mercredi 29 janvier 2014

12 years a slave



Premier film américain de Steve McQueen, 12 years a slave récolte depuis sa sortie lauriers et récompenses et devrait figurer en bonne place aux prochains Oscars. Le cinéaste britannique a décidé d'adapter le livre méconnu de Salomon Northup qui relate son histoire d'homme libre, enlevé puis vendu comme esclave en 1841. Il passera douze années au service d'un propriétaire sadique d'une plantation de coton avant de recouvrer, enfin, la liberté.

Steve McQueen a marqué d'une empreinte indélébile ses deux premiers longs métrages, Hunger et Shame, oeuvres d'une puissance plastique et dramatique stupéfiante. Le cinéaste allait-il faire quelques concessions dans les contours d'un cinéma plus grand public ? Rassurons-nous, le cinéaste conserve bien son intégrité artistique et fait preuve une nouvelle fois d'une grande rigueur formelle. Il a surtout voulu éviter le piège du sentimentalisme, son regard ne versant jamais dans l'apitoiement ou la compassion forcée. Il nous donne à voir, crûment, les sévices infligés à cet homme mais c'est davantage la déshumanisation du monde qui l'entoure qui choque et interpelle. Une scène, magistrale, résume à elle seule l'Amérique au temps de l'esclavage : Solomon est pendu à un arbre, agonisant durant de longues heures, ses pieds pataugeant dans la boue, alors qu'autour de lui les autres esclaves l'ignorent, continuant leur labeur. Le poison de l'esclavagisme réside dans cette séquence : l'être humain n'est plus, il survit. 

Michael Fassbender et Chiwetel Ejiofor

Steve McQueen renforce cette perspective en s'abstenant de filmer la camaraderie et la complicité entre les victimes, à l'exception de l'enterrement de l'un des leurs où ils se mettent à chanter. Le réalisateur isole alors Salomon dans le plan et nous fait partager avec lui cet instant poignant. Mais le cinéaste conserve durant tout le film une distance assumée qui freine par moment la dramaturgie, ne provoquant pas d'empathie pour les personnages. On suit le calvaire de Solomon froidement, bousculé par la cruauté dont il est victime sans pour autant être bouleversé. A l'inverse de Tarantino dans Django Unchained qui se servait de la Grande Histoire pour mieux la dynamiter, McQueen s'en tient à son sujet au risque de flirter avec l'académisme (Brad Pitt en bon samaritain n'est pas la meilleure idée du film). 

On préfèrera évoquer un beau classicisme qui donne la part belle aux acteurs : Chiwetel Ejiofor dans le rôle titre, entouré de Michael Fassbender en tyran psychotique et la révélation Lupita Nyong'o forment une intense distribution qui nous ramène, par la force de leur inteprétation, à un nécessaire rappel d'une page de notre histoire où l'homme considérait ses semblables comme sa propriété dont il pouvait abuser en toute impunité. C'était il y a moins de deux cent ans. Et cette mentalité existe toujours, sous une autre forme. On appelle cela l'esclavage moderne.

Antoine Jullien

Etats-Unis - 2h15
Réalisation : Steve McQueen - Scénario : John Ridley d'après le livre de Solomon Northup
Avec : Chiwetel Ejiofor (Solomon Northup), Michael Fassbender (Edwin Epps), Lupita Nyong'o (Patsey), Benedict Cumberbatch (Ford).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez France Télévisions Distribution.

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