dimanche 22 mars 2015

Big Eyes


On était curieux à l'idée de voir Tim Burton se débarrasser un temps de son univers qui commençait sérieusement à sentir la naphtaline. Le cinéaste était devenu une parodie de lui-même, une marque de fabrique déposée comme une sorte de label sans âme ni aspérité. En s'inspirant d'une histoire vraie, le réalisateur d'Edward aux mains d'argent s'attaque pour la première fois au réel en racontant une imposture qui lui permet de mettre en avant une artiste à la marge, Margaret Keane, snobée et critiquée en son temps pour son supposé mauvais goût comme un certain Ed Wood, le cinéaste le plus nul du siècle dernier auquel Burton rendit un hommage tendre et vibrant. Il retrouve d'ailleurs les mêmes scénaristes, Scott Alexander et Larry Karaszewski, auteurs de biopics politiquement incorrects (Larry Flynt, Man on the moon). Las, malgré ses belles cartes dans sa manche, Tim Burton échoue sur toute la ligne. 

Big Eyes se déroule à l'orée des années 60 en Californie. Après s'être séparée de son premier mari, Margaret, qui vit désormais seule avec sa fille, épouse Walter Keane. Celui-ci remarque très vite les étranges tableaux de Margaret représentant des enfants malheureux aux yeux immenses. L'homme décide alors de s'approprier les œuvres de sa femme en faisant croire au public qu'il en est l'auteur. La supercherie fonctionne et Walter va peu à peu révolutionner le monde de l'art avant que le pot au roses ne soit finalement dévoilé.

Christoph Waltz et Amy Adams

Un tel sujet pouvait donner lieu à un manifeste féministe ou à une réflexion sur l'art. Que nenni ! Même si Walter profite d'une époque où l'on ne prenait pas les femmes artistes au sérieux, cet aspect est très vite éclipsé. Quant à la valeur artistique de Margaret, on sent bien que Tim Burton ne s'y intéresse pas véritablement, se contentant de moquer gentiment les empereurs du bon goût. Surtout, le cinéaste semble craindre la noirceur potentielle de cette histoire et son thème primordial, l'imposture. Le réalisateur a donc préféré l'ensevelir sous un tas de chromos qui devient vite écœurant. Son directeur de la photographie, Bruno Delbonnel (Amélie Poulain, Inside Llewin Davis), enrobe les sixties d'une palette grossière qui rend l'intrigue totalement artificielle. Ainsi, les reflets dans la piscine ou l'utilisation permanente de halos de lumière et de couleurs criardes étouffent le film et précipitent le spectateur dans une bonbonnière indigeste. 


Sa direction d'acteurs n'arrange rien et l'interprétation outrageusement cabotine de Christoph Waltz, à la limite du supportable, enfonce le clou. Un choix d'autant moins judicieux que le personnage de Margaret est censé vivre sous l'emprise de son mari qui est ici dépeint comme un peintre raté, davantage un grotesque bouffon qu'un dangereux manipulateur. On a donc du mal à comprendre l'attitude de cette femme qui devra attendre l'apparition improbable des témoins de Jéhovah pour dénoncer son mari et se réapproprier la paternité de ses tableaux lors d'une parodie de procès qui vire au lamentable vaudeville, heureusement sauvé par la délicatesse d'Amy Adams.   

Durant le déroulé du générique de fin de Big Eyes, on se met soudain à émettre une hypothèse un peu tordue. Et si le film était réalisé par un imposteur qui se serait fait passer pour Tim Burton ? A la vue du résultat, l'analogie est tentante. Mais il s'agirait alors de dédouaner le cinéaste de ce nouveau ratage et force est d'admettre que c'est bien le réalisateur de Sleepy Hollow qui est derrière la caméra, lui qui s'est depuis transformé en vendeur de bonbons acidulés, pas désagréables en bouche mais dont la fadeur finit par laisser un arrière goût amer.

Antoine Jullien

Etats-Unis - 1h46
Réalisation : Tim Burton - Scénario : Scott Alexander et Larry Karaszewski
Avec : Amy Adams (Margaret Keane), Christoph Waltz (Walter Keane), Krysten Ritter (DeeAnn), Danny Huston (Dick Nolan), Terence Stamp. 

Disponible en DVD et Blu-Ray chez Studio Canal.

2 commentaires:

  1. Trop dur le commentaire de fin...
    Moi qui attendais avec impatience la critique de ce film, j'ai le goût amer de la déception.
    Amateur tout de même de Burton, j'irai le voir.

    RépondreSupprimer
  2. Ah, tes commentaires commençaient à me manquer !

    RépondreSupprimer