vendredi 29 janvier 2016

Césars et Oscars 2016


LES PALMARES - Mise à jour le 29 février

Enfin ! Après quatre tentatives infructueuses, Leonardo DiCaprio remporte l'Oscar du meilleur acteur pour sa performance extrême dans The Revenant. Une consécration qui salue une carrière exemplaire jalonnée de collaborations avec les meilleurs cinéastes en activité (Scorsese, Eastwood, Spielberg, Tarantino, Nolan...). Le comédien partage son sacre avec Alejandro Gonzalez Iñárritu qui devient le troisième réalisateur de l'histoire à remporter la statuette deux années consécutives après John Ford et Joseph Mankiewicz. On aurait préféré que l'académie soit plus audacieuse en couronnant George Miller et son tonitruant Mad Max : Fury Road qui décroche tout de même six Oscars techniques.

Leonardo DiCaprio, Oscar du meilleur acteur pour The Revenant

Mais on est ravi que l'excellent Spotlight obtienne l'Oscar du meilleur film et du meilleur scénario original, ce qui n'a pas du faire très plaisir au Vatican ! Le génial Vice-Versa remporte logiquement celui du meilleur film d'animation, Le Fils de Saul remporte l'Oscar du film étranger au détriment de Mustang et Ennio Morricone décroche son premier Oscar à 87 ans pour la musique des Huit Salopards. La vraie surprise vient de la statuette remportée par Mark Rylance dans la catégorie meilleur acteur dans un second rôle pour Le Pont des Espions. Si le comédien britannique est remarquable dans le film de Steven Spielberg, il est vraiment regrettable de ne pas avoir récompensé Sylvester Stallone pour Creed : L'Héritage de Rocky Balboa. Un Oscar qui aurait couronné l'acteur et son personnage mythique mais aussi un film qui a été snobé par l'académie et qui est l'objet d'une vive polémique autour de l'absence de personnalités noires parmi les nommés. Les nouvelles règles qui régiront bientôt les Oscars (plus grande présence des femmes et des minorités) sont donc les bienvenues !

88ème Oscars : 

Meilleur Film : Spotlight de Tom McCarthy
Meilleur Réalisateur : Alejandro Gonzalez Iñárritu (The Revenant)
Meilleur Acteur : Leonardo DiCaprio (The Revenant)
Meilleure Actrice : Brie Larson (Room)
Meilleur Acteur dans un Second Rôle : Mark Rylance (Le Pont des Espions)
Meilleure Actrice dans un Second Rôle : Alicia Vikander (Danish Girl)
Meilleur Scénario Original : Josh Singer et Tom McCarthy (Spotlight)
Meilleure Adaptation : Charles Randolph et Adam McKay (The Big Short)
Meilleure Musique : Ennio Morricone (Les Huit Salopards)
Meilleure Photographie : Emmanuel Lubezki (The Revenant)
Meilleurs Décors, Costumes, Maquillage, Montage, Montage Son, Mixage Son : Mad Max : Fury Road 
Meilleure Effets Visuels : Ex Machina
Meilleur Film d'Animation : Vice-Versa de Pete Docter
Meilleur Film Etranger : Le Fils de Saul de Lazlo Nemes
Meilleur Documentaire : Amy d'Asif Kapadia


Catherine Frot, César de la meilleure actrice pour Marguerite

Si par son abattage, Florence Foresti a légèrement réveillé une cérémonie des Césars aussi convenue que les précédentes, le palmarès, lui, est discutable. En couronnant Fatima du César du meilleur film, les votants ont plébiscité une œuvre juste sur le quotidien d'une femme de ménage algérienne mais politiquement rassurante, à l'opposé du précédent film de Philippe Faucon, La Désintégration. Arnaud Desplechin remporte le César du meilleur réalisateur pour Trois souvenirs de ma jeunesse, un prix qui a du ravir les critiques distingués qui en avaient fait le chef d’œuvre de l'année. Libre à nous de trouver le film trop littéraire et truffaldien. Il serait temps que l'alpha et l'oméga du cinéma français ne se résume pas à la Nouvelle Vague.

Deux acteurs sont enfin récompensés par "les professionnels de la profession". Après son couronnement cannois, Vincent Lindon remporte son premier César, mérité, pour La Loi du Marché de Stéphane Brizé. Catherine Frot est elle aussi distinguée pour son interprétation tragicomique de Marguerite de Xavier Giannoli qui remporte également trois Césars techniques. Quatre trophées couronnent l'enthousiasmant Mustang de Deniz Gamze Ergüven dont ceux du meilleur premier film et du meilleur scénario original. Et deux acteurs que l'on aime bien sont récompensés dans la catégorie second rôle, la formidable Sidse Babett Knudsen, alias Birgit Nyborg, pour L'Hermine et Benoît Magimel, admirable dans La Tête Haute.

L'absence remarquée d'acteurs et d'actrices d'envergure (Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Vincent Cassel, Isabelle Huppert, Fabrice Luchini, Jean-Pierre Bacri, Maïwenn...) qui ont préféré faire autre chose ce soir-là, pose question. Les Césars seraient-ils passés de mode ?

41ème Césars : 

Meilleur Film : Fatima de Philippe Faucon
Meilleur Réalisateur : Arnaud Desplechin (Trois souvenirs de ma jeunesse)
Meilleur Acteur : Vincent Lindon (La Loi du Marché)
Meilleure Actrice : Catherine Frot (Marguerite)
Meilleur Acteur dans un Second Rôle : Benoît Magimel (La Tête Haute)
Meilleure Actrice dans un Second Rôle: Sidse Babett Knudsen (L'Hermine)
Meilleur Espoir Masculin : Rod Paradot (La Tête Haute)
Meilleur Espoir Féminin : Zita Hanrot (Fatima)
Meilleure Premier Film : Mustang de Deniz Gamze Ergüven
Meilleur Scénario Original : Deniz Gamze Ergüven et Alice Winocour (Mustang)
Meilleure Adaptation : Philippe Faucon (Fatima)
Meilleure Musique : Warren Ellis (Mustang)
Meilleure Photographie : Christophe Offenstein (Valley of Love)
Meilleurs Décors, Costumes et Son : Marguerite
Meilleur Montage : Mustang
Meilleure Film d'animation : Le Petit Prince de Mark Osborne
Meilleur Documentaire : Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent
Meilleur Film Étranger : Birdman d'Alejandro Gonzalez Iñárritu


LES NOMINATIONS

Les traditionnelles nominations des principales cérémonies de remise de prix sont tombées et son cortège de favoris comme d'oubliés est encore une fois légion. 

Marguerite de Xavier Giannoli décroche 11 nominations aux Césars

Concernant la grand messe du cinéma français que l'on espère moins soporifique que l'an passé, le drôlement bouleversant Marguerite de Xavier Giannoli arrive en tête des Césars avec 11 nominations, à égalité avec le film d'Arnaud Despleschin, Trois souvenirs de ma jeunesse, dont le romantisme désuet ne nous a pas séduit, à l'inverse de la grande majorité des critiques. Desplechin est un habitué des Césars sans avoir jamais été récompensé, à contrario de l’indétrônable Jacques Audiard qui voit son Dheepan, le film le plus bancal de son auteur, glaner 9 nominations. Comme au festival de Cannes, certains cinéastes semblent avoir leur carte de membre qu'ils renouvellent à chaque fois, et peu importe que ce soit pour des œuvres mineures.

Outre Marguerite, la plus belle satisfaction vient des 9 nominations accordées à l'enthousiasmant Mustang de Deniz Gamze Ergüven qui représentera la France aux prochains Oscars et qui pourrait bien tout rafler au théâtre du Châtelet le 26 février. On est également content pour Emmanuelle Bercot qui décroche 7 nominations pour La Tête Haute malgré une hiérarchisation curieuse des acteurs (Deneuve nommée meilleure actrice, Magimel second rôle ??). La réalisatrice est aussi présente dans la catégorie meilleure actrice pour son rôle dans Mon Roi de Maïwenn qui décroche 8 citations. Un choix qui ne peut se justifier que par un intense et fructueux copinage.

Côté acteurs, Vincent Lindon, le grand favori, ne devrait pas voir son premier César lui échapper grâce à La loi du marché de Stéphane Brizé. On espère que Catherine Frot sera elle aussi enfin couronnée pour sa magnifique interprétation de Marguerite mais Loubda Abidar dans Much Loved pourrait également décrocher la statuette dorée, elle qui a été victime d'une ignoble campagne de dénigrement au Maroc suivie d'une agression et qui est depuis réfugiée en France. Un César qui aurait une évidente portée politique. 

Comme un Avion de Bruno Podalydès, le grand oublié des Césars

Parmi les (rares) bonnes surprises, signalons les 2 nominations (premier film et adaptation) accordées à L'Affaire SK1 de Frédéric Tellier et celle du meilleur film d'animation au formidable Avril et le Monde Truqué. Quant aux absences (Maryland, Réalité, 300 Hommes), la plus injustifiable est bien sûr celle de Bruno Podalydès pour Comme un Avion. Que l'un des films les plus euphorisant, libre et singulier du cinéma français soit ainsi écarté ne grandit pas les membres de cette très sage académie. 

The Revenant obtient 12 nominations aux Oscars

Les 88èmes Oscars verront peut-être à nouveau le sacre d'Alejandro Gonzalez Iñárritu, un an tout juste après les 4 oscars remportés pour Birdman. The Revenant arrive en effet en tête des nominations avec 12 citations dont celle du meilleur acteur pour Leonardo DiCaprio qui devrait, sauf énorme surprise, remporter enfin sa première statuette. L'acteur s'est tellement investi dans ce personnage de trappeur assoiffé de vengeance, endurant des conditions de tournage difficiles et un cinéaste exigeant, que son absence au palmarès serait vue comme une cabale. Les votants ne devraient pas s'y risquer. 

Des votants qui ont été une fois n'est pas coutume audacieux en distinguant le dantesque Mad Max : Fury Road avec 10 nominations. On aimerait tant que George Miller vienne chercher son prix du meilleur réalisateur, lui qui a signé une œuvre survoltée et visionnaire, le grand choc visuel de 2015. Parmi les films de cinéastes de renom, le très moyen Seul sur Mars de Ridley Scott obtient 7 nominations tandis que l'académique Pont des Espions de Steven Spielberg en décroche 6. Le cinéma indépendant n'est pas en reste grâce à l'excellent Spotlight de Tom McCarthy qui obtient 6 nominations majeures ainsi que Carol de Todd Haynes (5 citations) et la surprise Room de Lenny Abrahmson (3 nominations) qui pourrait valoir à la jeune Brie Larson l'Oscar de la meilleure actrice à moins que Charlotte Rampling ne la coiffe au poteau pour le drame 45 ans, la première nomination de sa carrière !

On pourra tout de même ergoter sur la grotesque distinction établie entre les comédiens d'un même film. Ainsi, Eddie Redmayne, auréolé l'année dernière pour Une merveilleuse histoire du temps, est nommé dans la catégorie meilleur acteur pour son rôle de transsexuel dans Danish Girl alors que sa partenaire, l'excellente Alicia Vikander, doit se contenter du meilleur second rôle. Et la réciproque est vraie pour les deux comédiennes de Carol, Cate Blanchett et Rooney Mara, cette dernière, prix d'interprétation au festival de Cannes, est reléguée comme second rôle alors que l'histoire du film est racontée de son point de vue. 

Sylvester Stallone pourrait remporter son premier Oscar grâce à Creed - L'Héritage de Rocky Balboa

Pixar devrait en toute logique remporter un 8ème Oscar du film d'animation pour le merveilleux Vice-Versa et il est fort probable qu'Adam McKay décroche l'Oscar de la meilleure adaptation pour son corrosif The Big Short - Le Casse du siècle.  Dans les regrets, citons l'absence de Sicario de Denis Villeneuve, une fois encore snobé après son excellent Prisoners, et celle du scénariste Aaron Sorkin pour son brillant script de Steve Jobs.

Enfin, on serait heureux que, quarante ans après l'avènement de Rocky, Sylverster Stallone remporte son premier Oscar pour ce personnage si emblématique de sa carrière, réincarné de manière drôle et poignante dans Creed - L'Héritage de Rocky Balboa.

Réponse dans la nuit du 28 février au Kodak Theatre de Los Angeles.

Antoine Jullien

41ème Cérémonie des Césars le 26 février
88ème Cérémonie des Oscars le 28 février 

mardi 26 janvier 2016

Les Saisons

 
Lui et son équipe ont été les premiers à filmer les oiseaux au plus près de leurs battements d'ailes dans Le Peuple Migrateur. Les insectes de Microcosmos et les créatures marines d'Océans ont sublimé le documentaire animalier. Jacques Perrin est un aventurier de l'espèce animale et son envie de faire partager la vie de ses "cousins de planète" ne n'est jamais tarie, comme le prouve sa nouvelle production, Les Saisons, co-réalisé par Jacques Cluzaud. Une chronique sur 12 000 ans au coeur des forêts d'Europe, à la redécouverte de ces territoires que nous partageons avec les animaux sauvages depuis la dernière ère glaciaire jusqu'à nos jours. 

Jacques Perrin a voulu montrer comment la forêt a peu à peu été envahie par les hommes. Il a pris le point de vue des animaux afin de raconter des millénaires d'évolution. Le spectateur est plongé dans une forêt disparue où les loups, sangliers, chevaux, renards, cohabitent. Grâce à un art certain du montage, des courses poursuites haletantes (filmées grâce à un scooter électrique !) et des combats homériques et authentiques jalonnent cette épopée qui étonne encore par sa force visuelle. Réduisant le commentaire au strict minimum, les réalisateurs ont privilégié le son et l'image en parvenant à faire de ces animaux des personnages.

Certains oiseaux deviennent de vrais protagonistes et les hérissons, filmés au ras du sol, des seconds rôles formidables. Un bestiaire foisonnant que les hommes, montrés subtilement hors champ, vont gravement malmener. A l'instar des ours qui vont devoir se retirer dans les coins les plus reculés pour leur échapper, les animaux, menacés dans leur ensemble, voient leur territoire se réduire dangereusement. Aucun catastrophisme cependant dans le propos de Jacques Perrin mais une invitation à une prise de conscience qui, même tardive, est toujours salutaire. Même si le film finit par se répéter et impressionne moins que les œuvres précédentes, il n'en demeure pas moins un beau voyage dans une nature que l'on aura su, le temps des Saisons, mieux appréhender.

Antoine Jullien

France - 1h35
Réalisation : Jacques Perrin et Jacques Cluzaud - Scénario : Jacques Perrin, Jacques Cluzaud, Stéphane Durand et François Sarano.

Disponible en DVD et Blu-Ray chez Pathé Vidéo.

lundi 25 janvier 2016

Le 28ème festival Premiers Plans d'Angers


Le 28ème festival Premiers Plans d'Angers s'est ouvert vendredi et se poursuit jusqu'au 31 janvier. Révélateur de nouveaux réalisateurs européeens, la manifestation propose une sélection de premiers longs métrages français et étrangers sous l’œil du jury présidé cette année par le réalisateur Arnaud Desplechin.

Parmi les temps forts, citons les rétrospectives consacrées à Milos Forman, Alain Cavalier (en sa présence), Andrei Zviaguinstev (en sa présence) et l'acteur Michael Lonsdale, des thématiques sur les rebelles, l'Islande et les migrants d'aujourd'hui sans oublier un hommage rendu à Chantal Akerman, récemment disparue.

Le public pourra également assister à des lectures de scénarios, des conférences, des tables rondes et des leçons de cinéma. 

28ème Festival Premiers Plans d'Angers jusqu'au 31 janvier.
Renseignements : http://www.premiersplans.org/


vendredi 22 janvier 2016

Exposition Martin Scorsese

 
Produite par la Deutsche Kinemathek, l'exposition Martin Scorsese a pris ses quartiers à la Cinémathèque française après son passage à Berlin. 

Un évènement dans la mesure où Martin Scorsese est aujourd'hui le cinéaste vivant le plus célèbré dans le monde et l'inspirateur d'un grand nombre de réalisateurs.

Fer de lance du Nouvel Hollywood, il a débuté sa carrière par des œuvres autobiographiques évoquant ses origines italiennes et sa vie à Little Italy (Mean Streets), puis a poursuivi son exploration new-yorkaise dans divers registres (Taxi Driver, After Hours) avant de devenir le maître du film de mafieux (Les Affranchis, Casino) et un réalisateur bankable (Les Infiltrés, Le Loup de Wall Street). 

Deux acteurs ont durablement marqué sa filmographie. Robert De Niro tout d'abord, son alter égo, qui a trouvé dans les films du cinéaste des performances à sa démesure (Raging Bull) puis Leonardo DiCaprio qui lui a permis d'élargir son public tout en construisant ensemble une collaboration riche et féconde.

Asa Butterfield et Martin Scorsese, Hugo Cabret (Hugo), 2011. Martin Scorsese Collection, New York.

Scorsese, c'est aussi le défricheur de films à travers sa Film Foundation qui restaure des œuvres du patrimoine que l'on croyait perdues à jamais. Un cinéphile passionné, un amoureux transit du cinéma et des cinéastes à qui il consacra deux anthologies (Voyages à travers les cinémas américain et italien). 

Martin Scorsese, c'est surtout un homme incroyablement actif qui, à 73 ans, produit dans le même temps une série sur le monde de la musique avec son camarade Mick Jagger (Vinyl, diffusée prochainement) et tourne son 24ème long métrage, Silence, sur la religion, l'un de ses thèmes obsessionnels. 

Une frénésie à l'image de ses personnages que la Cinémathèque met en lumière à travers une exposition que nous vous proposons de découvrir en compagnie de Matthieu Orléan et du maître en personne.

Antoine Jullien

Exposition Martin Scorsese à la Cinémathèque française jusqu'au 14 février 2016.
Renseignements : www.cinematheque.fr


mercredi 20 janvier 2016

Les Chevaliers Blancs

 
Le réalisateur Joachim Lafosse aime changer de registre. Après le troublant Elève Libre et le névrotique A perdre la raison (déjà adapté d'un fait divers), il s'attaque à une affaire qui avait suscité la controverse, celle de l'Arche de Zoé, une association humanitaire qui voulait illégalement embarquer des enfants orphelins tchadiens pour la France où les attendaient des parents adoptants avant d'être finalement arrêtés par les autorités tchadiennes puis condamnés par la justice française. Ne souhaitant pas rencontrer les principaux protagonistes de l'affaire, le réalisateur s'est éloigné de la vérité judiciaire pour arpenter le terrain de la fiction. En résulte une œuvre qui nous interroge sur notre statut de dominant.

Jacques Arnault (Vincent Lindon), président de l'ONG "Move for Kids", a convaincu des familles françaises en mal d'adoption de financer une opération d'exfiltration d'orphelins d'un pays d'Afrique ravagé par la guerre. Entouré d'une équipe de bénévoles dévoués à sa cause, il a un mois pour trouver 300 enfants en bas âge et les ramener en France.


"L'enfer est pavé de bonnes intentions". Cette maxime colle parfaitement à la démarche de Jacques Arnault. Car pour réussir, il doit persuader ses interlocuteurs africains et les chefs de village qu'il va installer un orphelinat et assurer un avenir sur place à ces jeunes victimes de guerre jusqu'à l'âge de quinze ans. Il dissimule donc aux populations le véritable but de sa démarche. L'homme est persuadé de sauver ces enfants et tous les moyens, mêmes les moins reluisants, semblent à ses yeux justifier ses mensonges. Sa compagne (Louise Bourgoin), réellement convaincue du bien fondé de leur mission, l'épaule tandis qu'une partie du groupe doute de la légalité de l'entreprise au point de partir. Au milieu d'eux, une journaliste (Valérie Donzelli) censée tourner un reportage sur l'association va peu à peu perdre ses repères moraux.

Vincent Lindon

Le film scrute de manière lucide la perversité d'une organisation en ne désignant jamais les "méchants". Joachim Lafosse a préféré privilégier leur humanité, à commencer par Vincent Lindon que l'on aurait presque envie de suivre malgré les nombreuses zones d'ombre du personnage. Son charisme dynamise le film, notamment lors de ses nombreux échanges avec les chefs de village dans lesquels le cinéaste pointe la corruption et révèle surtout une forme de néo-colonialisme. L'argent est alors le meilleur des passe-droits et tout le monde en profite. Jusqu'à ce que l'un des membres "en ait honte".

Joachim Lafosse a repris des éléments clés de l'affaire de l'arche de Zoé pour en tirer un propos plus large sur nos civilisations dominantes. Un malaise palpable grandit tout au long du film à mesure que la tension gagne le cœur du groupe et que les personnages franchissent de plus en plus nettement la ligne rouge. Le réalisateur a également su recréer le climat de peur et de danger qui entoure les membres de l'association, donnant une ampleur inédite à sa mise en scène. En explorant la face obscure de "l'humanitaire", Joachim Lafosse continue d'être un "poil-à-gratter" qui aime déborder des frontières un peu trop balisées du cinéma tricolore.

Antoine Jullien

France / Belgique - 1h52
Réalisation : Joachim Lafosse - Scénario : Joachim Lafosse, Thomas Van Zuylen et Bulle Decarpentries
Avec : Vincent Lindon (Jacques Arnault), Louise Bourgoin (Laura Turine), Valérie Donzelli (Françoise Dubois), Reda Kateb (Xavier Libert). 

Disponible en DVD et Blu-Ray chez Le Pacte

mardi 19 janvier 2016

Paul Verhoeven revient aux affaires

 
On n'avait plus beaucoup de nouvelles du cinéaste Paul Verhoeven jusqu'à l'annonce, au début de l'année dernière, du tournage de son nouveau film, en France et en français, avec Isabelle Huppert en tête d'affiche. Elle, adapté du roman de Philippe Djian Oh, suit Michèle, patronne d'une grande entreprise de jeux vidéo, qui voit un jour débarquer chez elle un homme masqué qui la viole. Elle se met alors à le traquer en retour. 

La bande annonce qui vient d'être dévoilée rappelle un peu l'ambiance du très mauvais Passion de Brian de Palma. Espérons que le réalisateur sulfureux de Basic Instinct ne sombrera pas dans la même ringardise érotique et sera nettement plus inspiré. Outre Isabelle Huppert, il peut compter sur un solide casting d'acteurs frenchies (Laurent Laffite, Virginie Efira, Charles Berling, Anne Consigny). Il faudra patienter jusqu'au 21 septembre (après un passage cannois ?) pour le découvrir dans les salles.

En attendant, Paul Verhoeven sera à l'honneur à la Cinémathèque française lors du festival Toute la Mémoire du Monde, du 3 au 7 février prochain, où il reviendra sur sa riche période américaine.

vendredi 15 janvier 2016

La Grande Séance de janvier

 
Mon Cinématographe a participé à l'émission La Grande Séance sur Séance Radio, animée par Bruno Cras, avec comme invité l'acteur et réalisateur Olivier Lousteau, auteur de La Fille du Patron, un premier long métrage sensible et sincère à défaut d'être très surprenant.

Dans sa chronique, Mon Cinématographe est revenu sur la disparition du directeur de la photographie Vilmos Zsgimond qui a incarné visuellement le Nouvel Hollywood à travers des films aussi importants que Délivrance, Voyage au Bout de l'Enfer, La Porte du Paradis ou Rencontres du Troisième Type qui lui valut son unique Oscar en 1978. 

Le débat de l'émission portait sur l'avalanche de suites programmées en 2016 dans le cinéma français avec des "œuvres" à venir aussi réjouissantes que Les Tuche 2, Les Visiteurs 4 ou encore Camping 3.

Antoine Jullien

Retrouvez l'émission en cliquant sur le lien ci-dessous : 
http://seanceradio.com/reecoute/la-grande-seance-2/la-grande-seance-la-fille-du-patron/

Et les autres Grandes Séances sont à retrouver ICI.

mercredi 6 janvier 2016

Les Huit Salopards


Quentin Tarantino est un grand cinéaste, nul le conteste. Il est parvenu à élever le culture pop au rang d'art suprême et a su mieux que personne se réapproprier les milliers de films ingurgités pour délivrer des œuvres uniques et éminemment personnelles. Django Unchained, son western décomplexé sur l'esclavage, en était la démonstration le plus éclatante. Mais le bonhomme à l'égo très développé ne fait confiance qu'à lui-même. Brillant auteur de ses scripts jusqu'alors, le cinéaste s'est cru une fois encore capable de soulever des montagnes et remettre à nouveau le western en majesté. Mais ces 8 Salopards sent bien l'erreur d'aiguillage, un coup manqué dans sa riche filmographie qui pourrait laisser des traces. 

Le film se déroule quelques années après la fin de la Guerre de Sécession. En plein hiver, une diligence fonce à travers la campagne du Wyoming. A son bord, le chasseur de primes John Ruth (Kurt Russell), se rend dans la petite ville de Red Rock pour livrer à la justice la femme qu'il a capturée, Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh). En chemin, il croise la route du commandant Marquis Warren (Samuel L. Jackson) et Chris Mannix (Walter Goggins). Pris dans une tempête de neige, ils trouvent refuge dans la mercerie de Minnie où les attendent quatre inconnus. 

Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh et Tim Roth
 
Les Huit Salopards est (encore !) découpé en chapitres, une des marques de fabrique du cinéaste, et reprend la même structure en huis-clos que Reservoir Dogs. C'est dire si l'on se trouve en terrain connu. Pourtant, pour la première fois, Tarantino a fait appel à un compositeur de légende pour la bande originale, Monsieur Ennio Morricone, et son humour coutumier est mis cette fois en sourdine. En revanche, les bavardages n'ont jamais autant pullulé que dans ce huitième long métrage. Mais son art du dialogue qui s'était un peu émoussé depuis Pulp Fiction devient ici plombant. La première partie est à ce titre interminable et terriblement statique malgré l'usage du 70 mm anamorphique qui permet à l'image de s'étendre à l'infini. Alors que ce format, inusité depuis des décennies, avait fait la réputation de films à grand spectacle comme Lawrence d'Arabie ou Ben-Hur, Tarantino en a pris le contre-pied en le choisissant pour un décor unique et quasi-théâtral. Une décision curieuse qui séduit au départ, notamment grâce à la belle photographique de son complice Robert Richardson, mais qui trouve rapidement ses limites. 

Samuel L. Jackson

Tarantino est un fou de cinéma, il vénère la pellicule comme personne et sa mise en scène s'en ressent. Sauf qu'il n'a plus grand chose de neuf à raconter si ce n'est de s'autoplagier lui-même. Malgré une deuxième partie plus enlevée, le film ne décolle jamais vraiment, terriblement handicapé par sa longueur (2h47 !) injustifiable. Le cinéaste aurait certainement besoin d'un producteur digne de ce nom qui ose lui dire qu'il se fourvoie en "s'écoutant" filmer de la sorte. Les personnages n'y gagnent rien, certains paraissant même étonnamment sous exploités (Tim Roth et Michael Madsen), et le spectateur, lui, voit le temps s'égrener sans que le plaisir jouissif des Tarantinades ne coule dans ses veines. 

La violence, enfin, complaisante et (trop) attendue, vient achever l'ensemble. Tarantino dépeint des êtres sans foi ni loi, de véritables salopards en effet. Mais, à l'instar de ses protagonistes, la façon dont le réalisateur semble prendre plaisir à s'acharner sur la pauvre Jennifer Jason Leigh nous met quelque peu en colère. Le film devient alors non seulement vain mais assez rebutant. Autant la violence dans Django était cruellement nécessaire, autant elle est cette fois comme le symbole du manque flagrant d'inspiration du cinéaste qui devrait se remettre en question. Il a déclaré récemment qu'il ne réaliserait que dix longs métrages. Plus que deux pour redresser la barre. 

Antoine Jullien

Etats-Unis - 2h47
Réalisation et Scénario : Quentin Tarantino
Avec : Samuel L. Jackson (Marquis Warren), Kurt Russell (John Ruth), Jennifer Jason Leigh (Daisy Domergue), Walter Goggins (Chris Mannix).  

Disponible en DVD et Blu-Ray chez M6 Vidéo.