lundi 4 juillet 2016

Michael Cimino ou les rêves de grandeur du Nouvel Hollywood

 
Au milieu des personnalités illustres qui ont tiré leur révérence ce week-end, l'annonce de la mort de Michael Cimino a fait un flop. Le cinéaste avait certes abandonné les plateaux de cinéma depuis une vingtaine d'années, rattrapé constamment par le désastre financier de La Porte du Paradis (l’œuvre a été largement réhabilitée depuis). Par les effets indésirables de la chirurgie esthétique, il s'était peu à peu transformé, au point que certains murmuraient qu'il avait changé de sexe. Mais tout cela parait dérisoire en comparaison de l’œuvre qu'il a su créer et qui ne méritait certainement pas cette indifférence polie. 

Après des études d'art à Yale et l'écriture de scénarii dont Silent Running réalisé par le maître des effets spéciaux Douglas Trumbull, Cimino tourne en 1974 son premier long métrage, Le Canardeur, avec en vedette Clint Eastwood et le jeune Jeff Bridges. Un road movie en forme de coup de maître qui l'installe parmi les cinéastes les plus prometteurs du Nouvel Hollywood, cette horde de réalisateurs prêts à en découdre avec les studios afin d'imposer leur vision artistique, et qui trouva comme illustres représentants Coppola, Scorsese, Friedkin, Lucas et Spielberg. 

Robert De Niro dans Voyage au bout de l'enfer

En 1978, il signe son deuxième film, son plus grand à nos yeux, Voyage au bout de l'enfer, qui est l'un des premiers à aborder frontalement la guerre du Vietnam. Mais en racontant la destinée d'une bande d'amis d'origine ukrainienne, ouvriers de Pennsylvanie, en proie au cauchemar vietnamien, Cimino scrute avant tout l'Amérique avec une intensité inouïe, filmant une galerie de personnages inoubliables et des scènes qui sont restées dans la mémoire collective (la scène de la roulette, la bouleversante séquence finale), magnifiées par la lumière du grand chef opérateur Vilmos Zsigmond. Les attaques d'une partie de la presse de gauche de l'époque paraissent aujourd'hui absurdes tant les accusations de patriotisme nauséabond lancées à l'encontre du cinéaste se trouvent réduites à néant devant la vision lucide et juste d'une Amérique qui tente de panser ses plaies, à jamais béantes. L'Académie des Oscars se montra avisée en le couvrant d'honneur, le film récoltant 5 statuettes dont celles du meilleur film et du meilleur réalisateur. 

La Porte du Paradis

La Porte du Paradis en 1980 est le chant du cygne de Michael Cimino. Le tournage à rallonge et l'explosion du budget mettent à mal la réputation du cinéaste qui propose à United Artists un premier montage de 5h25. Ramené à une durée de 3h40, le film est vilipendé par les critiques et connaît un très lourd échec au box-office, conduisant le studio à la banqueroute. Un naufrage, entré depuis dans la légende, qui ruinera la carrière de Cimino et marquera la fin du Nouvel Hollywood. En 2012, une version director's cut, supervisée par le réalisateur, témoigne de l'incroyable ambition du cinéaste et rend enfin compte de l'importance de La Porte du Paradis dans le cinéma américain. Son propos sans concession sur une lutte des classes qui voit, dans les années 1890, des immigrants se faire chasser de leur terre avec violence et fracas, demeure en effet bien éloigné des mythes fondateurs du pays de l'Oncle Sam. 

L'Année du Dragon
 
Cimino attendra cinq ans avant de réaliser le thriller L'Année du Dragon avec un Mickey Rourke qui ressemblait encore à quelque chose. Le cinéaste est de nouveau attaqué par la presse américaine, accusé de racisme dans sa description de la mafia chinoise de New-York. L'énième secousse d'une carrière décidément chaotique : "Quand j'ai fait Le Canardeur, on m'a traité d'homophobe (je ne sais toujours pas ce que ça veut dire). Quand j'ai fait Voyage au bout de l'enfer, on m'a traité de fasciste, après La Porte du Paradis, j'étais marxiste, après l'Année du Dragon, raciste". Le film est mieux reçu en France où il remporte un beau succès et une nomination au César du meilleur film étranger. 

Ces trois derniers films (Le Sicilien, Desperate Hours, Sunchaser) sont des échecs critique et public. Après plusieurs projets avortés (dont une adaptation de La Condition Humaine de Malraux), le cinéaste n'apparait plus que lors d'hommages qui lui sont consacrés. Avec sa disparition à 77 ans et seulement sept longs métrages au compteur, c'est comme si Le Nouvel Hollywood mourrait une seconde fois.

Antoine Jullien 


Filmographie

1974 : Le Canardeur (Thunderbolt and lightfoot)
1978 : Voyage au bout de l'enfer (Deer Hunter)
1980 : La Porte du Paradis (Heaven's Gate)
1985 : L'Année du dragon (Year of the dragon)
1987 : Le Sicilien (The Sicilian)
1990 : Desperate Hours
1996 : Sunchaser


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