vendredi 25 mai 2012

La surprise Carax... et la vaguelette indienne


Le festival de Cannes est un monde en vase-clos, qui, pendant dix jours, voit une quantité de films, fait des affaires, va aux nombreuses soirées courues ou encore admire les stars qu'on a la (rare) chance d'apercevoir. Pour chaque festivalier, c'est un rythme éprouvant qui s'installe où les heures de sommeil se comptent sur les doigts d'une main et les assoupissements durant les projections quasi inévitables. Le marathon s'achève dans deux jours mais on peut d'ores et déjà faire une première constatation : Cannes 2012 ne sera pas un grand cru, avec son lot d'immenses déceptions (dont un certain Cosmopolis dont nous reparlons très prochainement). Les rares grands moments de cinéma étaient donc particulièrement appréciés.

Holy Motors © Camille de Chenay 

Le grand moment en question est venu d'un ressuscité du cinéma, en la personne de Leos Carax. Le réalisateur maudit, que plus personne ne voulait produire, nous revient avec Holy Motors. Treize ans après l'accueil glacial subit par Pola X sur la Croisette, le cinéaste semble avoir retrouvé les faveurs de la critique, divisée certes, mais qui a dans l'ensemble réservé un bel accueil au film. L'histoire ? Elle est inracontable mais on peut tout de même révéler que l'on assiste à la métamorphose de l'extraordinaire Denis Lavant en une dizaine de personnages, qui ont chacun un rendez-vous à honorer, quelque part dans Paris. Le mystérieux bonhomme qui se transforme tout au long du film est un dénommé monsieur Oscar, et réalise ses transformations à l'intérieur d'une berline conduite par Edith Scob.

Leos Carax nous oblige à perdre tous nos repères de spectateur et à se laisser embarquer dans son voyage halluciné et poétique. Armé d'une liberté folle, le cinéaste ne recule devant aucun obstacle et amène Denis Lavant à relever des défis impérieux. Le comédien, qui mériterait un prix d'interprétation, est en totale adéquation avec l'univers unique de Carax en lui conférant une étrangeté supplémentaire. Autour de lui apparaissent des figures hétéroclites, de Kylie Minogue lors d'une superbe séquence à l'intérieur de la Samaritaine désaffectée à Eva Mendes en mannequin voilé en passant par la courte apparition de Michel Piccoli. Ils accompagnent chacun Oscar dans ses différentes missions, tour à tour surréalistes et effrayantes, saugrenues et pathétiques. Leos Carax véhicule son plaisir du jeu à travers le déguisement et donne à son film une portée ludique, à l'image de la dernière séquence où il fait parler des limousines dans un garage. Il est rare de voir un cinéaste livrer une oeuvre aussi radicale dans sa ambition sans qu'à seul instant on ne ressente un effet de style, malgré quelques références à l'actualité un peu appuyées. Une oeuvre somme, pleine et entière, qui redonne confiance dans le pouvoir de fascination du cinéma. Nanni Moretti et son jury ne peuvent pas passer à côté d'un tel objet filmique.


Post Tenebras Lux © Le Pacte 

L'imposture intellectuelle est en réalité venue du mexicain Carlos Reygadas qui nous a infligé son nouveau pensum au titre équivoque : Post Tenebras Lux. L'intrigue ? Inutile de perdre son temps avec ce vilain mot, le réalisateur n'en a cure et nous assène un film sans queue ni tête, interminable, aussi prétentieux dans sa forme que désespéremment vide dans son propos. Le film s'est fait copieusement siffler en projection officielle, ce qui a du faire plaisir au réalisateur. On ne peut pourtant pas tolérer de voir une telle imposture figurer au sommet du cinéma mondial. Après Kiarostami, une nouvelle abérration dans la compétition officielle.


Paperboy © Metropolitan Filmexport

Peut-on tout pardonner à un film dès lors que l'on admire sa comédienne ? Le retour de Nicole Kidman était attendu, et il n'a pas déçu tant sa prestation dans l'inégal Paperboy distille ce mélange de trouble et de séduction que l'actrice affectionne tant. Elle campe ici une sorte de bimbo éprise d'un prisonnier dont elle veut prouver l'innocence. Pour se faire, elle est aidée par deux journalistes (Mathew MacConaughey et Zac Ephron) qui vont devoir mettre à jour les failles du dossier. Sauf que Lee Daniels, le réalisateur de Precious, ne s'intéresse pas vraiment à l'intrigue policière qu'il relègue rapidement au second plan afin de dépeindre une galerie de personnages ambigus et violents, au coeur de l'Amérique des années 60. Les tensions raciales parcourent tout le film à l'instar du décor poisseux de la Louisiane qui colle au personnages comme leurs chemises trempées de sueur. Une atmosphère plutôt séduisante gâchée par des effets de style trop appuyés qui amoindrissent l'impact du film. En adaptant le roman de Peter Dexter, Lee Daniels a voulu rendre a l'écran une forte tension sexuelle incarnée par le personnage de Kidman. La comédienne, qui n'a décidément peur de rien, est à plusieurs reprises confrontée à des séquences, qui, sans son talent, auraient sombré dans le ridicule. L'actrice relève le défi mais on se demande si le jeu en valait la chandelle tant le réalisateur a du mal à trouver une cohérence à l'ensemble.


Io e Te

L'an passé, le festival rendait un hommage à Bernardo Bertolucci en lui remettant la Palme des palmes pour l'ensemble de sa carrière. Carrière, qui, malgré ses problèmes de santé, n'a pas altérer son envie du cinéaste. Présenté hors compétition, Io e Te est le portrait d'un adolescent renfermé qui ne veut pas partir au sport d'hiver, préférant se réfugier durant une semaine dans la cave de l'immeuble de ses parents. Là, il doit héberger sa demi-soeur avec laquelle il entretient des relations orageuses. Il est toujours un peu triste d'assister au lent déclin artistique d'un cinéaste qui a été l'auteur du Dernier tango à Paris et du Conformiste. Depuis des années, ses films tombent dans l'académisme et celui-ci ne viendra malheureusement pas rehausser l'édifice. Sa direction d'acteurs est heureusement intacte et les deux jeunes comédiens sont tous deux très attachants. Mais ils n'arrivent pas à élever le film au delà de la simple anecdote, pas désagréable, mais que l'on oubliera vite.

Miss Lovely

Les organisateurs du festival ont parlé d'une nouvelle vague indienne pour cette nouvelle édition, et nous avons voulu vérifier cette tendance en découvrant deux long métrages, l'un présenté à la Semaine de la Critique et l'autre à Un Certain Regard. A la vision de ces deux films, force est de constater qu'il s'agit encore d'une vaguelette. Dans le premier, Peddlers, le réalisateur Vasan Bala nous raconte deux histoires en parallèle au coeur de Bombay, l'une sur un policier impuissant et l'autre sur un réseau de prostitution. On se demande bien pourquoi le cinéaste à voulu juxtaposer ces deux intrigues qui ne se répondent jamais mais on est encore plus frappé par l'incohérence totale du montage, qui passe d'une scène à une autre en l'absence de toute logique narrative. Si le réalisateur fait preuve par moments d'une belle énergie dans sa mise en scène, il tombe trop souvent dans la violence gratuite.

Le second film, Miss Lovely, nous a encore moins convaincu, plombé par un scénario abscons qui a comme cadre le monde de la série Z d'horreur érotique mêlé à la rivalité entre deux frères. Le réalisateur Ashim Ahluwalia n'en fait pas grand chose et nous assène une purge d'un mortel ennui. La nouvelle vague attendra donc.

Tableau des critiques au 25 mai 

A deux jours du palmarès, l'habituel jeu des pronostics monte en puissance. Deux longs métrages semblent se dégager pour glaner la Palme d'or : Amour de Michael Haneke et De rouille et d'os de Jacques Audiard. Le réalisateur français avait perdu son duel il y a trois ans face au cinéaste autrichien, Isabelle Huppert et son jury ayant préférer accorder la récompense suprême au Ruban Blanc plutôt qu'à Un Prophète. L'inverse pourrait cette fois se produire à moins qu'un autre cinéaste ne vienne troubler le jeu. Verdict dimanche soir. 

Antoine Jullien 

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