vendredi 3 juillet 2015

Victoria

 
Victoria va-t-il, selon Darren Aronofksy, "renverser le monde" ? Le réalisateur de Black Swan, président du dernier festival de Berlin où le film était présenté, a exprimé son admiration profonde devant le quatrième long métrage de l'allemand Sebastian Schipper. Le festival de Beaune également, qui lui a remis son Grand Prix (voir la vidéo) ainsi que les Lola, les Césars allemands, qui lui ont décerné six récompenses majeures (film, réalisateur, acteur, actrice, photographie et musique). Le phénomène est en marche et il fait (beaucoup) parler. Pour quelle raison ? Pour un plan séquence de 2h14. 

Sebastian Schipper réalise une prouesse, filmer son histoire en un seul plan dans les rues de Berlin, en temps réel, muni d'un scénario d'une dizaine de pages dont un grande part des dialogues furent improvisés. Lui et son équipe ont du s'y reprendre à trois fois avant d'obtenir un résultat satisfaisant. Un exercice de style étonnant qui n'a que très peu d'équivalent dans l'histoire du cinéma mondial (mis à part L'Arche Russe de Sokourov). Mais une fois l'incroyable attraction dépassée, qu'en reste-il vraiment ? 
 
Il est 5h42 dans la capitale allemande. Sortie de boite de nuit, Victoria, une espagnole fraichement débarquée, est accostée par une bande de garçons qui lui propose de les suivre dans les rues berlinoises. Une virée nocture débute, entre rires et alcool, jusqu'au moment où la soirée bascule.


Lorsque le générique de fin apparaît, on est surpris de voir crédité en premier le nom du chef opérateur avant celui du réalisateur. Une reconnaissance essentielle à Sturla Brandth Grovlen qui tient la caméra pendant plus de deux heures dans des situations souvent périlleuses. Une performance technique tellement accomplie que l'on demeure incrédule lorsque l'on apprend qu'il ne s'agit que d'un seul et même plan. La maîtrise de la lumière et de l'espace subjugue et l'unité de temps qui découle de ce processus formel décuple la tension du long métrage. Le film prend dès le départ des chemins de traverse lorsque Victoria rencontre la bande de garçons. Le climat étrange de ce moment laisse à penser que la jeune femme est en danger.  Un suspense s'installe progressivement avant que la situation ne lui échappe. Où tout cela va-t-elle la mener ?

Mais si l'on vide le film de son stupéfiant dispositif, certaines faiblesses demeurent. En premier lieu la crédibilité du personnage de Victoria  qui s'enfonce tête baissée dans une aventure risquée aux conséquences supposées néfastes. On pourrait y adhérer si elle avait été davantage développée. Et Sebastien Schipper finit par être piégé par son propre tour de force en allongeant inutilement son intrigue dans une dernière partie artificielle aux coutures scénaristiques un peu trop visibles. Car le réalisateur a voulu absolument transfigurer son portrait d'une jeunesse inquiète de son avenir emportée dans un tourbillon d'adrénaline en une histoire d'amour tragique. Une convention qui dessert le film mais qui ne doit pas empêcher la vision de ce cauchemar éveillé empli d'une sincérité qu'il faut saluer, et porté de bout en bout par la révélation Laia Costa. Elle est le pouls et l'âme de Victoria, œuvre puissante et imparfaite.

Antoine Jullien

Allemagne - 2h14
Réalisation : Sebastian Schipper - Scénario : Sebastian Schipper, Olivia Neergaard-Holm et Eike Frederik Schultz
Avec : Laia Costa (Victoria), Frederick Lau (Sonne), Franz Rogowski (Boxer), Burak Yigït (Blinker).  



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Version Originale Condor/Jour de fête

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