dimanche 16 février 2014

Ida


Le cinéaste polonais Pawel Pawlikowski n'avait jamais tourné dans son pays. Exilé dès l'adolescence en Angleterre, le réalisateur a entrepris plusieurs documentaires et fictions avant de revenir dans sa terre natale. Pour ce retour aux sources, il s'est plongé dans la Pologne des années 60 à travers le personnage d'Ida, une jeune orpheline élevée au couvent et qui s'apprête à prononcer ses vœux avant que sa tante ne lui révèle sa judéité. Ensemble, elles vont partir à la recherche d'un passé douloureux.

Dès le premier plan du film, on perçoit très vite que l'on se trouve devant une œuvre unique. Le format de l'image, d'abord, le 1.33, plus utilisé aujourd'hui et qui renforce l'aspect minimaliste du film et la sensation d'étouffement vécue par le spectateur. Le noir et blanc, ensuite, qui confine aux images une intense beauté, sublimant le caractère tragique de l'histoire. La composition des cadres, enfin, qui subjugue par sa précision et sa rigueur, épousant merveilleusement la mise en scène du cinéaste et son idée qu'une forme divine écrase ou élève les personnages, selon l'appréciation de chacun. 

 Agata Kulesza et Agata Trzebuchowska

La religion catholique est au cœur du film de Pawlikowski et le miroir de l'amnésie qui semblait contaminer la Pologne a cette époque. Malgré le régime communiste, elle était, selon le cinéaste, "le socle de l'identité nationale polonaise". C'est en quittant l’institution qu'Ida va découvrir les horreurs cachées de la guerre et la destinée funèbre des membres de sa famille. Alors que la jeune femme est profondément croyante, elle va sentir que sa foi ne la protège plus de son passé qu'on a voulu lui cacher. Malgré l'austérité formelle voulue par le cinéaste, cette recherche de la vérité va peu à peu nous bouleverser et atteindre une dimension émotionnelle inouïe dans une séquence au milieu d'une forêt où, en deux plans, Pawlikowski arrive à filmer l'indicible.

 Dawid Ogrodnik et Agata Trzebuchowska

Les images nous hantent à mesure que progresse le cheminement intérieur d'Ida, accompagné par sa tante qui est inspirée d'un personnage ayant réellement existé, une procureur particulièrement active durant les procès staliniens. Ce personnage est en soi un paradoxe, affable et humaine alors qu'elle a du sang sur les mains. Sa relation avec Ida est passionnante car elle va révéler la jeune femme sous un jour nouveau, particulièrement lors d'une scène d'amour mémorable par sa simplicité, la caméra captant, en un seul plan, la jeune femme enlever délicatement sa coiffe et nous montrer sa belle chevelure pour la première fois. A cet instant précis, il faut plus que du talent pour nous déchirer à ce point, il faut être touché par une forme de grâce. 

Le film en est baigné tout en restituant l'époque avec une justesse proche du documentaire. Chaque élément de décor, chaque accessoire nous revoient à cette période, sans oublier le réalisme des séquences dans le couvent et son rituel immuable. Même dans ce vase clos éloigné de toute tentation charnelle, Pawlikowski, en filmant une sœur se laver tout habillée, dévoilant ainsi ses formes sous son habit trempé, parvient à faire ressentir le changement qui est en train de s'opérer chez Ida. Une transformation que l'on croit effective mais dans l'ultime séquence, Pawlikowski bouscule sa mise en scène en suivant, pour la première fois caméra à l'épaule, la jeune femme reprendre sa route, cahotante. Une allégorie de son existence à venir, incertaine, et peut-être pleine de promesses. Ida est bien le premier grand choc cinématographique de l'année. 

Antoine Jullien

Pologne - 1h20
Réalisation : Pawel Pawlikowski - Scénario : Rebecca Lenkiewicz et Pawel Pawlikowski 
Avec : Agata Trzebuchowska (Ida), Agata Kulesza (Wanda), Dawid Ogrodnik (Lis).



Disponible en DVD chez Memento Films.

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