mardi 26 novembre 2013

Cartel


Un échec cuisant au box-office américain, un accueil glacial de la part de la critique et d'une bonne partie du public : le nouveau long métrage de Ridley Scott subit une bien mauvaise réputation. Il était pourtant très attendu, de part son casting cinq étoiles (Fassbender, Cruz, Diaz, Bardem, Pitt) et son scénariste, le prestigieux écrivain Cormac McCarthy, auteur célébré par le prix Pulitzer, adapté plusieurs fois au cinéma (No Country for Old Men, La Route) et qui signe son premier scénario original. Comme son titre l'indique, Cartel parle des trafics de drogue et de l'argent sale qui en découle et qui fait disjoncter un avocat bien trop fragile (Le "Counselor" du titre original). Mais il est inutile d'évoquer l'intrigue tant McCarthy s'en contrefiche. Ce qui l'intéresse, c'est de parler de l'état du monde, de la mort et de la lutte de pouvoir, soit les thématiques essentielles de son oeuvre qui, malheureusement, ne passent pas l'examen du grand écran. 

Cameron Diaz et Penelope Cruz

Ridley Scott est en partie responsable de l'échec du film car si le nihilisme de McCarthy l'a séduit, il n'arrive pas à le rendre palpable dans sa mise en scène, froide et désincarnée. Sa direction d'acteurs est également en cause, ne permettant pas à ses comédiens de faire vivre leurs personnages, à l'exception de Cameron Diaz qui semble se délecter de son rôle de garce amatrice de léopards. Mais le cinéaste échoue surtout à donner un peu de lisibilité au scénario proprement incompréhensible de McCarthy, aux enjeux obscurs et aux dialogues verbeux et interminables. 

Malgré le ratage du film, il intrigue par certaines audaces (la séquence d'ouverture), son ambition, ses parti-pris très éloignés des canons hollywoodiens du genre et une noirceur parfaitement assumée. Mais si Ridley Scott a voulu rompre avec l'efficacité qui le caractérise (voir l'excellent American Gangster), il n'a pas su injecter suffisamment de trouble et de souffre pour marquer le spectateur. Il n'arrive en définitive qu'a dégager un ennui poli, stylisé, et un peu vain. 

Antoine Jullien

Etats-Unis / Grande-Bretagne - 1h51
Réalisation : Ridley Scott - Scénario : Cormac McCarthy 
Avec : Michael Fassbender (L'Avocat), Penelope Cruz (Laura), Cameron Diaz (Malkina), Javier Bardem (Reiner), Brad Pitt (Westray).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez 20th Century Fox. 

mardi 12 novembre 2013

Inside Llewyn Davis


Les Coen ont depuis toujours une affection pour les losers : magnifiques ou pathétiques, ils sont au coeur de l'oeuvre des frangins. En choisissant de rendre hommage à leur manière à un chanteur de folk music qui ne connaîtra jamais la gloire, Joel et Ethan Coen font une touchante déclaration d'amour à ce genre musical qui a vu éclore un certain Bob Dylan. 

Du créateur de I Want you, il en sera brièvement question lors de la dernière scène du film qui voit un jeune chanteur un peu gauche succédé à Llewyn Davis. L'heure et demie qui aura précédé ce bref instant ne nous aura rien épargné des déboires de ce pauvre Llewyn. Pauvre, pas tant que cela quand on voit avec quel talent il sabote une à une les rares opportunités qui s'offre à lui. Nous sommes en 1961, et Llewyn semble constamment décalé par rapport à le musique appréciée par le public, plus facile et plus mièvre, incarnée malicieusement par Justin Timberlake (un autoportrait?). Llewyn est aussi maladroit avec sa carrière qu'avec les femmes (piquante Carrey Mulligan) et surtout avec le chat d'un des ses amis qui le fuie régulièrement, donnant lieu à quelques séquences irrésistibles. 

Oscar Isaac 

Mais Inside Llewyn Davis n'est pas à ranger dans la catégorie comédie, il rappelle plutôt l'excellent A serious Man dans sa manière de filmer l'échec avec style et une pointe de tendresse. Le style, les Coen en font une nouvelle fois une démonstration éclatante grâce à la magnifique photographie de Bruno Delbonnel qui restitue merveilleusement le Greenwich village des années 60 et ses bars enfumés, et à la sobriété de leur mise en scène qui ne verse jamais dans l'artifice. Au beau milieu du récit, ils se permettent soudain une fascinante séquence en voiture qu'on croirait tout droit sortie d'un film noir. John Goodman est un obscur producteur de jazz et Garret Hedlund interprète son étrange chauffeur-assistant. Malgré la drôlerie de certaines répliques, le film se baigne progressivement d'une ambiance vaguement inquiétante, à la limite du fantastique. 

L'absurde que l'on aime tant chez les cinéastes pointe d'ailleurs le bout de son nez, au détours d'un plan (un couloir minuscule d'appartement) où d'une scène qui voit un père vivre un moment d'égarement alors qu'il écoute la chanson de son fils. Mais les Coen nous bouleversent car ils nous parlent des choix existentiels, du chemin forcément chaotique de la vie d'artiste que l'on assume malgré les difficultés. Si on aurait aimé en savoir davantage sur les personnages secondaires (un peu expédiés) et que l'on regrette que certaines séquences demeurent insondables, les Coen ont eu aussi le mérite de révéler un grand comédien, Oscar Issac, de tous les plans, qui prête sa voix et son visage à Llewyn Davis. Parfois antipathique et lâche, par moments inspiré, il incarne superbement l'être humain, dans toute sa complexité. En en musique, s'il vous plaît !

Antoine Jullien

Etats-Unis - 1h45
Réalisation et Scénario : Joel et Ethan Coen
Avec : Oscar Isaac (Llewyn Davis), Carey Mulligan (Jean), John Goodman (Roland Turner), Garret Hedlund (Johnny Five), Justin Timberlake.



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Studio Canal. 

samedi 9 novembre 2013

Quai d'Orsay


Comme il le dit lui-même, Quai d'Orsay est "sa première vraie comédie". En effet, Bertrand Tavernier ne s'était jamais véritablement attaqué à ce genre si difficile à entreprendre. En adaptant la bande dessinée de Christophe Blain et Abel Lanzac, le cinéaste filme également pour la première fois le monde politique, plus précisément celui du ministère des Affaires Etrangères. Sans procurer les étincelles espérées. 

La bande dessinée, dont le film est très fidèle, nous raconte le quotidien du quai d'Orsay et son hôte de choc, Alexandre Taillard de Vorms (Thierry Lhermitte), le bouillonnant ministre qui en fait voir de toutes les couleurs à l'une de ses plumes, Arthur Vlaminck (Raphaël Personnaz), et à son très conciliant directeur de cabinet, Claude Maupass (délectable Niels Arestrup). Dans le matériau d'origine, Blain et Lanzac faisaient du ministre une sorte de double survolté de Dominique de Villepin, l'histoire étant directement inspirée du vécu d'Abel Lanzac au sein du ministère. Riche en réparties cocasses et en situations absurdes, la BD était une occasion idéale pour Tavernier de dépeindre un vase clos au bord de l'hystérie collective que l'on a rarement décrit ainsi à l'écran. 

Thierry Lhermitte, Bertrand Tavernier et Raphaël Personnaz

Mais le cinéaste n'arrive pas à mettre son empreinte à l'ensemble, manquant cruellement du mordant qui faisait le sel de Quai d'Orsay. Il se contente de conserver certaines idées visuelles puisées dans la BD, dont les papiers qui volent à chaque entrée du ministre, sans apporter la moindre invention à sa mise en scène, bien trop sage. Le film est sans cesse en-deça, tant au niveau du rythme que de l'intrigue qui fait du surplace, et pas suffisamment enlevé pour remporter l'adhésion, de même que les personnages ne vont jamais au-delà des stéréotypes. La faute à une mauvaise direction d'acteurs qui voit Thierry Lhermite surjouer en permanence, très loin de l'ambiguité du personnage d'origine, et Raphaël Personnaz est de plus en plus effacé au point de devenir inexistant. Quelques séquences savoureuses surnagent mais le cinéaste semble observer ses personnages avec une distance goguenarde qui vire à la paresse, notamment lors de la scène du discours de l'Onu, ratée et d'une mollesse accablante. L'inutile bêtisier final nous fait définitivement comprendre que l'on vient d'assister à un Tavernier mineur. Très mineur.

Antoine Jullien

France - 1h53
Réalisation : Bertrand Tavernier - Scénario : Christophe Blain, Antonin Baudry et Bertrand Tavernier d'après la bande dessinée "Quai d'Orsay" de Christophe Blain et Abel Lanzac
Avec : Thierry Lhermitte (Alexandre Taillard de Vorms), Raphaël Personnaz (Arthur Vlaminck), Niels Arestrup (Claude Maupass).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Pathé Vidéo.

mercredi 6 novembre 2013

Ressortie de L'Impasse


A l'heure où Guillaume Canet tente vainement de retrouver le souffle des grands films des années 70, la ressortie de L'Impasse * de Brian De Palma vient remettre les pendules à l'heure. Non que le film a été réalisé durant cette période (il date de 1993) mais son action se déroule en 1975 et il demeure l'un des longs métrages les plus évocateurs sur cette période si féconde. 

Brian de Palma filme avec maestria l'impossible rédemption d'un truand, Carlito Brigante, qui voulait se ranger des voitures après plusieurs années passées derrière les barreaux. Dès l'ouverture du film, le spectateur comprend qu'Al Pacino va mourir et assiste alors à un long flash back qui démarre au moment de la libération de prison de Carlito et s'achève lors de l'étourdissante séquence de fusillade dans la gare de Grand Central. Dix ans après le tonitruant Scarface, le tandem De Palma-Pacino se reformait pour ce qui est devenu le meilleur film du réalisateur et l'une des plus magistrales interprétations du comédien.

Sean Penn et Al Pacino

L'Impasse peut s'appréhender comme une sorte de prolongement de Scarface qui verrait Tony Montana assagi, tentant de mener une vie normale et fuir à tout prix son passé. L'Impasse est autant une bouleversante méditation sur le mirage d'une deuxième chance qu'un polar haletant, brillamment scénarisé par David Koepp. Le film s'enrichit au fur et à mesure des visionnages et sidère encore par la solidité de son intrigue, la force des personnages, à commencer par Sean Penn, mémorable en avocat cocaïné et incontrôlable, et par la majestueuse mise en scène de De Palma. Le cinéaste traversait alors une période difficile de sa vie et ce film est arrivé comme un exutoire, comme il s'en expliquait à l'époque : " Pour faire ce film qui traduisait ce que je ressentais, il fallait me mettre à nu. C'est un film que je n'aurais pas pu faire à trente ans, ni même à quarante. Il parle d'amour, de trahison, de fatalité, mais avec distance. Du coup, les personnages y ont gagné en profondeur. C'est moins un thriller qu'une étude de caractère, et je pense que c'est ce qui a ému les gens". **

Tièdement accueilli à sa sortie, L'Impasse est devenu un classique et l'oeuvre la plus importante de Brian De Palma. Car n'en déplaise aux fans inconditionnels du cinéaste qui vénèrent encore ses pathétiques plagiats hitchcockiens pseudo post-modernes (voir le consternant Passion sorti en début d'année), De Palma n'a jamais été aussi fort que dans le déploiement de sa maîtrise de cinéaste au service d'une intrigue qui n'est ni une copie ni un décalquage fumeux du Maître. Autant De Palma s'est parfois révélé être un piètre scénariste, uniquement intéressé par la reproduction de motifs filmiques, autant lorsqu'il s'associe à des auteurs comme Oliver Stone sur Scarface ou David Koepp, il incarne ce que le cinéma américain sait faire de mieux. L'Impasse est un diamant noir qui ne cesse pas de nous dévoiler ses richesses. 

Antoine Jullien 

* Au cinéma La Filmothèque du Quartier Latin, Paris 5ème. 
* Brian De Palma, Entretiens avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud, Calman-Lévy 2011

lundi 4 novembre 2013

Blood Ties


Quel réalisateur n'a pas rêvé de faire un jour "son" film de gangsters ? Un fantasme de cinéphile qui a longtemps trotté dans la tête de Guillaume Canet avant qu'il ne choisisse d'adapter Les Liens du Sang de Jacques Maillot dans le New York des années 70. La trame est la même : l'opposition entre un truand fraichement sorti de prison et son frère qui est flic. Cerise sur le gâteau, Canet a eu la contribution de James Gray au scénario. Mais tous ses éléments mis bout à bout ne font pas un grand film. Loin de là. 

On ne peut pas reprocher à Guillaume Canet d'avoir des références et de les assumer. Cette époque bénie du cinéma américain regorge de films cultes qui ont marqué plusieurs générations de spectateurs. Le commissariat où se passe une partie de l'action de Blood Ties rappelle furieusement Serpico de Sidney Lumet, le plan au ralenti sur Marion Cotillard déambulant dans la boite de nuit est un hommage appuyé au Casino de Scorsese et la course poursuite en voiture est un rappel de French Connection de William Friedkin. Mais où se situe Guillaume Canet là-dedans ? Où est sa particularité ? Ses précédents films avait démontré une efficacité certaine mais peu de personnalité. Son nouveau long métrage en manque à nouveau cruellement, tant la mise en scène semble en permanence paralysée par ses illustres prédécesseurs, incapable de trouver ses propres marques à l'image de la bande originale en forme de juke-box géant qui aurait mérité d'être élaguée, tout comme le montage qui traîne souvent en longueurs (malgré 15 minutes d'images coupées suite à la présentation du film à Cannes). Et s'il a eu le soutien d'une distribution de prestige (dont James Caan en pater familias), seuls Clive Owen et Billy Crudup arrivent à tirer leur épingle du jeu.  

Clive Owen et Billy Crudup

On sent par intermittence la pâte de James Gray dans les rapports familiaux mais sans l'intensité de La Nuit nous Appartient. Le conflit entre les deux frères est cependant ce que Canet réussit de mieux, avec la reconstitution des années 70, discrète et jamais tapageuse. Mais lorsque le cinéaste décide de conclure son récit dans la fameuse gare de Grand Central, temple de tant de chefs d'oeuvre, on se dit alors qu'il tend le bâton pour se faire battre. Certes, les copistes ne sont pas forcément déplaisants mais ils demeureront à jamais de simples copistes. Et on préféra toujours l'original à la contrefaçon, même si elle bien imitée. 

Antoine Jullien

France / Etats-Unis - 2h07
Réalisation : Guillaume Canet - Scénario : Guillaume Canet et James Gray d'après le film "Les liens du sang" de Jacques Maillot
Avec Clive Owen (Chris), Billy Crudup (Frank), Marion Cotillard (Monica), Mila Kunis (Natalie), Zoe Saldana (Vanessa), James Caan (Leon).


samedi 2 novembre 2013

Snowpiercer - Le Transperceneige


Les coréens ont décidément la côte outre-atlantique. Après Park Chan Wook et son délicieusement tordu Stoker, le réalisateur Bong Joon Ho se retrouve pour la première à la tête d'une importante production internationale. Il a jeté son dévolu sur la bande dessinée des français Jacques Lob, Benjamin Legrand et Jean-Marc Rochette qui voit, dans un futur proche, les survivants d'une Terre dévastée par une période glaciaire obligés de cohabiter dans un train fonçant à grande vitesse. 

Snowpiercer est doté d'un brillant casting où se distinguent la méconnaissable Tilda Swinton en caricature de Tatcher, Song Kang-Ho, le comédien fétiche du cinéaste (vu dans Memories of Murder et The Host) et surtout Chris Evans que l'on attendait pas dans un tel projet après le fadasse Captain America. Bonj Joon Ho a a confiné tous ses comédiens dans un espace clos, le train qui est en réalité une métaphore de notre humanité où les privilégiés sont logés dans les premières classes et le reste des survivants parqués comme du bétail dans les derniers wagons. Le film recèle une portée politique très forte où la lutte des classes amène des séquences violentes et brutales qui rappellent le talent de filmeur du réalisateur. Grâce à une superbe direction artistique, le cinéaste arrive à tirer profit de son décor et l'exploite dans ses moindres recoins. Le suspense s'intensifie à mesure que les passagers se révoltent et atteignent leur but : tuer le chef de la machine et reprendre son contrôle. 

Chris Evans et Song Kang-Ho

Bonj Joon Ho a réussi à s'approprier les codes de la superproduction (qu'il avait déjà expérimenté avec The Host) en injectant cet humour si particulier qui caractérise son univers. De même qu'il n'hésite pas à supprimer certains personnages clefs avec une étonnante sécheresse dramatique où à étirer une scène pleine de tension au beau milieu d'un sauna, le cinéaste parvient à garder son identité malgré quelques invraisemblances. S'il ne retrouve pas la singularité de Mother, son précédent long métrage, il nous emporte dans son odyssée glaciaire et nous terrifie par son message qui ravive les heures les plus sombres de notre histoire. 

Antoine Jullien

Corée du Sud / Etats-Unis / France - 2h05
Réalisation : Bong Joon Ho - Scénario : Bong Joon Ho et Kelly Masterson d'après la bande-dessinée "Le Transperceneige" de Jacques Lob, Benjamin Legrand et Jean-Marc Rochette
Avec : Chris Evans (Curtis), Jamie Bell (Edgar), Tilda Swinton (Mason), John Hurt (Gilliam), Song Kang-Ho (Namgoong Minsu), Ed Harris.