dimanche 23 février 2014

La Suisse aux deux visages

LES GRANDES ONDES (A L'OUEST) / L'EXPERIENCE BLOCHER

En pleine tourmente politique, la Suisse nous offre deux facettes de son paysage cinématographique, l'une facétieuse, l'autre plus grave.


Avec Les Grandes Ondes, le réalisateur helvétique Lionel Baier emmène deux journalistes de la radio suisse romande au Portugal afin de réaliser un reportage sur l'entraide suisse dans le pays. Nous sommes en 1974 et la Révolution des Œillets s'apprête à éclater. Mais Julie, la féministe, et Cauvin, le reporter de guerre, ne se doutent pas encore dans quelle aventure ils se sont embarquer. 

Lioner Baier nous offre une réjouissante échappée révolutionnaire grâce à cette bande de pieds nickelés aussi drôle que touchante. Les acteurs n'y sont pas pour rien, à commencer par le grandiose Michel Vuillermoz qui campe un Cauvin tour à tour candide et poignant, lui qui se met à perdre la mémoire et à découvrir les tourments du Portugal comme si c'était toujours la première fois. Avec son portugais plus qu'approximatif, entraînant d'hilarants quiproquos, il va devenir, bien malgré lui, le héraut d'un pays en soif de démocratie alors qu'il critique en permanence celle de son pays, la comparant à "de l'eau tiède"

Michel Vuillermoz

Face à lui, Valérie Donzelli ne manque pas d'aplomb en essayant d'affirmer une égalité homme-femme encore bien fragile. Autour d'eux, on découvre deux formidables comédiens : Patrick Lapp, en désopilant ingénieur du son, et Francisco Belard qui incarne un jeune étudiant un brin naïf, grand admirateur de Pagnol et qui, le pauvre, est allergique aux œillets ! Leur périple s'achèvera dans une nuit pleine de fièvre où les corps vont se libérer, donnant lieu à une description sexuelle particulièrement cocasse. 

Le cinéaste se permet pas mal d'audaces, comme cet improbable ballet dansant au milieu des coups de feu ou l'utilisation de la musique de Gershwin pour évoquer les tourments de cette période. Le ton du film, caustique et enjoué, renforcé par la drôlerie des dialogues, remporte l'adhésion et donne envie de rejoindre cette équipée sauvage. Une œuvre iconoclaste, bien menée, discrètement vintage, qui fait un bien fou. 

Suisse / France / Portugal - 1h25
Réalisation : Lionel Baier - Scénario : Lionel Baier et Julien Boissoux 
Avec : Michel Vuillermoz (Cauvin), Valérie Donzelli (Julie), Patrick Lapp (Bob), Francisco Belard (Pelé).



Disponible en DVD chez Blaq Out.



Christoph Blocher est un politicien très connu en Suisse mais peu chez nous. Admiré ou détesté, il est devenu la figure centrale du mouvement populiste L'Union Démocratique du Centre (UDC). Fils de pasteur, chef d'entreprise riche et influent, l'homme va devenir l’initiateur de campagnes très agressives contre l'immigration et l'objet d'intenses polémiques suite aux accusations de violation du secret bancaire dont il se serait rendu complice. 

Pour tenter de cerner ce personnage qui se décrit lui-même comme un "homme d'action", le documentariste Jean-Stéphane Bron, auteur du remarqué Cleveland contre Wall Street et acteur dans Les Grandes Ondes (il joue le chef de la rédaction Philippe de Roulet), est parti filmer Blocher pendant plusieurs mois, dans sa voiture, sa résidence, lors de meetings et au parlement. Etrangement, le réalisateur ne l'a presque pas interrogé sur son parcours et son discours. Il a préféré égrainer, en voix off, les faits d'armes de Blocher, ses victoires politiques et ses revers.

Jean-Stéphane Bron et Christoph Blocher

Dès les premières images, Bron tente de nous rassurer en affirmant qu'il ne partage ni les idées ni les méthodes ni les convictions de Blocher qu'il n'a pas souhaité faire parler car le bonhomme aurait, selon lui, sans cesse retourner les critiques à son avantage. Un curieux constat d'impuissance qui frustre le spectateur car l'on en apprend finalement très peu sur ce personnage. Bien que la comparaison avec Jean-Marie Le Pen soit pertinente, les particularités de la Suisse et son mode de fonctionnement, très différent du nôtre et qui aurait mérité un éclairage plus approfondi, rendent ce parallèle réducteur. A défaut de bousculer son protagoniste, le cinéaste se contente d'images d'archives, d'anecdotes peu intéressantes et de réflexions sans grande perspective.

Piégé par son rôle d'observateur muet, Bron tente alors de faire de Blocher un personnage de cinéma en le mettant en scène, seul au parlement ou bien chez lui au milieu de ses toiles de maîtres. Un dispositif qui ne fonctionne pas car il ne permet aucunement de cerner l'animal politique et laisse songeur sur la démarche du cinéaste. Celui-ci finit par s'adresser à Blocher en déclarant : "Je vous laisse à vos secrets". Un amer constat d'échec. 

Antoine Jullien

Suisse / France - 1h40
Réalisation : Jean-Stéphane Bron


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