mardi 14 avril 2015

Pourquoi j'ai pas mangé mon père


Jamel Debbouze est une valeur sûre du cinéma français, un acteur qui remplit les salles presque à chaque film. Il n’est donc pas étonnant de le voir aux commandes d’un premier film armé de 40 M€. Au risque de se compliquer la tâche, le natif de Trappes fait ses armes avec un film d’animation utilisant la performance capture, une technologie qui retranscrit le jeu des acteurs sur des personnages numériques. Pourquoi j’ai pas mangé mon père représente donc un défi artistique et technologique très ambitieux pour un novice de la réalisation qui décide de se frotter directement aux cadors tels que Pixar, Dreamworks et Disney. Jamel a, comme à son habitude, largement contribué à la promotion du film en enchainant les apparitions télévisées, accompagné parfois de son double numérique dans des mini-spectacles sans queue ni tête servant avant tout à mettre en valeur l’aspect technique du film, un peu comme l’avait fait Alain Chabat avec le Marsupilami il y a 3 ans. Mais à force de voir partout le nom ou la bouille de l’humoriste, on en vient à penser qu’il a fait le film tout seul, dans son coin.

Pourquoi j’ai pas mangé mon père
raconte l’histoire d’Édouard, un jeune singe, descendant direct du roi des Simiens, chassé à sa naissance par son propre père qui le trouvait trop chétif. Vivant à l’écart de sa tribu avec son ami Ian, il passe son temps à inventer diverses choses jusqu’au jour où ses astuces commencent à révolutionner la vie de cette petite communauté. Se sentant menacé, son frère Vania cherche alors à se débarrasser de cet ingénieux intrus.


On connait bien Jamel Debbouze et le film lui ressemble. Prônant l’égalité entre tous sur fond de musique funk, le réalisateur en herbe livre un film généreux mais bordélique à souhait, un fourre-tout à idées recyclant Le Roi Lion tout en ressuscitant Louis de Funès. Et ça part dans tous les sens ! À tel point que le film perd très rapidement son fil conducteur et enchaîne les sketches rarement drôles mettant exclusivement en avant le réalisateur-acteur-scénariste. Pire encore, le scénario multiplie les incohérences grossières qui transforment sans aucun gène une forêt vierge en savane africaine peuplée d’Autruches cornues à carapace de tortues (!!) et de ptérodactyles préhistoriques. Rien n’est fait pour que le spectateur adhère à ce monde anarchique, et force est de constater que si, tel Quentin Tarantino, les références font un film, encore faudrait-il savoir les exploiter.


On peut aussi reprocher à Pourquoi j’ai pas mangé mon père son caractère artistique à côté de la plaque. Il ne suffit pas à des acteurs d’imiter le singe pour donner aux personnages numériques une gestuelle de singe crédible. N’est pas Andy Serkis (acteur qui se cache derrière le King Kong de Peter Jackson) qui veut. La faute n’est cependant pas imputable aux techniciens qui ont œuvré sur le projet mais plutôt à l’incapacité de ses concepteurs à créer un univers visuel original. Et c’est d’autant plus dommageable que l’on sent derrière cette esthétique pauvre une puissance financière et technologique permettant sans doute de rivaliser avec les studios américains. Après tout, Moi, moche et méchant 2 et le futur Minions sont des films fabriqués dans l’hexagone.

Alors oui, Jamel s’est pris les pieds dans le tapis pour ce premier film. Mais faut-il rappeler une nouvelle fois qu’un film ne se fait pas seul. D’ailleurs, l’humoriste n’est même pas à l’origine du projet, n’a pas écrit la première version du scénario et n’est pas l’unique réalisateur du film, comme on a tendance à le croire aujourd’hui. Pourquoi j’ai pas mangé mon père est aussi et surtout l’œuvre (ou le désastre) de Frédéric Fougea qui porte cette adaptation de Roy Lewis depuis plus de vingt ans, ayant coécrit le premier jet du script (retravaillé avec Jamel), puis ayant produit et co-réalisé (officieusement) le film. Totalement absent de la promotion, c’est à l’humoriste de porter seul l’échec de ce long-métrage. La nouvelle définition du mot paratonnerre en quelque sorte…

Alexandre Robinne

France - 1h35
Réalisation : Jamel Debbouze - Scénario : Jamel Debbouze, Frédéric Fougea et Jean-Luc Fromental d'après l'oeuvre de Roy Lewis. 
Avec : Jamel Debbouze (Edouard), Mélissa Theuriau (Lucy), Arié Elmaleh (Ian), Diouc Koma (Vania).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Pathé Vidéo.

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