mercredi 18 mai 2016

Mon Cinématographe à Cannes : Assayas sifflé, Nichols inspiré, Almodovar fatigué



Cannes ne serait pas Cannes sans ses sifflets qui accompagnent les fins de projections. On se souvient l'an passé de l'accueil catastrophique (et mérité) réservé à Nos Souvenirs de Gus Van Sant. La vindicte a cette fois frappé Olivier Assayas qui présentait son nouveau long métrage en compétition, Personal Shopper. Kristen Stewart interprète une américaine vivant à Paris qui s'occupe de la garde robe d'une célébrité. Elle est surtout de plus en plus troublée par la présence de son frère disparu dont l'esprit l'envahit peu à peu. 

Personal Shopper d'Olivier Assayas

Assayas ne semble lui-même pas très convaincu par son intrigue, terriblement flottante. Le réalisateur tente vainement de s'accaparer le genre fantastique avec un sérieux qui frise le foutage de gueule, tombant dans le grotesque à plus d'une reprise et incapable de provoquer le moindre mystère. Descendu enfin brutalement d'un piédestal bien trop grand pour lui, il conclue tristement une moyenne sélection française.

Julieta de Pedro Almodovar

Empêtré ces dernières semaines dans des affaires extra cinématographiques, Pedro Almodovar est bien venu à Cannes défendre son dernier opus, Julieta, dans lequel son héroïne veut renouer avec sa fille qui refuse de la voir depuis plusieurs années.

On aime tant le cinéma d'Almodovar et les œuvres majeures qui le jalonnent que l'on se sent cette fois  un peu trop en terrain connu. Beaucoup moins ambitieux visuellement et narrativement que Parle avec Elle ou La Mauvaise Education, Julieta est victime d'un scénario assez plat et linéaire. Même s'il filme toujours aussi bien ses actrices, le cinéaste veut traiter de nombreux thèmes (l'abandon, la culpabilité, le deuil), sans en transcender aucun. Malheureusement pour lui, il risque une fois encore de repartir de la Croisette sans la fameuse Palme d'Or. 

Loving de Jeff Nichols

Loving de Jeff Nichols était l'un des films les plus attendus de la compétition. Il relate le combat véridique mené par Mildred et Richard Loving. Nous sommes en 1958. Lui blanc, elle noire, ils décident de se marier. Mais l'état de Virginie où ils s'installent interdit cette union et les poursuit en justice. Le couple est condamné à une peine de prison, avec suspension de la sentence à condition qu'ils quittent l'état. Considérant qu'il s'agit d'une violation de leurs droits civiques, ils iront jusque devant la Cour suprême qui, en 1967, casse la décision de la Virginie. 

En l'espace de quelques films (Take Shelter, Mud, Midnight Special), Jeff Nichols est devenu un auteur majeur. D'où peut-être la déception ressentie par certains qui n'ont pas eu le droit à l'immense film qu'ils convoitaient. Il suffit pourtant d'observer avec attention la mise en scène du cinéaste pour constater à quel point son beau classicisme tranche avec l'académisme. Nichols évite une fois encore les scènes à faire et les passages obligés, transformant un sujet édifiant en un portait intime d'un couple qui va continuer à s'aimer malgré leur chemin semé d'embûches. A la différence d'un Ken Loach, le récit, pudique, refuse l'aspect victimaire et compassionnel qu'un tel scénario pouvait laisser craindre. Mais Jeff Nichols doit prendre garde s'il ne veut pas perdre la singularité qui avait fait le prix de ses précédents films, ici légèrement émoussée. Il reste toutefois un directeur d'acteur hors-pair, formant à l'écran un couple poignant campé par Joel Edgerton et Ruth Negga.

Antoine Jullien

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