mercredi 2 décembre 2015

Le pont des espions

 
Les deux Guerres mondiales, le XIXème siècle, les années 30, les sixties... Après vingt-six longs métrages, Steven Spielberg semblait avoir passé en revue toutes les époques. A l'exception du fantaisiste Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal, la Guerre Froide avait échappé au viseur de sa caméra. C'est désormais chose faite avec Le Pont des Espions, adapté, excusez du peu, d'un scénario des frères Coen qui se sont inspirés de l'histoire véridique de Jim Donovan qui avait failli voir le jour en 1965 avec Gregory Peck et Alec Guiness. Acteur fétiche du cinéaste, Tom Hanks était le comédien idéal pour cette leçon d'idéalisme rondement menée mais frôlant l'académisme. 

Avocat à Brooklyn, James Dovonan (Tom Hanks) se voit proposer la défense d'un espion russe (Mark Rylance), accusé de trahison. Malgré la vindicte populaire, celui-ci accepte. Quelques temps plus tard, un pilote américain est capturé par les soviétiques. Donovan est engagé secrètement par le gouvernement américain pour négocier l'échange des prisonniers.

Mark Rylance et Tom Hanks

Après son passionnant renouveau stylistique et thématique du début des années 2000, Spielberg poursuit dorénavant sa veine classique entamée avec Cheval de Guerre et Lincoln. Sur les traces de ses glorieux aînés de l'âge d'or hollywoodien, le cinéaste, qui n'a plus grand chose à prouver, puise dans des histoires vraies pour raconter les fondements des Etats-Unis. En ce sens, le personnage de Dovonan, pétri d'humanisme, est un héros typiquement spielbergien. Au nom de ses croyances résolues dans la constitution de son pays, il va devoir affronter la foule pour défendre un homme que l'on juge indéfendable. C'est la première partie du récit, située à New-York, que le cinéaste enrobe dans un majestueux classicisme, magnifié une fois encore par la photographie de son fidèle chef opérateur Janusz Kaminski. A l'instar d'Henry Fonda, Tom Hanks incarne une certaine idée de la tolérance et de la défense des idéaux. Il ne cherche d'ailleurs pas à savoir si cet homme est un espion mais va dépenser son temps et son énergie à garantir ses droits, allant même devant la Cour Suprême. 


La deuxième partie, située à Berlin-Est au moment de l'édification du mur, nous plonge pleinement dans la Guerre Froide. Mais le regard porté par Spielberg sur cette sombre période paraît un peu déconnecté en comparaison des enjeux géopolitiques qui s'affrontaient dans ce monde hautement bipolaire. Seul contre (presque) tous, Tom Hanks va sans surprise parvenir à ses fins jusqu'au fameux pont Glienecke où a eu réellement lieu l'échange. A cet instant, Donovan est pris d'une certaine empathie pour cet espion pourtant si peu soucieux de son propre sort (l'excellent Mark Rylance), regrettant presque de le voir partir. L'ennemi n'est plus forcément celui que l'on croit. 

On reste tout de même songeur lorsque l'on voit s'afficher le nom des frères Coen au générique. Leur ironie coutumière et leur sens inné du décalage ont été gommés au profit d'un idéalisme béat cher au papa d'E.T. Ce positivisme forcené, que l'on appréciera plus ou moins au gré des films du réalisateur, a atteint son point limite, de plus alourdi par la partition pâteuse du compositeur Thomas Newman qui a remplacé au pied levé John Williams. Heureusement, l'humour pointe parfois le bout de son nez et on aime lorsque le héros, de retour chez lui, s'effondre de fatigue alors qu'on le glorifie dans les médias. Malgré notre relative déception, on se dira pour se consoler qu'il est tout de même pas si fréquent de regarder un film de plus de 2h sans voir les minutes défiler. Steven Spielberg, ou l'art certain du récit. 

Antoine Jullien

Etats-Unis / Inde / Allemagne - 2h21
Réalisation : Steven Spielberg - Scénario : Joel Coen, Ethan Coen et Matt Sharman
Avec : Tom Hanks (James Donovan), Mark Rylance (Rudolf Abel), Amy Ryan (Mary Donovan), Alan Alda (Thomas Watters Jr.)

Disponible en DVD et Blu-Ray chez 20th Century Fox

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