vendredi 19 février 2016

La reprise de M


Voir un grand cinéaste entreprendre le remake de l’œuvre d'un autre grand cinéaste, voilà un passionnant exercice de cinéphile. L'histoire du cinéma regorge de ce type d'exemples, du Scarface d'Howard Hawks adapté par Brian de Palma dans le Miami des années 70, au plus récent Bad Lieutenant d'Abel Ferrara transposé à la Nouvelle-Orléans par Werner Herzog. Un autre illustre réalisateur allemand, Fritz Lang, eut le droit au remake de son culte M. Le Maudit par Joseph Losey en 1951. Un temps où le réalisateur de The Servant n'était pas encore un exilé fuyant l'Amérique, devenu la cible du maccarthysme. A l'origine, c'est Douglas Sirk, le maître du mélodrame hollywoodien, qui devait réaliser M mais il souhaitait pouvoir réécrire le scénario original. Ne pouvant accepter la proposition du cinéaste, le producteur Seymour Nebenzal confia le projet à Joseph Losey. 

Un insaisissable tueur en série kidnappe et tue des fillettes. Activement recherché par la police, il est également pourchassé par la pègre de Los Angeles. Débute alors une haletante chasse à l'homme. 

David Wayne

Tourné en décors naturels dans la Cité des Anges, M marque les débuts du néo film noir, loin des studios et des artifices. Ce choix esthétique tranche inévitablement avec l'expressionnisme du film de Lang. Dans la lignée de Asphalt Jungle (Quand la ville dort) de John Huston, Losey signe une œuvre sombre et désespérée sur la nature humaine. Malgré sa relecture à la séquence près de M. Le Maudit, il s'en démarque nettement par sa vision du tueur. Dépeint par Lang comme un monstre lynché par la foule, Losey préfère établir un transfert de culpabilité sur la population elle-même, prête à exécuter un homme sans autre forme de procès. 

La parodie de justice qui conclut le film avec la "plaidoirie" de l'avocat et les confessions de l'assassin, est un grand moment pathétique à l'évidente portée politique. Se sentant déjà menacé, Joseph Losey n'hésite pas à dénoncer la paranoïa ambiante qui touchait son pays à l'époque, filmant une véritable psychose collective où tout individu devient un suspect potentiel. En donnant le rôle de l'assassin à David Wayne, le cinéaste en fait un personnage moins manichéen, à l'opposé de l'inquiétante interprétation de Peter Lorre dans le film original. Sans exonérer les crimes de son protagoniste, Losey s'intéresse davantage à son humanité et à ses fêlures. Un parti-pris qui ne sera pas récompensé au moment de la sortie, conduisant Losey un an plus tard à quitter les États-Unis pour l’Angleterre. Mais le cinéaste a toujours eu de la considération pour ce film, se déclarant fier du résultat, de l'interprétation de David Wayne et du choix des décors. Les œuvres majeures qu'il tournera par la suite en Europe (Accident, Le Messager, Monsieur Klein) le placeront tout en haut du panthéon du cinématographe. 

Antoine Jullien

États-Unis, 1951 - 1h27
Réalisation : Joseph Losey - Scénario : Norman Reilly Rane, Leo Katcher et Waldo Salt
Avec : David Wayne (Martin W. Harrow), Howard Da Silva (Inspecteur Carney), Martin Gabel (Charlie Marshall). 

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