mercredi 10 février 2016

El Clan

 
L'Affaire Puccio défraya la chronique en Argentine dans les années 80. L'histoire de cette famille bien sous tous rapports, coupable de quatre enlèvements puis de meurtres malgré le paiement des rançons, ne pouvait qu'intéresser le réalisateur Pablo Trapero, scrutateur avisé de son pays. Après Carancho et Elefante Blanco, il change de registre en s'attaquant au film de gangsters. Et signe son meilleur film, ample et retors.

Un clan machiavélique, auteur de kidnappings et de meurtres, sévit dans un quartier tranquille de Bueno Aires sous l'apparence d'une famille ordinaire. Arquimedes, le patriarche, dirige et planifie les opérations. Il contraint son fils aîné, Alejandro, à lui fournir des "candidats". Par sa popularité de joueur de rugby évoluant dans la sélection nationale, le jeune homme est ainsi protégé de tout soupçon. 

"Le crime est une affaire de famille". Cet adage prend particulièrement corps dans ce film qui réussit, comme peu avant lui, à ancrer la famille au cœur d'une histoire de truands. A des encablures de la tragédie antique du Parrain, El Clan est une étude au scalpel du quotidien en apparence banal d'une tribu soudée et en réalité responsable de terribles forfaits. Car le père fait prospérer son entreprise criminelle grâce à la complicité tacite de tous les membres de sa famille. Une séquence suffit à résumer ce poison familial : la caméra démarre sur le père prenant un plateau repas dans la cuisine, le suit monter les escaliers, ouvrir la porte de la chambre de sa fille lui demandant de descendre pour le dîner avant de terminer son parcours sur la geôle de sa victime à qui le repas est destiné. 

Peter Lanzani et Guillermo Francella

Ce brio de mise en scène se retrouve dans les scènes d'enlèvements, filmées en plan séquence sur les airs de standards du rock, notamment la chanson Sunny Afternoon des Kinks. On pense bien sûr au cinéma de Scorsese mais Pablo Trapero n'est pas dans l'imitation, n'enfonçant jamais le clou d'une virtuosité gratuite. Grâce à sa maîtrise stylistique, il nous plonge, toujours à bonne distance, dans les méandres nauséabonds de cette famille. Sa caméra sait aussi rendre compte des troubles intérieurs de ses protagonistes notamment lorsqu'il réunit dans son cadre le père et le fils, en plan serré et légère plongée, au moment où ce dernier prend conscience de la nature meurtrière des actes dont il s'est rendu coupable. Le cinéaste filme ainsi le sujet central de son œuvre : la manipulation d'un père sur son fils. 

Sous sa coupe, le rejeton va, par lâcheté et faiblesse, accepter tout ce que lui ordonne son paternel, incapable de le "tuer". Une terreur psychologique magistralement incarnée par Guillermo Francella, depuis longtemps une vedette en Argentine et plutôt habitué à jouer des rôles comiques. Son personnage, affable et insaisissable, protégé par les militaires pour lesquels il fut un ancien homme de main, va mener sa progéniture à sa perte. Car à travers cette sombre histoire, le film raconte aussi le passage de la dictature à la démocratie, une époque où les masques du crime tombent. Ceux du clan Puccio enverront les principaux intéressés de longues années derrière les barreaux. Ce qui n'empêchera pas le patriarche de nier les faits jusqu'à sa mort.

Antoine Jullien 

Argentine / Espagne - 1h48
Réalisation et Scénario : Pablo Trapero
Avec : Guillermo Francella (Arquimedes), Peter Lanzani (Alejandro), Lili Popovich (Epifania), Gaston Cocchiarale ("Maguila"). 

Disponible en DVD et Blu-Ray chez TF1 Vidéo.

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