pleurer. Pleurer la fin d'une imposture, et peut-être, croire au début d'une renaissance. 

Antoine Jullien 


mercredi 2 mai 2012

La cabane dans les bois


Joss Whedon a la côte depuis la mise en oeuvre d'Avengers. Le hasard du calendrier fait se confronter au même moment la réunion des superhéros Marvel à une petite série B qui aura mis plusieurs années avant de sortir des cartons suite aux problèmes financiers de la MGM. Joss Whedon est le producteur et le scénariste de La Cabane dans les Bois, la réalisation ayant été confiée à Drew Goddard, l'auteur de Cloverfield. Une paire gagnante qui a souhaité renouveler le genre ultracodifié du film d'horreur. Un pari à moitié réussi. 

Cinq amis partent passer le week-end dans une cabane perdue au fond des bois. Ils n'ont pas idée du cauchemar qui les attend ni de ce que cache en réalité cette mystérieuse cabane...


Autant déflorer le mystère maintenant car on le pressent dès les premières minutes du métrage : les personnages sont manipulés par une organisation secrète qui met en scène leurs morts successives. Truffée de caméras, la cabane devient le théâtre d'un jeu sadique orchestré par deux ados attardés et cyniques qui prennent un malin plaisir à voir ce groupe mourir à petit feu. Joss Whedon et Drew Goddard malmènent les chemins balisés en proposant un détournement malicieux du genre. Mais à trop vouloir être originaux, les réalisateurs en ont oublié l'essentiel. La peur. 

Elle est totalement absente car le spectateur a toujours une longueur d'avance sur les protagonistes qui  ne savent rien de la machination dont ils sont les jouets. La caméra passe sans cesse du point de vue des bourreaux à celui des victimes mais le dévoilement de l'envers du décor, s'il surprend au début, annihile les frissons, ne provoquant que quelques touches d'humour qui tombent le plus souvent à plat. Il faut attendre la dernière demi-heure pour obtenir un déchaînement innatendu d'action et un astucieux renversement des rôles qui arrive malheureusement un peu tard, avec en prime l'apparition grotesque d'une star qu'on attendait vraiment pas. Et les explications fumeuses délivrées lors de l'épilogue ont évité à Whedon/Goddard d'approfondir leur sujet et ses réminiscenes contemporaines, à savoir l'obsession du voyeurisme qui transforme la vie en un spectacle permanent. Reste un film qui ne verse ni dans la parodie ni dans le gore outrancier et qui a tout de même le mérite de bousculer quelque peu nos habitudes de spectateur friand de récits d'épouvante.

Antoine Jullien

mardi 1 mai 2012

Babycall


Noomi Rapace a marqué au fer rouge les spectateurs qui ont pu la découvrir sous les traits de Lisbeth Salander dans l'adaptation suédoise du best-seller Millenium. L'intensité de son regard mêlé à sa gestuelle si singulière promettaient une ascension fulgurante. Avant de la retrouver en archéologue à la recherche de nos origines dans le mystérieux Prometheus (voir article), elle campe, dans Babycall, une mère aux abois,  en proie à de troublantes hallucinations. Un rôle fort pour une comédienne qui ne semble avoir aucune limite et qui fait à nouveau sensation. 

Anna s'est réfugiée dans un logement social avec Anders, son fils de 8 ans. Terrifiée à l'idée que son ex-mari ne les retrouve, elle achète un babyphone pour être sûr qu'Anders soit en sécurité pendant son sommeil. Mais des cris d'enfant, provenant d'un autre appartement, viennent parasiter le babycall. 

Noomi Rapace 

Le réalisateur norvégien Paul Slataune ne masque pas ses influences, d'Hitchcock à Polanski. On ressent en effet une prégnante atmosphère de claustration renforcée par un cadre et des ambiances très réalistes. La banalité du décor est un contre-point judicieux au sentiment de paranoïa vécu par l'héroïne. Car si Anna est légitiment terrorisée par une menace extérieure, ses attitudes étranges et la froideur de son regard interrogent le spectateur sur la véracité de ce qu'elle raconte. 

La frontière entre le réel et l'imaginaire est savamment entretenue par le réalisateur qui privilégie une mise en scène épurée au service de ses personnages. L'horreur est hors-champ mais Paul Slataune la suggère de manière glaçante, des hurlements d'un enfant inconnu au comportement ambigu d'un assistant social. Anna est de plus en plus livrée à elle-même à mesure qu'elle s'enferme dans une solitude que tente de rompre le vendeur du babycall, sobrement incarné par Kristoffer Joner. En réunissant ces deux protagonistes, le cinéaste aborde le thème qui parcourt tout le film, l'enfance meurtrie et ses plaies indélébiles. Mais le cinéaste a préféré ménager un retournement de situation qui ne convainc guère et qui amoindrit la portée du film. Un choix regrettable car la profonde tristesse qui se dégage de Babycall et la présence inquiétante de Noomi Rapace auraient presque justifié le Grand prix qu'il a obtenu lors du dernier festival de Gérardmer. 

Antoine Jullien